4  -  Otites Moyennes Chroniques

4 . 1  -  Définition et physiopathologie


On appelle otites moyennes chroniques (OMC) tous les processus inflammatoires de l’oreille moyenne évoluant depuis plus de 3 mois. En réalité, ces processus évoluent généralement depuis longtemps lorsqu’on est amené à découvrir une OMC.

La genèse des OMC comporte encore beaucoup d’inconnues. L’OMC peut succéder à une OMA, surtout si elle est mal traitée ou récidivante. L’OMC s’installe souvent sournoisement.

Différents facteurs peuvent intervenir, souvent intriqués :

  • inflammation et/ou obstruction chronique des voies aériennes supérieures (nez, sinus, rhinopharynx) ;
  • dysfonctionnement de la trompe d’Eustache ;
  • dystrophie ou fragilité muqueuse par perturbation immunitaire locale (allergique ou non). Cette notion de terrain particulier masque notre ignorance.

On distingue les OMC bénignes, ou non choléstéatomateuses,  (otite séromuqueuse et otite moyenne chronique à tympan ouvert), qui peuvent laisser des séquelles tympaniques et ossiculaires accessibles au traitement chirurgical, et les OMC dangereuses ou choléstéatomateuses, qui n’ont aucune tendance à la guérison spontanée et peuvent entraîner des complications dont certaines mettent en jeu le pronostic vital.

Les formes de passage des premières aux secondes ne sont pas exceptionnelles, ce qui implique la surveillance régulière de toute OMC, tant qu’elle évolue, même si au départ elle est sans danger. L’OSM est considérée comme la plaque tournante de tous les processus d’otite chronique et porte en elle le potentiel susceptible de conduire aux autres formes cliniques (figure 9).

Figure 9 : Filiation des différentes formes d'otite chronique à partir de l'otite séromuqueuse
L'OSM est au carrefour de toutes les otites moyennes chroniques

Un processus infectieux se surajoute souvent au processus inflammatoire qui définit l'OMC, On parle alors de poussée de réchauffement d’une OMC. L’infection est ici pluri-microbienne et le prélèvement pour examen bactériologique quelques fois  utile.

4 . 2  -  Otite séromuqueuse ou otite moyenne chronique à tympan fermé


L’otite séromuqueuse (OSM) est définie par l’existence d’une inflammation chronique de l’oreille moyenne à tympan fermé responsable d’un épanchement sans symptôme d'infection aiguë au sein des cavités de l’oreille moyenne. Il peut revêtir tous les intermédiaires, de l’épanchement de viscosité légère et de transparence claire, à l’épanchement de viscosité épaisse et d’aspect trouble.

4 . 2 . 1  -  Épidémiologie


L’OSM est une pathologie très fréquente, touchant près de 50 % des enfants. L’âge moyen est de 5 ans, et elle est bilatérale dans 85 % des cas. La chronicité doit être affirmée par des examens répétés car certains épanchements évoluent spontanément vers la résorption.

4 . 2 . 2  -  Facteurs favorisants


L’examen clinique doit tenter d’évaluer une cause, ou tout au moins des facteurs favorisants, à cette OSM.

  • Une division vélaire ou vélopalatine doit être recherchée, même dans sa forme sous-muqueuse, voire une luette bifide. Chez ces enfants, même lorsque la fente a été fermée chirurgicalement, l’otite apparaît souvent très tôt et peut se prolonger fort longtemps.
  • Une tumeur du cavum (cancer indifférencié, lymphome, rhabdomyosarcome…), de la fosse infratemporale ou de l’apex pétreux doit être évoquée à tout âge, car l’OSM peut en être un mode de révélation, par envahissement de la trompe d’Eustache et du cavum. L’OSM y est très souvent unilatérale. C’est insister sur l’exploration de ces régions (clinique par une fibroscopie nasopharyngée, et radiologique par un examen tomodensitométrique ou une imagerie par résonance magnétique). Tout doute doit conduire à la pratique d’une biopsie muqueuse.
  • Une hypertrophie adénoïdienne.
  • Une trisomie 21, déficits immunitaires, maladies ciliares.

4 . 2 . 3  -  Signes d’appel


L’hypoacousie est le mode de révélation habituel. Elle est d’autant plus handicapante qu’elle survient chez un enfant qui doit avoir une boucle audio-phonatoire normale pour avoir un bon développement du langage oral. Outre les doutes des parents vis-à-vis de l’audition de l’enfant, l’hypoacousie a des répercussions variables selon l’âge auquel elle survient :

  • chez le nourrisson et chez le jeune enfant, outre les OMA à répétition, c’est un retard dans les premières acquisitions linguistiques, ou bien le langage est déjà établi avec des phrases construites et l’on constate une stagnation dans les acquisitions linguistiques. C’est aussi la possibilité de troubles articulatoires portant sur les consonnes : les mots sont mal articulés, non finis. C’est un retard de parole, plus qu’un retard de langage (compréhension). Dans les OSM, les phrases ont un sujet/verbe/complément, mais tout est mal articulé ;
  • à l’école, en maternelle ou en primaire, outre ces troubles décrits qui peuvent perdurer, c’est un enfant inattentif, trop calme, ne participant pas ou au contraire presque hyperactif ; ces éléments sont souvent rapportés par l’enseignant. Les difficultés d’attention en dictée sont les plus fréquentes ;
  • plus rarement c’est un dépistage systématique (scolaire) qui devant une surdité permet de découvrir une OSM.

Dans d’autres cas, les signes liés à la présence d’un épanchement de l’oreille moyenne attirent l’attention :

  • découverte de l’OSM dans le bilan d’OMA à répétition : il est indispensable d’examiner le tympan de l’enfant en dehors de l’épisode d’OMA. L’OSM peut aussi être responsable d’otalgies fugaces ;
  • parmi les autres symptômes, les grands enfants et les adultes signalent une sensation d’oreille pleine, d’autophonie, plus rarement de liquide changeant de place ou de vertige.

4 . 2 . 4  -  Examen clinique – explorations à réaliser


À l’otoscopie les tympans apparaissent comme une association des aspects suivants :

  • mats, ambrés, jaunâtres parcourus de fines stries vasculaires ;
  • rétractés ;
  • parfois bombants ;
  • ou avec un niveau liquidien ;
  • et sont immobiles lors de l’examen au spéculum pneumatique (de Siegle) ou à la manœuvre de Vasalva (figure 10).
Figure 10 : Aspects otoscopiques rencontrés dans l’otite séromuqueuse (OSM).
A gauche, une OSM responsable d’un épanchement rétrotympanique avec rétraction tympanique (1) manche du marteau anormalement bien visible car drapé par le tympan rétracté, 2) ligament tympanomalléaire postérieur bien visible en raison de la rétraction tympanique, 3) branche descendante de l’enclume visible au travers de la membrane tympanique, 4) zone d’atélectasie tympanique avec poche de rétraction tympanique contrôlable autonettoyante, 5) bulles d’air dans un épanchement rétrotympanique séromuqueux. Au milieu, une OSM avec un tympan épaissi et un épanchement rétrotympanique. 1) manche du marteau, 2) atélectasie limitée du tympan laissant apparaître un liquide séromuqueux rétrotympanique jaunâtre, 3) partie postérieure de la pars tensa. A droite, une OSM avec un épanchement rétrotympanique bleuâtre ; la flèche rouge montre la pars tensa avec un épanchement rétrotympanique bleuâtre, la flèche noire montre la partie haute du marteau anormalement visible en raison de la rétraction tympanique.

L’examen clinique du cavum doit compléter cet examen à la recherche d'une hypertrophie des végétations adénoïdes (fibroscopie naso-pharyngée).

Les explorations à réaliser sont :

  • audiométrie tonale : la surdité de transmission est de 27 dB en moyenne sur les fréquences conversationnelles. Chez le jeune enfant, il est possible de faire un examen audiométrique, avec étude des seuils en conduction aérienne et osseuse en employant des techniques utilisant le réflexe d’orientation conditionné ou le ciné-show ; une surdité de transmission dont l'aspect de la courbe est à pente ascendante des graves vers les aigus est classiquement observée. Chez l’adulte, les techniques conventionnelles d’audiométrie sont utilisées ;
  • le tympanogramme est généralement plat, ce qui permet de conforter les données de l'otoscopie.
  • un bilan orthophonique peut être nécessaire pour évaluer de façon objective le décalage langagier (figure 11).
Figure 11 : L'otite séromuqueuse est responsable d'une courbe plate en impédancemétrie
L'audiométrie montre une surdité de transmission. La courbe aérienne se situe entre - 30 et - 40 dB, alors que la courbe osseuse est normale.

4 . 2 . 5  -  Évolution


Elle est le plus souvent favorable et l'enfant guérit de lui-même avec la fin de la maladie d’adaptation. L’OSM peut faire l’objet de poussées de réchauffement sous la forme d’OMA à répétition. Elle peut cependant laisser des séquelles tympano-ossiculaires non négligeables (atélectasie tympanique, lyse ossiculaire) entraînant une surdité résiduelle de transmission. Elle peut être la source d’un cholestéatome par invagination épidermique du tympan.

4 . 2 . 6  -  Traitement


Un grand nombre d’OSM guérissent seules, mais la durée de guérison est incertaine et parfois prolongée. Il faut donc traiter les OSM qui vont donner des complications (hypoacousie avec retentissement langagier avéré ou prévisible – lésions tympaniques évolutives – OMA récidivantes) ou les OSM à évolution prolongée prévisible.

Le traitement a plusieurs cibles :

  • action sur l’infection rhinopharyngée : désinfection rhinopharyngée, ablation des végétations adénoïdes, prise en charge d’un facteur d’environnement ou général (tabagisme passif, RGO, allergie), cure climatique (suppression momentanée des polluants, anémie, carence nutritionnelle), crénothérapie. Il n’existe aucun médicament allopathique qui a démontré son efficacité ;
  • action sur la perméabilité tubaire et l’aération de la caisse : pose d’aérateurs transtympaniques (appelés aussi communément drains, « yo-yo » ou « diabolos ») le plus souvent ; insufflation tubaire, auto-insufflation, rééducation tubaire par orthophoniste ;

Les indications d’un ATT (références médicales opposables) doivent être posées devant une OSM entraînant des complications :

  • liées à la surdité : surdité bilatérale de transmission supérieure à 30 dB, ou avec retard de langage ou de parole, ou surdité de perception sous-jacente ;
  • liées à la présence de l’épanchement liquidien : épisodes de surinfection répétés (plus de cinq à six épisodes d’OMA par hiver),
  • liées à une souffrance tympanique telle que le réalise une poche de rétraction tympanique ;
  • liées à une durée d’évolution prolongée prévisible : séquelles de chirurgie vélaire, insuffisance vélaire (figure 12).
Figure 12 : Aspects otoscopiques après mise en place d’un aérateur transtympanique (ATT).
Photo A : tympan gauche porteur d’un ATT, 1) manche du marteau, 2, ATT, 3) plaques de tympanosclérose. Photo B : tympan gauche porteur d’un ATT dans le quadrant antéro‐supérieur, 1) manche du marteau, 2) ATT, 3) pars tensa atrophique des deux quadrants postérieurs du tympan.
8/11