2  -  Spécificités cliniques de la douleur chez les sujets âgés

2 . 1  -  Fréquence

La prévalence des plaintes douloureuses augmente avec l'âge. En milieu communautaire, le pourcentage des personnes qui déclarent avoir ressenti une douleur dans les deux semaines précédentes est de 25 à 30 % pour les 70 - 80 ans et de 40 % pour les plus de 80 ans, avec une nette prédominance féminine.

En institution, la douleur est encore plus fréquente (45 à 70 %). Elle est chronique dans un tiers des cas. Sa prévalence augmente chez le patient en fin de vie. Dans le mois  qui  précède  la  mort,  65  à 70 % des personnes présentent des douleurs permanentes ou très fréquentes.

2 . 2  -  Localisation

Les sujets âgés sont avant tout exposés aux douleurs  musculosquelettiques dans le cadre de l'arthrose, de l'ostéoporose et des conséquences mécaniques des chutes. Pour
les pathologies neurologiques, les douleurs sont  liées  à  des  neuropathies  périphériques, à des crampes des membres inférieurs ou à un syndrome des jambes sans repos. Les séquelles d'accident vasculaire cérébral  associent  des  douleurs  par troubles du tonus, des rétractions tendineuses, des algodystrophiesDéfinitionL'algoneurodystrophie ou algodystrophie est un syndrome douloureux caractérisé par un ensemble de symptômes, dont les sensations de cuisson, touchant des articulations après un traumatisme ou une intervention chirurgicale même minimes. Ce syndrome pourrait être dû à des causes neurologiques ou vasculaires et surviendrait plutôt chez des patients anxieux.Il est également appelé Syndrome de Sudeck ou Maladie de Sudeck du nom du médecin allemand Paul Herman Martin Sudeck (1866-1945) qui le premier l'a décrite. et plus rarement, un syndrome thalamiqueDéfinitionLe syndrome thalamique désigne une ensemble de troubles dont la nature et l'ampleur dépendent de la localisation et de l'étendue de la lésion causale. Parmi les déficits observables, on compte :des troubles sensitifs et douleurs thalamiques, des troubles moteurs (déficit musculaire, syncinésies, contractures, hémichorée, astérixis, myoclonies d'intention et d'action, astasie/abasie, négligence motrice), extinctions sensorielles, négligence spatiale lors de lésions préférentielles latéralisées à droite, aphasie lors de lésions latéralisées à gauche (réduction de la fluence verbale, paraphasies, persévérations, agrammatismes)..

Certaines affections sont responsables de douleurs chroniques rebelles  comme les cancers  évolués  incurables  avec  métastases osseuses et / ou compression de voi- sinage, les ischémies tissulaires d'origine artérielle, les immobilisations prolongées au lit ou au fauteuil avec constitution d'escarres et de rétractions tendineuses.

2 . 3  -  Particularités sémiologiques

Des  pathologies  aiguës  chirurgicales ou  médicales  classiquement  douloureuses surviennent sans douleur  ou avec une symptomatologie atypique et trompeuse.  Certaines  affections comme l'infarctus du myocarde, l'ulcère de l'estomac ou les urgences abdominales surviennent, dans plus de la moitié des cas, en l'absence de douleur aiguë évocatrice. Les localisations de la douleur sont souvent atypiques : douleurs  abdominales  de  l'infarctus  du myocarde et des pneumopathies.

Inversement, les douleurs chroniques sont plus fréquentes que chez l’adulte. Le zona entraîne des algies post-zostériennes dans 70 % des cas après 70 ans. La névralgie faciale par conflit anatomique  vasculo-nerveux  n'apparaît qu'après 60 ans. Les douleurs post- traumatiques  ou  post-chirurgicales comme les douleurs des membres fantôme après amputation sont fréquentes chez les personnes âgées, de même que les algodystrophies et les causalgies.

Les  plaintes  douloureuses  traduisent volontiers d'autres souffrances  difficiles à exprimer comme le sentiment de solitude, la crainte de la maladie grave, la peur de la mort. Les plaintes sont alors  multiples,  imprécises,  diffuses. Elles  apparaissent  disproportionnées par rapport aux données somatiques. Elles s'accompagnent d'une asthénie matinale, de troubles du sommeil avec une insomnie de la deuxième partie de la nuit et d'une variabilité des troubles somatiques dans la journée. La douleur est parfois utilisée par les personnes âgées pour justifier un confinement au domicile, une clinophilieDéfinitionLa clinophilie est le fait de rester au lit, la journée, allongé, pendant des heures, tout en étant éveillé. C'est un trouble d'origine psychologique parfois trouvé dans la dépression ou certaines formes de schizophrénie. Il faut faire attention à ne pas confondre ce trouble avec une véritable hypersomnie puisque dans cette dernière les patients dorment réellement et très profondément alors que dans la clinophilie on ne retrouve pas objectivement ce long temps de sommeil que les patients peuvent décrire. Dans la clinophilie si les patients se plaignent de trop dormir c'est surtout un choix de leur part et non pas un défaut physiologique d'un système d'éveil/sommeil comme dans les cas de l'hypersomnie idiopathique ou de la narcolepsie.La clinophilie peut également accompagner un syndrome post-chute dans le cadre d'une régression psychomotrice globale chez la personne âgée. ou une dépendance par rapport aux tiers. Un traitement  d'épreuve  par  des  antidépresseurs  réduit  ou  fait  disparaître  la symptomatologie algique.

2 . 4  -  Retentissement fonctionnel

La douleur est source d'anorexie persistante, de perte d'autonomie et de dépression. La dépression accentue l'intensité des douleurs organiques. La douleur non contrôlée conduit à des états régressifs avec détachement, repli sur soi, désinvestissement de l'entourage et désir de mort .

Enfin, la douleur peut à tout moment précipiter la personne âgée dans un syndrome confusionnelDéfinitionLe syndrome confusionnel ou confusion mentale comprend un ensemble de troubles des fonctions supérieures, et correspond à une atteinte aiguë et globale des fonctions mentales, se caractérisant essentiellement par un trouble de la conscience. Un onirisme peut lui être associé, on parle alors de syndrome confuso-onirique..

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