3  -  Néphropathie diabétique

3 . 1  -  Épidémiologie

Le diabète est la première cause d’insuffisance rénale terminale en Europe (12 à 30 %) ; aux États-Unis, il représente plus de la moitié des cas. Cette proportion de patients diabétiques dans les centres de dialyse va en croissant, du fait de l’augmentation de la prévalence du diabète de type 2 et de l’espérance de vie prolongée des diabétiques, grâce à une meilleure prévention cardiovasculaire primaire et secondaire.

Les diabétiques de type 2 représentent trois quarts des diabétiques dialysés.

Pour des raisons essentiellement génétiques, tous les diabétiques ne sont pas concernés. Seuls 30 % des diabétiques environ seront exposés à cette menace, à exposition comparable à l’hyperglycémie chronique.

La présence d’une néphropathie multiplie par 10 le risque cardiovasculaire chez les diabétiques de type 1, et par 3 à 4 pour le type 2.

3 . 2  -  Physiopathologie (+++)

La néphropathie diabétique est une atteinte glomérulaire s’accompagnant d’une élévation de la pression intraglomérulaire, secondaire à la souffrance endothéliale décrite dans la partie traitant de la physiopathologie des complications (cf. infra), à savoir une vasoplégie prédominant sur les artères afférentes et des glomérules moins à l’abri de la pression artérielle systémique. Sous l’augmentation de la pression intraglomérulaire, les glomérules se dilatent (les reins des diabétiques sont gros) et filtrent mieux à court terme (les diabétiques ont initialement une hyperfiltration). Les glomérules réagissent, sur l’échelle de plusieurs années, par l’épaississement de leur membrane basale et par la prolifération des cellules mésangiales. Mais, progressivement, les qualités fonctionnelles du filtre glomérulaire s’altèrent : il laisse passer de plus en plus d’albumine, elle-même toxique pour les segments distaux du néphron. Les glomérules se sclérosent et la filtration glomérulaire, jusque-là élevée, s’abaisse. La figure 13.12 illustre le point d’inflexion entre l’augmentation de l’excrétion urinaire d’albumine et l’élévation, puis le déclin de la filtration glomérulaire : ce point d’inflexion constitue le seuil définissant l’albuminurie pathologique, la « microalbuminurie ». Lorsque l’excrétion urinaire d’albumine atteint des niveaux détectables par de simples bandelettes urinaires, on parle de macroalbuminurie ou protéinurie.

Fig. 13.12. Relation observée entre l’excrétion urinaire d’albumine et le taux de filtration glomérulaire

Observation de 84 patients diabétiques de type 1 consécutifs, sans traitement antihypertenseur : r = 0,576 ;
p = 0,0001.

Les coordonnées du sommet du modèle parabolique sont : 34 mg/24 heures et 130 mL/min/1,73 m2.

L’excrétion urinaire est une moyenne de trois recueils consécutifs des urines sur 24 heures.

Le taux de filtration est mesuré selon la technique de clairance du 51Cr-EDTA.

Il y a encore 15 à 20 ans, la protéinurie précédait de 3 à 10 ans l’insuffisance rénale. Aujourd’hui, les traitements néphroprotecteurs limitent cette évolution. La filtration glomérulaire et l’excrétion d’albumine varient longtemps et parallèlement jusqu’au stade de la protéinurie où le déclin de la fonction rénale s’accélère (figure 13.13).

Fig. 13.13. Évolution de l’excrétion urinaire d’albumine et de la filtration glomérulaire dans le diabète de type 1 (adapté d’après [9]) (++)

Cette évolution se fait spontanément ou sous l’influence de traitements néphroprotecteurs (trt : traitement ; IEC : inhibiteurs de l’enzyme de conversion).

Pour des raisons essentiellement génétiques, tous les diabétiques ne sont pas concernés par cette évolution péjorative. Seuls 30 % des diabétiques de type 1 environ seront exposés à cette menace, à exposition comparable à l’hyperglycémie chronique.

3 . 3  -  Dépistage (+++)

Recommandations officielles [10] concernant l’insuffisance rénale chez le diabétique
Il convient de pratiquer une fois par an, chez le diabétique de type 2, la recherche d’une protéinurie par la bandelette urinaire standard.
  • Ce test a aussi pour but de rechercher une hématurie et/ou une infection urinaire qui demandent des explorations spécifiques et qui peuvent fausser l’interprétation de l’albuminurie.
  • Il convient de mesurer une fois par an la microalbuminurie, si le test par la bandelette urinaire standard est négatif.
  • Cette mesure de la microalbuminurie peut se faire sur un échantillon urinaire au hasard (exprimé en rapport de concentration albumine/créatinine) ou sur les urines de la nuit et/ou des 24 heures. Le résultat sera considéré comme pathologique s’il est confirmé à deux reprises (un dépistage, deux confirmations).
  • Une microalbuminurie et/ou une protéinurie confirmées devront être quantifiées sur les urines des 24 heures.

Ces recommandations s’appliquent aux diabétiques de type 1. Il faut garder à l’esprit les conditions favorisant un résultat faussement positif qui sont énumérées dans le tableau 13.X.

Tableau 13.X.Conditions physiologiques ou pathologiques augmentant le risque de faux positifs du dépistage de la microalbuminurie
Orthostatisme prolongé

Activité physique intense

Variation marquée de la pression artérielle

Tabagisme

Fièvre

Poussée d’insuffisance cardiaque

Hyperglycémie marquée

Infection urinaire (faire une bandelette urinaire)

Menstruations

3 . 4  -  Diagnostic

Le diagnostic de la néphropathie diabétique est histologique. Cependant, la ponction-biopsie rénale (PBR) est rarement pratiquée : en présence d’une rétinopathie (affirmant l’exposition prolongée à l’hyperglycémie) et d’une excrétion urinaire d’albumine augmentée de façon répétée et progressivement croissante, on retient le diagnostic de néphropathie diabétique (stricto sensu à partir du stade de macroalbuminurie ; avant, la néphropathie est dite incipiens ou silencieuse).

La PBR sera réservée aux situations atypiques suivantes :

  • absence de rétinopathie associée ;
  • apparition précoce (< 10 ans après le diagnostic de diabète) de la néphropathie chez un diabétique de type 1 ;
  • évolution rapide vers l’aggravation, vers l’insuffisance rénale ;
  • HTA sévère (rechercher une pathologie rénovasculaire), ou protéinurie non sélective, ou œdèmes importants à un stade précoce ;
  • hématurie : il n’y en a pas dans la néphropathie diabétique.


La démarche diagnostique est alors celle d’une glomérulopathie (cf. Partie Pratique).

Les caractéristiques histologiques sont :

  • précocement, un épaississement de la membrane basale et une hypertrophie mésangiale, une hypertrophie glomérulaire ;
  • ultérieurement, des dépôts mésangiaux nodulaires ou diffus ;
  • une hyalinose artériolaire (touchant les artères glomérulaires afférente et efférente) ;
  • tardivement, un aspect de glomérulosclérose nodulaire (nodules de Kimmestiel-Wilson).


Il s’agira de faire attention dans le cas d’HTA difficilement contrôlée et de majoration rapide de la dégradation rénale : suspicion de sténose de l’artère rénale (dépistage par échographie doppler et angio-IRM, confirmation éventuelle par artériographie). Ne pas oublier les précautions d’usage en raison de la toxicité des produits de contraste iodés pour l’artériographie, l’angioscanner ou l’urographie intraveineuse (UIV).

Il faut rechercher la sténose des artères rénales, qui est plus fréquente chez les diabétiques que dans la population générale, puis les autres causes d’HTA secondaires, si l’HTA est précoce ou résistante, ou si la fonction rénale s’aggrave sous IEC ou sartan (famille des antagonistes de l’angiotensine II appelés aussi ARAII) (+++). On tolère une élévation de 20 % environ de la créatininémie, qui signe simplement le mode d’action de ces traitements.

Le diagnostic de néphropathie incipiens est fondé sur les critères suivants :

  • microalbuminurie entre 30 et 300 mg/24 h à plusieurs reprises (20 à 200 mg/ min ou 20 à 200 mg/L) ;
  • en l’absence d’un déséquilibre aigu du diabète ;
  • HTA normale (si > 160/95 = HTA idiopathique avec néphroangiosclérose) ;
  • le plus souvent, rétinopathie sévère (mais son absence ne permet pas de récuser le diagnostic de néphropathie diabétique débutante) ;
  • dans le diabète de type 2, signification double : souffrance glomérulaire, mais aussi marqueur de risque cardiovasculaire à prendre en compte dans l’évaluation du risque global (++).
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