8  -  Régulation du métabolisme des protéines


Cette régulation est d’une part hormonale, d’autre part nutritionnelle (c’est-à-dire par les substrats eux-mêmes). Cette distinction est artificielle puisque dans la majorité des circonstances physiologiques, ces deux modes de régulation sont simultanés et agissent en synergie lors de la prise alimentaire.

⇒ Régulation hormonale

Les hormones peuvent être anabolisantes (favorisant le gain protéique) ou catabolisantes (favorisant la perte protéique).

L’insuline

Il s’agit d’une hormone anabolisante indispensable au gain protéique et à la croissance. Son mécanisme d’action en terme de synthèse et de protéolyse continue cependant à faire l’objet d’une vive controverse. Un gain protéique peut en effet être obtenu par augmentation de la synthèse protéique, par réduction de la protéolyse ou par les deux phénomènes combinés.
Au niveau cellulaire et moléculaire, l’insuline augmente la synthèse protéique en stimulant la transcription et la traduction. Au niveau tissulaire, l’insuline stimule la synthèse protéique musculaire en particulier chez l’animal jeune en croissance ou lorsqu’elle est utilisée à dose pharmacologique ou lorsque de l’insuline est rajoutée à partir d’une situation totalement insulino-prive. Cette dernière situation est fréquente in vitro où sont volontiers comparés des milieux « avec » et « sans » insuline ne reflétant pas la réalité physiologique où l’insuline n’est jamais complètement absente.
Chez l’adulte, et en particulier chez l’homme, l’insuline est anabolisante essentiellement par une réduction de la protéolyse que ce soit au niveau du corps entier ou du muscle. Dans cette situation, l’insuline ne semble pas avoir d’effet sur la synthèse protéique. En dehors de problèmes méthodologiques, cette apparente dissociation des effets de l’insuline semble être liée essentiellement à l’âge, les études animales ayant lieu presque exclusivement sur des animaux en croissance alors qu’à l’inverse, aucune étude de ce type n’est disponible chez l’enfant. Par ailleurs, l’effet stimulant de l’insuline sur un tissu peut être contrebalancé par un effet inhibiteur sur la synthèse protéique d’autres tissus comme le suggèrent des études récentes de cathéterismes tissulaires multiples.

L’hormone de croissance

Elle est anabolisante essentiellement par un effet stimulant de la synthèse protéique agissant directement et par l’intermédiaire des facteurs de croissance (IGF1). Cette propriété pourrait être exploitée chez l’homme pour prévenir la fonte musculaire du sujet âgé (et de façon illégale dans les milieux sportifs pour augmenter la masse musculaire). L’hormone de croissance bovine dont le mécanisme d’action est similaire est largement utilisée pour augmenter la production de lait chez la vache.

Les catécholamines

Contrairement à l’idée couramment reçue, il est bien démontré maintenant que les catécholamines ne sont pas des hormones catabolisantes vis-à-vis du métabolisme protéique. Selon les auteurs, elles réduisent la protéolyse ou augmentent la synthèse protéique, l’application la plus classique de ces propriétés anabolisantes étant l’utilisation de bêta-agonistes de type clembutérol pour la production de viande de boucherie. En tout état de cause, ce ne sont donc pas les catécholamines « hormones de stress » qui sont responsables de la fonte musculaire des patients de réanimation.

Les glucorticoïdes

Ils sont catabolisants par l’augmentation de la protéolyse musculaire et par l’inhibition de la traduction des protéi¬nes comme en témoignent les fontes protéiques constatées lors des hypercorticismes (maladie de Cushing) ou des traitements glucocorticoïdes au long cours.

Les hormones thyroïdiennes et le glucagon

Ils ont des effets plus complexes :
• en ce qui concerne les hormones thyroïdiennes, l’hyperthyroïdie induit une fonte musculaire suggérant une augmentation de la protéolyse et également une réduction des synthèses protéiques dans différents tissus. Cependant, ces phénomènes et en particulier la réduction de synthèse protéique sont retrouvés également dans les situations d’hypothyroïdie et l’on sait également que les hormones thyroïdiennes sont indispensables à la croissance. Il est donc difficile de classer les hormones thyroïdiennes comme anabolisantes ou catabolisantes et l’on peut dire qu’un niveau optimal moyen d’hormone thyroïdienne est nécessaire à un bon équilibre entre synthèse et dégradation.
• en ce qui concerne le glucagon, son importance réelle dans la régulation du métabolisme protéique est contestée et semble se situer surtout au niveau du métabolisme splanchnique des acides aminés. Malgré des données contradictoires, un effet catabolisant semble prédominant.

Les cytokines (TNF, interleukines)

Elles sont catabolisantes au niveau du muscle. Leurs effets varient selon les cytokines et les tissus. Les cytokines comme TNF agissent en synergie avec le cortisol et la combinaison de leurs effets provoque une protéolyse rapide et massive à l’origine d’une fonte protéique musculaire.

Régulation nutritionnelle

Elle sera envisagée sous deux aspects :

  • d’abord la régulation par les substrats eux-mêmes, qu’il s’agisse des acides aminés ou des autres substrats énergétiques,
  • ensuite l’évolution du métabolisme protéique au cours des différentes circonstances nutritionnelles que sont le repas et le jeûne.



⇒ Régulation par les substrats


a) les acides aminés : que ce soit in vitro ou in vivo, les acides aminés stimulent globalement la synthèse protéique. Cet effet est particulièrement net pour les acides aminés branchés, cette spécificité ne s’étant toutefois pas traduite par une efficacité particulière des solutés enrichis en acides aminés branchés en raison d’une possible compétition entre les acides aminés.

b) les autres substrats énergétiques : de façon générale, un apport énergétique suffisant est indispensable au maintien d’un bilan azoté neutre ou positif. La source des apports énergétiques n’est pas indifférente et classiquement, les glucides auraient un effet d’épargne azotée supérieur à celui des lipides au moins dans des circonstances d’apport énergétique limité. Cette notion est très discutée voire erronée pour certains et de toute façon, n’est plus vrai lorsque les apports énergétiques sont excédentaires.

Cette liaison entre apports énergétiques et métabolisme protéique relève de plusieurs mécanismes complémentaires :

  • le renouvellement protéique (synthèse mais aussi protéolyse) est, comme vu plus haut, un consommateur d’énergie important. Une limitation de l’apport énergétique se traduira donc par son ralentissement.
  • les acides aminés et le glucose sont en compétition au niveau de l’oxydation mitochondriale par un mécanisme similaire à celui du cycle de Randle entre glucose et lipides. Un déficit d’apports en ces substrats énergétiques se traduira donc par une oxydation plus importante des acides aminés qui ne seront plus disponibles pour la synthèse protéique.
  • certains substrats (acides gras à chaine moyenne par exemple) peuvent avoir un effet spécifique d’activation des enzymes de dégradation des acides aminés.
  • les substrats énergétiques agissent enfin par l’intermédiaire des hormones et en particulier, par l’insuline (glucose → insuline → réduction de la protéolyse).


Régulation du métabolisme protéique au cours de différents états nutritionnels

On définit trois états successifs en physiologie de la nutrition :

  • l’état nourri correspond à la période pendant laquelle des nutriments ingérés arrivent du tube digestif dans la circulation. Selon le type de nutriments, il dure entre 3 et 8 heures après un repas.
  • l’état post-absorptif correspond aux 12 à 18 heures suivant l’état nourri, c’est-à-dire le matin à jeun.
  • Il est suivi par le jeûne, soit court (2 à 3 jours), soit prolongé (supérieur à 3 jours).


L’évolution générale du métabolisme protéique est la  suivante :

a) À l’état post-absorptif,
la synthèse, la protéolyse et l’oxydation sont à leur niveau basal, la protéolyse étant légèrement supérieure à la synthèse et l’organisme étant donc en bilan négatif. Ce niveau basal de renouvellement protéique dépend des apports protéiques des jours précédant, il est accéléré en cas d’apports importants, réduit en cas d’apports faibles. Au niveau tissulaire, dans cette circonstance, le muscle est un producteur net d’acides aminés en quantité modérée.

b) Lors d’un repas (état nourri) :
par des mécanismes liés à la fois à l’apport en substrats et à l’hyperinsulinisme, l’organisme est alors en bilan positif. L’oxydation des acides aminés dans le muscle (pour les acides aminés branchés) et surtout dans le foie, augmente massivement ce qui correspond à un azote urinaire élevé. Cette augmentation est proportionnelle aux apports protéiques et correspond pour l’organisme à un moyen d’éliminer les acides aminés excédentaires, le but recherché étant l’obtention à la fin d’un nycthémère (état nourri + état post absorptif) d’un bilan azoté nul. Ceci explique l’impossibilité d’augmenter la masse protéique de l’organisme par simple augmentation des apports protéiques.
En ce qui concerne la synthèse et la protéolyse, le gain protéique est obtenu au niveau du foie, essentiellement par réduction de la protéolyse et au niveau du muscle (qui à l’état nourri stocke des acides aminés) par augmentation de la synthèse protéique, au moins chez l’animal jeune en croissance. Au niveau du corps entier, les données restent plus controversées : il existe indiscutablement une réduction de la protéolyse globale au moment du repas et peut être une augmentation modérée de synthèse.

c) L’organisme repasse ensuite à l’état post absorptif puis au jeûne court :
De multiples modifications hormonales (diminution de l’insulinémie) et des métabolismes (augmentation de la néoglucogénèse, de la lipolyse puis de la cétogénèse) vont survenir. Lors du jeûne court, la bilan azoté est initialement fortement négatif avec des pertesazotées importantes. À cette phase, la protéolyse est élevée, le muscle fournissant des acides aminés pour la néo-glucogénèse et la synthèse protéique diminue lentement.

d) Au cours du jeûne long,
l’excrétion azotée va diminuer pour se stabiliser aux environs de 50 mg/kg/jour, ce qui constitue les pertes azotées obligatoires. La protéolyse reste bien sûr supérieure à la synthèse (d’où le bilan négatif) mais, globalement le renouvellement protéique tend à diminuer avec des valeurs de protéolyse qui sont rapidement inférieures à ce qu’elles sont à l’état post absorptif. Cette épargne azotée relative, permettant de minimiser la réduction de la masse protéique, est un mécanisme essentiel de défense au cours du jeûne chez l’homme et les mammifères. Il permet une survie prolongée de 40 à 60 jours, le décès survenant lorsque la masse protéique descend en dessous d’une valeur que l’on peut estimer à 50 %-60 % de la masse initiale. Le mécanisme d’épargne azotée relative reste inconnu, il ne semble pas hormonal, mais dépendrait plutôt des substrats énergétiques privilégiés au cours du jeûne que sont les acides gras et les corps cétoniques.

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