Introduction

La formation de l'esprit scientifique
« Face au réel, ce qu'on croit savoir clairement offusque ce qu'on devrait savoir. Quand il se présente à la culture scientifique, l'esprit n'est jamais jeune. II est même très vieux, car il a l'âge de ses préjugés. Accéder à la science, c'est spirituellement rajeunir, c'est accepter une mutation brusque qui doit contredire un passé. »
« La science, dans son besoin d'achèvement comme dans son principe, s'oppose absolument à l'opinion. S'il lui arrive, sur un point particulier, de légitimer l'opinion, c'est pour d'autres raisons que celles qui fondent l'opinion ; de sorte que l'opinion a, en droit, toujours tort. L'opinion pense mal ; elle ne pense pas, elle traduit des besoins en connaissances. En désignant les objets par leur utilité, elle s'interdit de les connaître. On ne peut rien fonder sur l'opinion : il faut d'abord la détruire. Elle est le premier obstacle à surmonter. [..] L'esprit scientifique nous interdit d'avoir une opinion sur des questions que nous ne comprenons pas, sur des questions que nous ne savons pas formuler clairement. »
« Avant tout, il faut savoir poser des problèmes. Et quoi qu'on dise, dans la vie scientifique, les problèmes ne se posent pas d'eux-mêmes. C'est précisément ce sens du problème qui donne la marque du véritable esprit scientifique. Pour un esprit scientifique, toute connaissance est une réponse à une question. S'il n'y a pas eu de question, il ne peut y avoir connaissance scientifique. Rien ne va de soi. Rien n'est donné. Tout est construit. »


Gaston Bachelard. La Formation de l'esprit scientifique, Paris. Vrin. 7c éd.. 1970, p. 14.

Faire un mémoire en épidémiologie, c’est vouloir prouver une hypothèse, donc avoir une idée, et mettre en route une méthode pour présenter son travail, et, si possible, convaincre l’auditoire, et les lecteurs.

Le plan suivant doit guider cette méthode :

  1. Avoir une idée, formuler une hypothèse, faire une recherche,
  2. Lire la littérature : qu’est-ce qu’ont dit ou trouvé d’autres personnes ?
  3. Respecter une certaine éthique,
  4. Savoir quelle étude va être réalisée : transversale, cas-témoins, cohorte, méta-analyse, stratégie diagnostique, économique, décision,
  5. Rédiger le protocole,
  6. Mesurer, faire un questionnaire, récolter des données,
  7. Saisir, exploiter : faire l’étude statistique,
  8. Comparer, mettre en perspective, discuter,
  9. Etablir un budget, et un calendrier,
  10. Rédiger le mémoire, le soutenir en séance et le diffuser si possible (rarement fait…).

Important
Le cours est en général établi pour des mémoires à visée épidémiologique analysant souvent une grand nombre de données, à partir de dossiers ou de questionnaires ad hoc. Il ne s’applique pas directement aux autres types d’études : études de cas, études de documents, études historiques, études sociologiques, études psychologiques, mais le raisonnement reste le même : poser une question, mettre en place une méthode pour y arriver, analyser, discuter, conclure avec des preuves, et prendre du recul.
La quantification (l’utilisation de chiffres et de nombres) est une manière, pas la seule mais la plus sûre, d’appréhender et de comprendre le réel ++++.

1  -  Principes en Epidémiologie

Réaliser une enquête épidémiologique consiste à :

  • Décrire une situation de santé et les facteurs contribuant ou aggravant la santé,
  • Comparer les situations de santé en fonction des facteurs dits de risque ou d’exposition

1 . 1  -  Préalables

1 . 1 . 1  -  Variabilité en biologie

  • Au contraire de la physique et des mathématiques, en biologie, les phénomènes sont variables et ce, pour plusieurs raisons : (1) difficulté de la mesure : TA, durée de diarrhée, image radiologique, examen ana-path... ; (2) variabilité des individus entre eux.
  • La généralisation ne peut, alors, se faire qu'au prix d'infinis précautions, qui supposent des grands nombres pour réduire les écarts à la moyenne, et de guetter en permanence des biais d'observation qui empêchent toute comparaison avec d'autres populations. Le souvenir de quelques cas récents, marqués par l'affectif, ne peut remplacer les études publiées qui étudient des grandes séries.

1 . 1 . 2  -  Situation d'observation et situation expérimentale

Pour étudier un phénomène biologique, chaque fois que cela est possible, il faut se mettre en situation d'expérimentation où l’expérimentateur a le contrôle sur l’administration d’un facteur . Le plus souvent, on constitue un groupe avec le facteur étudié (par exemple un traitement médicamenteux), et un autre groupe sans le facteur. S’il y a une différence entre les deux groupes, et seulement dans ce cas d’étude, on peut parler de causalité car seul le facteur étudié varie entre les deux populations.
Quelquefois, la situation de type expérimental n'est pas possible, et le facteur étudié est aléatoire : il est distribué au hasard, et l’expérimentateur ne peut pas le modifier. On est alors dans une situation d’observation. Par exemple : tabac et grossesse, transferts des nouveau-nés et facteurs, sida et grossesse....

On peut parler de facteurs de risque soumis à 3 conditions :
(1) le facteur doit être statistiquement associé à la maladie,
(2) sa présence doit précéder l’apparition de la maladie,
(3) l’association ne doit pas être due à une source d’erreur, ou au hasard.
De plus, une relation de causalité est toujours difficile à mettre en évidence, en tout cas jamais de manière simple. Exemple : le tabac pendant la grossesse est associé au retard de croissance intra-utérin, mais en est-il la cause ?

Un facteur, pour être en relation de CAUSALITE, doit être soumis à plusieurs conditions :
(1) il doit être présent avant ou au début de la maladie,
(2) l’association statistique doit être forte,
(3) l’association doit être constante dans toutes les études,
(4) l’association doit être spécifique (c’est-à-dire qu’il n’y a pas d’autres facteurs de causalité),
(5) l’association augmente avec l’exposition au facteur (dose-effet),
(6) les données scientifiques sont cohérentes avec l’association (effet biologique connu expérimentalement par exemple).

1 . 1 . 3  -  Nécessité de comparer

Dire que 70 % des gens sont améliorés par un médicament, une intervention, ou toute action de santé ne veut rien dire en soi et en terme de généralisation. Le produit n'a peut-être rien fait et c'est seulement l'évolution spontanée, ou bien il n'a apporté que 10 % d'effet supplémentaire, ou bien il a empêché 90 % d'évolution spontanée... De plus, un autre échantillon aurait peut-être eu une évolution différente.
D'où l'intérêt de comparer avec l'évolution spontanée, ou de comparer deux manières de faire ou de voir. Pour pouvoir comparer deux groupes, deux techniques :

  • le sujet pris comme son propre témoin : le même sujet reçoit une semaine le produit A, puis la semaine suivante le produit B.
  • constitution de deux groupes parallèles, l’un recevant A, l’autre recevant B(ou un placebo). Seul le tirage au sort peut répartir sans biais (sauf celui du hasard) les sujets qui recevront tel ou tel produit. Tout autre attitude est risquée : initiale du nom, jour de semaine, une fois sur deux, sexe, hôpital....

1 . 1 . 4  -  Raisonnement en sciences

Il est beaucoup plus facile d'affirmer qu'une situation est fausse (ou que l'on a tort), que de dire le vrai (ou que l'on a raison). Les sciences ont progressé par éliminations successives de données fausses, pour cerner progressivement le vrai. En statistiques, l'hypothèse de départ est que les groupes sont comparables, et on cherche à montrer qu'elle est fausse : c'est l'hypothèse nulle ou Ho.
L'affirmation (par un test approprié) que cette hypothèse est fausse veut donc dire que les groupes diffèrent. Mais cette assertion s'accompagne d'un risque d'erreur, du au hasard, pris souvent à 5 %.

1 . 1 . 5  -  Modélisation

Pour appréhender le réel, on essaie autant que faire se peut, de calquer les données observées sur un modèle mathématique. C'est à partir de ce modèle que les raisonnements seront élaborés. D'où l'importance de faire le lien entre la réalité et le modèle, et de pouvoir prouver que le modèle est le bon, ou encore que l'hypothèse du modèle est "robuste".
Le modèle, dans la plupart des ouvrages de Statistique est la loi Normale. On peut montrer en effet que, sur une grande population (le terme « grand » sera défini plus loin), les écarts sont égaux, en plus ou en moins. Il n'est pas nécessaire d'en connaître les finesses, mais il faut en permanence, savoir si on est en droit de l'utiliser : ce sont l'étude des conditions de validité qu'il faut en permanence étudier avant de commencer. Les autres modèles utilisés sont : la loi binomiale, la loi du X², la loi de Student, la loi de F, la régression linéaire.... L'absence d'hypothèse d'une distribution mathématique des variables peut néanmoins se faire, et on utilise alors des tests dits "non paramétriques".

1 . 2  -  LES Statistiques et LA Statistique

  • LES Statistiques = dénombrement simple, avec tris, classement, catégories....
  • LA Statistique = comparaison de données dans un but descriptif, diagnostique, étiologique, ou pronostique.

La démarche est la suivante :

Plan d'étude d'un problème de statistique
1. Problème posé
2. Utilisation d'un test
3. Hypothèse : le plus souvent hypothèse nulle (Ho)
4. Conditions de validité du test/ données
5. Réalisation du test, calcul
6. Interprétation
7. Conclusion

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