3  -  Clinique

3 . 1  -  Aspergilloses de l’appareil respiratoire

3 . 1 . 1  -  Aspergilloses pulmonaires chroniques (APC)

Les formes chroniques touchent les patients immunocompétents ou modérément immunodéprimés qui présentent une pathologie pulmonaire préexistante. On distingue quatre formes :

l’aspergillome simple résulte d’une conglomération d’hyphes aspergillaires, de mucus et de débris cellulaires dans une cavité pulmonaire préexistante (le plus souvent secondaire à une tuberculose ou à un emphysème) communiquant avec les bronches. Ainsi, une balle fongique, ou truffe aspergillaire, envahit toute la cavité en laissant un espace clair au niveau du sommet (signe radiologique du « grelot ») (figure 27.2). A. fumigatus est l’espèce le plus souvent incriminée. Cette forme d’aspergillose est le plus souvent asymptomatique et de découverte radiologique fortuite mais peut être associée à des symptômes mineurs comme toux, expectorations, mais aussi plus important telle que des hémoptysies ;

l’aspergillose pulmonaire chronique cavitaire (APCC) est définie par la formation de cavités qui peuvent ou non contenir un aspergillome, associées à des symptômes pulmonaires et systémiques (altération de l’état général, fièvre) marqués ainsi qu’à une élévation des marqueurs biologiques de l’inflammation. Lorsqu’il y a présence d’aspergillome, on parle d’aspergillome compliqué ;

l’aspergillose pulmonaire chronique fibrosante (APCF) est une complication de l’APCC qui résulte en une destruction fibrotique sévère, entraînant une perte majeure de la fonctionnalité du poumon infecté ;

l’aspergillose pulmonaire chronique nécrosante (APCN), ou aspergillose semi-invasive, est une forme intermédiaire entre l’aspergillose invasive et l’aspergillose chronique. Elle survient chez les patients avec immunosuppression modérée (éthylisme, diabète, maladies de système, dénutrition…), qui souffrent d’une maladie pulmonaire sous-jacente. Il s’agit d’une forme qui cause une destruction inflammatoire progressive du tissu pulmonaire. L’évolution de cette forme est plus rapide que celle de l’APCC.

Fig. 27.2 Tomodensitométrie pulmonaire, reconstructions sagittale (A) et coronale (B) d’un aspergillome simple du lobe supérieur droit, avec une image « en grelot » typique
Fig. 27.2 Tomodensitométrie pulmonaire, reconstructions sagittale (A) et coronale (B) d’un aspergillome simple du lobe supérieur droit, avec une image « en grelot » typique.

3 . 1 . 2  -  Aspergilloses immunoallergiques

Le champignon filamenteux se comporte ici comme tout autre allergène et peut entraîner quatre tableaux principaux.

Asthme aspergillaire
Il se traduit par un asthme (sans infection fongique pulmonaire) qui survient et s’aggrave dans des conditions de forte exposition aux spores aspergillaires. Il est accompagné de signes biologiques d’hypersensibilité immédiate.

Rhino-sinusite fongique allergique
Elle survient habituellement chez des sujets jeunes et associe sinusite chronique, obstruction nasale, polype nasal et hyperéosinophilie sanguine. Les champignons le plus souvent en cause sont du genre Aspergillus, mais d’autres moisissures peuvent également être retrouvées.

Alvéolite allergique extrinsèque
Il s’agit d’une alvéolite lymphocytaire provoquée par l’inhalation massive et répétée de spores fongiques chez des sujets non atopiques. Les circonstances d’exposition sont essentiellement liées à des risques professionnels (manipulation de grain ou de foin moisi) — l’affection dite du « poumon de fermier » en est l’exemple type. Cette atteinte évolue avec des épisodes de toux, dyspnée, fièvre et râles crépitants pulmonaires à chaque exposition à l’allergène. La répétition des accès peut conduire à la chronicité avec un tableau d’insuffisance respiratoire chronique par fibrose interstitielle, ou à la bronchite chronique. La détection de précipitines (anticorps antiaspergillaires précipitants) en l’absence de tout terrain atopique contribue au diagnostic.

Aspergillose bronchopulmonaire allergique
L’aspergillose bronchopulmonaire allergique (ABPA, ou maladie de Hinson-Pepys) survient sur un terrain propice (asthme, mucoviscidose). Il s’agit d’une réponse immunitaire à une colonisation trachéobronchique aspergillaire chronique. Le diagnostic, difficile mais plus aisé en phase d’exacerbation, repose sur l’association d’une dyspnée fébrile avec infiltrats pulmonaires et signes biologiques d’hypersensibilité, et d’une sérologie (détection d’anticorps spécifiques) aspergillaire.

3 . 1 . 3  -  Aspergilloses sinusiennes

Elles sont à l’origine d’un aspergillome sinusien, le plus souvent unilatéral et maxillaire. Ce tableau de sinusite chronique est fréquemment d’origine dentaire (pâte dentaire, extraction). Rarement, il peut évoluer en aspergillose invasive, notamment locorégionale (sinus paranasaux, orbites, cerveau) chez le patient immunodéprimé.

3 . 1 . 4  -  Aspergillose pulmonaire invasive

Forme la plus grave, l’aspergillose pulmonaire invasive (API) est de mauvais pronostic, en partie parce qu’elle touche des patients sévèrement immunodéprimés. La mortalité, malgré le traitement, dépasse souvent 50 %. Le facteur favorisant majeur est l’agranulocytose (PNN inférieurs à 0,1 giga/L) ou la neutropénie profonde et prolongée (PNN inférieurs à 0,5 giga/L pendant plus de 10 jours), plus ou moins associée à une corticothérapie à forte dose, supérieure ou égale à 1 mg/kg par jour d’équivalent-prednisone pendant plus de 3 semaines. Les nouveaux traitements immunosuppresseurs tels que les anti-TNF sont également des facteurs favorisants de l’API. Ainsi, plusieurs catégories de patients sont considérées à haut risque : les patients atteints d’hémopathie maligne, allogreffés de cellules souches hématopoïétiques, les transplantés d’organes solides, mais aussi les patients sous corticothérapie et/ou chimiothérapie prolongée(s), ou encore les patients atteints de déficit immunitaire congénital.

Le diagnostic doit être évoqué chez tout patient immunodéprimé devant une fièvre persistante depuis plus de 48 heures à une antibiothérapie à large spectre. Le diagnostic sera étayé par l’utilisation précoce d’un scanner thoracique (figure 27.3), par l’examen mycologique de prélèvements pulmonaires et la recherche d’antigènes sériques ou dans le lavage bronchiolo-alvéolaire. Le scanner thoracique peut montrer des images plus ou moins typiques, comme le « signe du halo ». Ce signe est précoce, péri-lésionnel, et correspond au liseré hémorragique entourant le foyer rond d’infarctus pulmonaire. Cette image est fugace et visible quelques jours pendant la phase d’aplasie. Son caractère transitoire justifie pour certains la réalisation rapide d’un scanner thoracique chez le patient neutropénique à haut risque d’infection fongique. Chez les patients non neutropéniques, les lésions pulmonaires sont plus polymorphes et non spécifiques. En fonction de la durée d’évolution, une excavation du nodule, donnant une image en croissant gazeux, peut apparaître. En dépit des avancées technologiques, l’API reste un diagnostic difficile et communément classé comme « possible », « probable » ou « certain », en fonction des arguments disponibles. Les localisations secondaires des formes disséminées doivent toujours être recherchées. Elles sont cérébrales (sous forme de nodules), sinusiennes, hépatiques, péritonéales, rénales, cardiaques (endocardites), osseuses et cutanées.

Le diagnostic de l’API demeure difficile et se pose sur un faisceau d’arguments à la fois épidémiologiques, cliniques, radiologiques et biologiques.
Fig. 27.3 Aspergillose pulmonaire invasive chez un sujet immunodéprimé (TDM)
Fig. 27.3 Aspergillose pulmonaire invasive chez un sujet immunodéprimé (TDM).

3 . 2  -  Aspergilloses extra respiratoires

En général de pronostic favorable, ces formes sont :

  • auriculaires : avec les otomycoses, fréquemment dues à A. niger, favorisées par des lésions préexistantes du conduit auditif externe (eczéma, otorrhée chronique, malformation anatomique) et par l’usage des corticoïdes locaux ;
  • oculaires : elles sont le plus souvent primaires post-traumatiques (projectiles inertes ou végétaux souillés par des Aspergillus) ; il s’agit principalement de kératite ou de choriorétinite ;
  • cutanées : elles surviennent chez les grands brûlés ; la peau peut également être le siège de métastases septiques au cours de l’API ;
  • unguéales : l’onychomycose aspergillaire est rare ; le diagnostic n’est affirmé que sur la présence répétée d’Aspergillus à l’examen direct et en culture pure à tous les points d’ensemencement.

3 . 3  -  Autres mycoses fréquentes liées à des moisissures opportunistes

Les zygomycoses (ou mucormycoses), les fusarioses, les scédosporioses, cosmopolites, ont également une expression pulmonaire évoquant une API. Elles peuvent disséminer à la peau et au cerveau.

La pénicilliose à T. marneffei, endémique uniquement en Asie du Sud-Est, se manifeste par une fièvre avec signes pulmonaires, une altération de l’état général, une adéno-hépato-splénomégalie. Secondairement apparaissent des lésions cutanées (papules ombiliquées) pouvant aussi évoquer une cryptococcose ou une histoplasmose.

3/5