7 . 3  -  Le paludisme grave


Le paludisme à P. falciparum du sujet non immun (jeune enfant en zone d’endémie, femme enceinte, expatrié, voyageur) est potentiellement mortel. Le décès, quand il survient, est secondaire à la défaillance aiguë d’une ou de plusieurs grandes fonctions, et ce, parfois, même si la mise en place d’un traitement étiologique s’avère efficace. Seule l’instauration rapide d’une réanimation adaptée peut alors sauver le malade.

Il est donc absolument fondamental de connaître les critères de gravité du paludisme à P. falciparum pour identifier les patients qui justifient d’une hospitalisation en urgence, si nécessaire dans une Unité de Soins Intensifs. Un paludisme grave peut donc prendre différentes formes cliniques dont la plus importante est l’atteinte cérébrale.

On regroupe sous le terme de neuropaludisme (accès pernicieux ou "cerebral malaria" chez les anglo-saxons) toutes les manifestations neurologiques conséquence de l’atteinte cérébrale au cours de l’accès palustre : troubles de la conscience, prostration et convulsions.

Le début peut être progressif ou brutal

L’accès pernicieux à début progressif est marqué par l’installation d’une fièvre irrégulière, d’un syndrome algique diffus, associé à des troubles digestifs. L’examen clinique peut déjà révéler une composante neurologique faisant évoquer l’évolution vers un paludisme grave.

En pratique clinique : « tout malade présentant une atteinte de la conscience ou tout autre signe de dysfonctionnement cérébral au retour d’une zone d’endémie palustre doit être traité dans la plus grande urgence comme un neuropaludisme».

Le neuropaludisme à début brutal se traduit par une triade symptomatique (fièvre, coma, convulsions) à laquelle s’ajoute fréquemment une détresse respiratoire. Il est fréquent chez le jeune enfant en zone d’endémie (< 5 ans) et peut entraîner la mort en quelques heures.

Phase d’état

La fièvre est le plus souvent très élevée et le tableau neurologique se complète pouvant associer :

  • Troubles de la conscience : ils sont constants mais d’intensité variable, allant de la simple obnubilation au coma profond. Le coma est généralement calme, sans rigidité de nuque (ou très discrète), sans photophobie, accompagné d’une abolition du réflexe cornéen.
  • Convulsions : nettement plus fréquentes chez l’enfant que chez l’adulte ; elles peuvent être inaugurales. Elles peuvent être généralisées ou localisées, espacées dans le temps ou au contraire réaliser un état de mal convulsif. Elles peuvent parfois être pauci-symptomatiques (clonies des lèvres, des muscles faciaux, mouvements oculaires rapides, salivation excessive). Elles doivent être distinguées des convulsions hyperthermiques : pour être retenues elles doivent être répétées dans le temps (≥ 2 / 24 heures) avec une phase post-critique de trouble de la conscience > 15 mn.
  • Troubles du tonus : le malade est généralement hypotonique. La raideur et l’opisthotonos peuvent se voir dans les formes très évoluées et sont de mauvais pronostic. Les réflexes ostéo-tendineux sont variables, parfois très vifs, exceptionnellement abolis (de mauvais pronostic). 
  • Autres signes cliniques associés : les signes neurologiques peuvent dominer le tableau clinique ou être associés à d’autres manifestations viscérales. Pratiquement tous les organes peuvent être atteints, notamment les reins, les poumons (risque d’œdème pulmonaire), le foie … Le tableau est parfois celui d’une défaillance multiviscérale. Parfois, sans signe neurologique évident, on observe des formes graves avec anémie profonde (chez l’enfant) ou insuffisance rénale aiguë (chez l’adulte).

Evolution

Non traité, le neuropaludisme est mortel en deux ou trois jours. Avec une prise en charge adaptée, la mortalité reste lourde (10 à 30 %). Lorsqu’elle est obtenue, la guérison se fait généralement sans séquelle, sauf chez l’enfant (5 à 10 % de séquelles définitives). Le pronostic global repose essentiellement sur la rapidité du diagnostic.

7 . 4  -  Critères de gravité définis par l’OMS


L’OMS a défini des critères de gravité du paludisme. La présence d’un seul de ces critères, clinique ou biologique, associé à la présence de P. falciparum dans le sang, fait porter le diagnostic d’accès palustre grave. Mais il est important de noter que ces critères, élaborés en zone d’endémie, n’ont pas été validés sur une population non-immune (cas de la majorité des paludismes d’importation observés en France) et notamment pas chez les enfants voyageurs.

D’après : WHO 2000, Severe falciparum malaria. Transactions of the Royal Society of Tropical Medicine and Hygiene, 94, supplement 1
Troubles de la conscienceScore de Glasgow modifié ≤ 9 chez l’adulte et enfant de plus de 5 ans
Score de Blantyre ≤ 2 chez le petit enfant
 Convulsions répétées≥ 2 / 24 heures (malgré la correction de l’hyperthermie)
 ProstrationExtrême faiblesse
ou chez l’enfant : « Impossibilité, de tenir assis pour un enfant en âge de le faire, ou de boire pour un enfant trop jeune pour tenir assis »
 Détresse respiratoire
Définition clinique
 IctèreClinique ou biologique (bilirubine > 50 µmol/L)
 Hémoglobinurie macroscopique
Urines rouges foncées ou noires
Hémoglobinurie ou myoglobinurie à la bandelette
Absence d'hématurie microscopique
 Collapsus circulatoire
TAS < 80 mmHg chez l'adulte
TAS < 50 mmHg chez l'enfant
 Oedème pulmonaire
Définition radiologique
 Saignement anormal
 Définition clinique
 Anémie grave
Adulte : Hb < 7 g/dL ou Hte < 20 %
Enfant : Hb < 5 g/dL ou Hte < 15%
 HypoglycémieGlycémie < 2,2 mmol/L
 Acidose métabolique
pH < 7,35 ou bicarbonates < 15 mmol/L
 HyperlactatémieLactates plasmatiques > 5 mmol/L
 Hyperparasitémie> 4% chez un sujet non immun
 Insuffisance rénale
Créatininémie > 265 µmol/L après réhydratation
ou diurèse < 400 mL/24h chez l'adulte (< 12mL/kg/24h chez l'enfant)

En France, suite à la conférence de consensus sur la prise en charge du paludisme d’importation à P. falciparum (1999, révisée en 2007), les critères de gravité ont été adaptés aux tableaux cliniques observés chez ces patients et aux moyens des hôpitaux métropolitains.

Les manifestations les plus pertinentes à prendre en compte pour une prise en charge en soins intensifs ou en réanimation (fréquence et mauvais pronostic) sont les suivantes :

  • défaillance neurologique (de l’obnubilation au coma),
  • convulsions répétées,
  • défaillance respiratoire,
  • défaillance cardiocirculatoire,
  • ictère,
  • acidose et/ou hyperlactatémie,
  • hyperparasitémie,
  • insuffisance rénale imposant une épuration extrarénale
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