4  -  Syndromes coronaires sans sus-décalage de ST

4 . 1  -  Généralités

4 . 1 . 1  -  Nosologie

L’angor instable (AI) et l’infarctus du myocarde sans sus-décalage persistant du segment ST (IDM non ST) sont regroupés sous la dénomination de syndromes coronaires aigus (SCA) sans sus-décalage (ou élévation) du segment ST (SCA non ST).
L’IDM non ST est défini par la mise en évidence d’une élévation de la troponinémie (troponine +) au décours d’une crise angineuse. Les séquelles myocardiques sont en règle de taille très limitée et l’électrocardiogramme réalisé à distance n’identifie pas d’onde Q dans la majorité des cas : IDM non Q (ex-IDM sous-endocardique, terminologie actuellement désuète).
La présentation clinique initiale de l’AI et celle de l’IDM non ST (AI troponine +) sont similaires et leur prise en charge est commune. L’instabilité clinique témoigne d’un processus thrombotique engendré par la rupture d’une plaque athéromateuse coronaire. Le traitement a pour but de prévenir l’occlusion coronaire aiguë.

4 . 1 . 2  -  Physiopathologie

La rupture d’une plaque athéromateuse (vulnérable car inflammatoire) induit une réaction thrombotique locale (initialement une activation des plaquettes). Le thrombus peut éventuellement se fragmenter.
Les fragments migrent alors vers l’aval de l’artère coronaire concernée (embolies capillaires) à l’origine de la constitution de foyers de micro-nécrose, actuellement détectés par l’apparition dans la circulation sanguine d’un marqueur spécifique : la troponine (elle s’élève lorsque la masse nécrosée excède 1 g de tissu myocardique).
La nécrose reste limitée et dans la majorité des cas n’est pas détectée par les techniques d’imagerie cardiaque conventionnelle (ex. : échocardiographie). Elle n’altère pas de manière significative la fonction ventriculaire gauche. Le terme de « nécrosette » ou d’infarctus rudimentaire a pu être utilisé pour définir les conséquences myocardiques de ces micro-embolies.

4 . 1 . 3  -  Traitement

Le diagnostic d’un SCA non ST est avant tout clinique. La suspicion clinique justifie un transfert médicalisé en unité de soins intensifs coronaires (USIC).
Le traitement de l’AI et de l’IDM non ST (thrombus non occlusif) a pour objectif de prévenir l’IDM ST+ (thrombus occlusif).

4 . 2  -  Diagnostic d’un SCA non ST

4 . 2 . 1  -  Signes fonctionnels

Les caractéristiques de la douleur angineuse (ou de ses équivalents) sont les mêmes que dans l’angor stable. En revanche, les circonstances de survenue sont différentes.

4 . 2 . 1 . 1  -  Diagnostic

Il peut être d’emblée évoqué devant un(e) :

  • angor spontané prolongé (> 20 min), régressif spontanément ou après absorption de trinitrine sublinguale (en particulier nocturne) ;
  • angor d’effort sévère (classe 3 de la CCS) de novo (inaugural et décrit depuis moins d’un mois) en particulier crescendo (efforts de plus en plus faibles) ;
  • aggravation récente d’un angor jusque-là stable (angor d’effort ancien) mais qui survient depuis peu pour des efforts moins importants (diminution du seuil ischémique), ou qui cède plus lentement à l’arrêt de l’effort (ou après prise de trinitrine sublinguale) ;
  • angor apparaissant moins d’un mois après la constitution d’un IDM.



Remarque

E. Braunwald a proposé une classification de l’angor instable tenant compte de l’expression clinique (spontané ou d’effort, de novo ou aggravé), des circonstances de survenue (peu après infarctus du myocarde ou indépendamment) et de l’existence éventuelle de modifications environnementales favorisantes (hyperthermie, anémie, tachycardie… ou, à l’opposé, absence de toute modification). Cette classification tend à être abandonnée mais souligne la gravité d’une forme clinique particulière, l’angor spontané prolongé récent (< 24 heures) survenant indépendamment de toute modification environnementale et qui était défini antérieurement par le terme approprié de « syndrome de menace d’infarctus du myocarde », qui insiste sur le risque évolutif en l’absence de traitement.

4 . 2 . 1 . 2  -  Formes atypiques

Elles sont cependant fréquentes.
Dans le doute, il est toujours préférable d’envisager une hospitalisation de 24 heures qui permet de confirmer ou d’infirmer le diagnostic :

  • la douleur est épigastrique de repos, thoracique en coup de couteau, pseudo-pleurétique ;
  • la douleur n’est pas influencée par la mobilisation des muscles de la région douloureuse, ni par la respiration profonde ;
  • la douleur n’est pas provoquée par une mauvaise position.

4 . 2 . 1 . 3  -  Terrain prédisposant

L’angor survient :

  • en règle chez un patient présentant des facteurs de risque de l’athérosclérose (âge, sexe, diabète, insuffisance rénale, dyslipidémie, HTA, intoxication tabagique, surcharge pondérale, sédentarité) ;
  • éventuellement en cas de lésions athéromateuses connues (en particulier antécédents coronaires).

4 . 2 . 2  -  Examen clinique

Il est habituellement normal.
Il permet d’éliminer d’autres causes cardiaques (péricardite…) ou non cardiaques (pneumothorax…) de douleurs précordiales.
Il peut identifier d’autres localisations de l’athérome (souffle vasculaire) et comprend la mesure de la pression artérielle.
Il recherche des signes d’instabilité hémodynamique (râles crépitants, galop) et peut exceptionnellement mettre en évidence un souffle systolique précordial transitoire (insuffisance mitrale transitoire par ischémie d’un pilier de la valve mitrale).

4 . 2 . 3  -  Électrocardiogramme

L’ECG 12 dérivations est l’examen de première intention qu’il faut pratiquer dès que le diagnostic est suspecté.
Il doit être obtenu moins de 10 minutes après le premier contact médical lorsque le patient se présente à un service d’urgence (+++).
Il est enregistré habituellement après une crise douloureuse et, de ce fait, doit être renouvelé et comparé si possible à un tracé antérieur. Chez les patients qui bénéficient d’une surveillance cardiologique, cette comparaison sera répétée pour les tracés ultérieurs.
Il est recommandé de le renouveler de manière systématique 6 heures plus tard ou à l’occasion d’une éventuelle récidive douloureuse.
La mise en évidence de modifications transitoires de la repolarisation, en particulier durant une crise, permet de poser le diagnostic.

4 . 2 . 3 . 1  -  Modification ECG per-critique

  • La modification la plus caractéristique est le sous-décalage de ST, horizontal ou descendant (en particulier > ou = 1 mm dans deux dérivations contiguës ou plus).
  • Le sus-décalage de ST horizontal ou convexe vers le haut définit l’angor de Prinzmetal. Cette anomalie transitoire est rarement rencontrée en pratique. Elle traduit une occlusion brutale complète mais transitoire d’une artère épicardique. Différents mécanismes peuvent être évoqués : thrombose non occlusive associée à une vasoconstriction (spasme) réactionnelle, occlusion thrombotique transitoire du fait d’une thrombolyse spontanée ou d’une fragmentation du thrombus…
  • L’inversion transitoire de l’onde T n’a une valeur diagnostique que lorsque la variation dépasse 1 mm.
  • Le tracé peut rester inchangé durant la crise, n’excluant pas le diagnostic.

4 . 2 . 3 . 2  -  Anomalie ECG post-critique

  • Les mêmes anomalies de ST et de T observées à distance d’une crise douloureuse ont moins de valeur mais peuvent être en faveur du diagnostic après avoir éliminé les facteurs confondant (surcharge ventriculaire gauche, trouble de la conduction intraventriculaire…).
  • La constatation d’une onde T négative profonde et symétrique dans les dérivations antérieures traduit habituellement une sténose sévère de l’artère interventriculaire antérieure.

4 . 2 . 4  -  Troponinémie

Les troponines T et I sont des marqueurs spécifiques (non enzymatiques) de la nécrose myocardique.
L’élévation de la troponinémie dans les suites d’un accident coronaire non occlusif (en pratique une crise angineuse transitoire) traduit une occlusion capillaire d’origine embolique, l’origine de l’embole étant le thrombus formé au contact de la plaque athéromateuse rompue.
La troponine est détectée dans la circulation 3–6 heures après le début de l’épisode ischémique et durant 24-48 heures. Le dosage (technique ultrasensible) doit être effectué dès le premier contact médical, le résultat doit être rapidement obtenu (< 60 min après admission) et renouvelé 6 heures plus tard et 3–6 heures après une éventuelle récidive douloureuse.
Outre son aide au diagnostic (lorsqu’il est cliniquement probable), la troponinémie a une valeur pronostique (risque intermédiaire) et thérapeutique (indication d’un traitement anti-GPIIb/IIIa).

4 . 2 . 5  -  Échocardiographie

Cet examen est recommandé pour éliminer les diagnostics différentiels de précordialgies (syndrome aortique aigu, péricardite, embolie pulmonaire…) et d’anomalies permanentes de la repolarisation (hypertrophie ou dilatation ventriculaire gauche…).

4 . 3  -  Diagnostic différentiel

4 . 3 . 1  -  Précordialgie

Une précordialgie spontanée transitoire peut avoir une origine pleuro-pulmonaire, thoracique, gastroduodénale…

4 . 3 . 2  -  Anomalie ECG

Les anomalies ECG ne sont pas pathognomoniques de l’ischémie myocardique et ce sont les variations per-critiques de la repolarisation qui ont la valeur diagnostique plus importante.

4 . 3 . 3  -  Anomalie biologique

Les lésions myocardiques à l’origine de l’élévation de la troponinémie ne sont pas toutes d’origine ischémique ou secondaires à une embolie capillaire, ce qui limite la valeur diagnostique de ce marqueur.

Liste non exhaustive des causes d’élévation de la troponinémie
5-FU
Ablation
Adriamycine
Amylose
Biopsie endomyocardique
Brûlure > 30 % de la surface corporelle
Cardioversion
Contusion cardiaque
Dissection aortique
Embolie pulmonaire
Hémochromatose
HTAP sévère
Hypertrophie myocardique
Hypothyroïdie Insuffisance cardiaque sévère aiguë ou chronique
Insuffisance rénale chronique ou aiguë
Insuffisance respiratoire sévère
Myocardite
Péricardomyocardite
Poussée hypertensive
Rhabdomyolyse
Sarcoïdose
Sclérodermie
Sepsis
Stimulation
Tachyarythmie ou bradyarythmie
Tako-Tsubo
Valvulopathie aortique
Venin de serpent

Un état de choc quelle qu’en soit l’origine ou un collapsus prolongé peuvent entraîner des modifications enzymatiques massives portant entre autres sur les SGOT et les LDH. Les CPK sont exceptionnellement intéressées. Ces modifications enzymatiques sont dues à l’hypoxie hépatique aiguë observée en présence d’un état de choc.
Des modifications enzymatiques portant sur les CPK peuvent s’observer dans l’évolution des accidents neurologiques aigus ischémiques ou hémorragiques, de même qu’en présence d’une altération du muscle squelettique. Le dosage des iso-enzymes cardiaques de la CPK permet de redresser le diagnostic.
La libération de troponine est hautement spécifique de dommage myocardique. La présence de troponine dans le sang circulant est donc équivalente de mort cellulaire cardiaque. Toutefois, un dosage élevé traduit un infarctus du myocarde seulement si ce dosage survient dans le contexte d’une cardiopathie ischémique avec scène clinique récente.
Dans les cas d’élévation de la troponinémie dans des pathologies cardiaques non coronaires, la libération de troponine signant le dommage myocardique ne procède pas d’un mécanisme ischémique mais d’un mécanisme différent comme l’apoptose (mort cellulaire programmée, particulièrement dans l’insuffisance cardiaque).

4 . 4  -  Pronostic du SCA sans sus-décalage persistant de ST

4 . 4 . 1  -  Généralités

Le diagnostic positif étant difficile, il est établi parallèlement au diagnostic de gravité. Le risque de décès ou d’évolution occlusive du thrombus doit être évalué à l’admission et réévalué en fonction d’éléments recueillis lors de la période d’observation.
Trois facteurs de risque majeurs sont facilement retenus (+++) :

  • angor spontané prolongé (> 20 min) récent (< 24 heures) ;
  • sous-décalage fluctuant du segment ST ;
  • troponinémie positive.

La Société européenne de cardiologie identifie trois niveaux de risque qui conditionnent le degré d’urgence de la prise en charge en USIC.

4 . 4 . 2  -  Les trois niveaux de risque

  • Très haut risque (indication de coronarographie immédiate) :
    • angor réfractaire (persistant) ;
    • angor récidivant malgré un traitement anti-angineux et antithrombotique optimal avec sous-décalage de ST ou ondes T < 0 ;
    • manifestations d’insuffisance cardiaque ou instabilité hémodynamique (choc) ;
    • arythmie ventriculaire grave (tachycardie ou fibrillation ventriculaires).
  • Haut risque (indication de coronarographie rapide < 72 h) :
    • troponinémie élevée ;
    • variations fluctuantes du segment ST ou de l’onde T ;
    • diabète ;
    • insuffisance rénale ;
    • fraction d’éjection ventriculaire gauche < 40 % ;
    • angor post-infarctus précoce ;
    • antécédent d’IDM ;
    • antécédent d’angioplastie coronaire (ICP < 6 mois) ;
    • antécédent de pontage ;
    • risque intermédiaire ou élevé suivant le score de gravité (cf. ci-après score Grace).
  • Bas risque (pas d’indication de coronarographie précoce) :
    • pas de récidive douloureuse ;
    • pas de manifestations d’insuffisance cardiaque ;
    • pas d’anomalie du premier ou du second ECG (6–12 heures) ;
    • troponinémie nulle (admission et 6–12 heures).



Score Grace

Il attribue à chacune des données retenues (âge, fréquence cardiaque, pression artérielle systolique, créatininémie, stade Killip, présence d’un sous-décalage de ST, troponinémie > 0, arrêt cardiaque) une valeur et définit trois niveaux de risque.

4 . 5  -  Traitement

Dès que le diagnostic est posé (ou fortement suspecté), le patient doit être hospitalisé en USIC et bénéficier d’un monitorage de l’ECG (+++).

4 . 5 . 1  -  Anti-agrégants plaquettaires

  • Ils sont prescrits après avoir évalué le risque de survenue d’un accident hémorragique.
  • Aspirine : 250 à 500 mg IVD puis 75 mg/j au long cours.
  • Clopidogrel : 300 mg per os puis 75 mg/j durant 12 mois.
  • Inhibiteurs des glycoprotéines 2B/3A [anti-GPIIb/IIIa] : ils sont administrés en bolus suivie d’une perfusion. Le traitement est débuté lorsque la décision de coronarographie est prise. La perfusion est poursuivie après réalisation de l’angioplastie coronaire (ICP) durant 12 heures (abciximab : Réopro®) ou 24 heures (eptifibatide : Intégrilin® ; tirofiban : Agrastat®).

4 . 5 . 2  -  Anti-coagulants

  • Mis à part la bivalirudine, le traitement est prescrit (sauf cas particulier) dès le diagnostic posé et jusqu’à réalisation d’une coronarographie ou sortie du patient de l’hôpital.
  • Héparine non fractionnée (HNF) : bolus 60 UI/kg IVD (< ou = 5000 UI), puis perfusion 12–15 UI/kg/h (< ou = 1000 UI/h) IV. Objectif de TCA : 1,5 à 2,5 fois la normale, surveillance plaquettaire si prescription > ou = 7 j.
  • Héparine de bas poids moléculaire (HBPM) : énoxaparine (Lovenox®) 100 UI/kg SC 2 fois/j ; contre-indications : âge > 75 ans, insuffisance rénale.
  • Antifacteur Xa : fondaparinux (Arixtra®) 2,5 mg/j SC ; contre-indication : insuffisance rénale (si modérée : réduction posologique par deux).
  • Antithrombine directe (pour information) : bivalirudine (Angiox®) 0,1 mg/kg bolus IVD puis 0,25 mg/kg/h IV. Limite : coût, prescription uniquement durant l’angioplastie.

4 . 5 . 3  -  Anti-ischémiques

  • Dérivés nitrés : par voie sublinguale comme traitement de la crise angineuse.
  • β-bloqueurs : en première intention sauf contre-indication en particulier en présence d’une tachycardie ou d’une hypertension associée, ex. : aténolol (Ténormine®) 100 mg per os.
  • Anticalciques : lorsque les β-bloqueurs sont contre-indiqués, lorsqu’une composante vasospastique majeure est suspectée (classiquement chez les patients présentant un sus-décalage transitoire du segment ST durant la crise angineuse).
  • Dihydropiridines « tachycardisantes » (par exemple, nifédipine : Adalate®) : elles peuvent être associées aux β-bloqueurs mais sont contre-indiquées lorsqu’elles sont prescrites isolément.
  • Anticalciques « bradycardisants » (diltiazem, vérapamil) son prescrits en monothérapie. Ex. : Bi-tildiem® 120 mg, 2 fois/j.

4 . 5 . 4  -  Intervention coronaire percutanée (ICP)

  • La coronarographie permet d’identifier la lésion coupable du SCA et d’évaluer les possibilités techniques de son traitement qui consiste en l’implantation d’une prothèse endocoronaire permettant de stabiliser la plaque rompue et surtout de supprimer l’obstacle au flux sanguin. Lorsque la lésion induit une sténose > 50 %, une ICP est pratiquée dans la foulée de la coronarographie en l’absence de contre-indication technique (ex. : sténose du tronc coronaire gauche).
  • L’abord artériel radial est préféré à l’abord fémoral afin de réduire le risque hémorragique d’une procédure réalisée sous traitement antithrombotique à dose maximale.

4 . 5 . 5  -  Stratégie thérapeutique

  • L’environnement pharmacologique est adapté en fonction du risque qui conditionne le délai de réalisation de la coronarographie.
  • Traitement commun à tous les patients : aspirine, clopidogrel, anticoagulant, anti-ischémique.
5/9