2 . 3  -  Stratégie de prise en charge collectives et individuelles

Quel que soit le facteur de risque cardio-vasculaire envisagé, le seuil de traitement (médicamenteux ou non médicamenteux) s’est progressivement abaissé au cours des dernières années. La conséquence principale de cet abaissement a été la prise en charge d’un nombre croissant d’individus asymptomatiques à l’échelon de la population. Un grand nombre d’individus exposés à un faible risque sont responsables d’un plus grand nombre d’accidents ou de décès cardiovasculaires qu’un petit nombre d’individus exposés à un grand risque.

2 . 3 . 1  -  Stratégie collective

Il s’agit de réduire le nombre de facteurs de risque dans une population par des moyens nonpharmacologiques tels que des campagnes de lutte contre l’alcoolisme, le tabagisme et la sédentarité, des campagnes de sensibilisation de l’opinion sur la consommation en sel, en graisses saturées, de fruits et de fibres en impliquant l’industrie agroalimentaire, etc. L’impact d’une stratégie de prévention en population est probablement large. Ainsi une diminution de 3 à 5 mmHg de la moyenne de PA de la population pourrait réduire à elle seule de 10 % environ la mortalité cardio-vasculaire. On estime qu’une baisse de 2 mmHg de la PA diastolique de l’ensemble de la population réduirait autant l’incidence des événements coronariens et participerait à hauteur de 93 % à la réduction de l’incidence des AVC directement en rapport avec la prescription d’un traitement antihypertenseur chez les hypertendus ayant une PA diastolique supérieure à 95 mmHg.

La stratégie de prévention en population a aussi pour objectifs 1) d’éviter l’acquisition des facteurs de risque en particulier chez les enfants, 2) d’empêcher l’augmentation de niveau des facteurs de risque au cours du temps chez les sujets à niveau de risque moyen afin d’éviter la prescription de médicaments avec ses conséquences médicales, économiques et biologiques et 3) de réduire le nombre de sujets à haut risque nécessitant un traitement médicamenteux. Les bénéfices de cette stratégie sont larges pour la société mais non mesurables à l’échelon individuel. Cet aspect de la prévention ne peut être entrepris qu’avec l’aide des autorités sanitaires et politiques d’un pays (exemple : loi anti-tabac, messages télévisuels de prévention nutritionnels et de lutte contre la sédentarité … ).

2 . 3 . 2  -  Stratégie individuelle

A l’échelon individuel, la prévention cardio-vasculaire se concentre sur les sujets à haut risque cardiovasculaire afin de diminuer leur risque individuel d’accident cardio vasculaire. Chaque facteur de risque cardio-vasculaire pris isolément n'est que l'un des facteurs de risque parmi les autres. Certains d’entre eux, tels que l’âge et le sexe, sont non modifiables. Les autres, tels que la PA, le diabète et le tabagisme, le taux de cholestérol, ou d’une hypertrophie ventriculaire gauche, sont modifiables. Les facteurs de risque peuvent s’additionner chez un même individu augmentant de façon considérable le risque cardio-vasculaire individuel. L’importance majeure des cofacteurs de risque fait que l’on ne peut estimer avec justesse le risque cardio-vasculaire d’un patient qu’en tenant compte de tous ses facteurs de risque. Cette notion de prédiction prend tout son sens lorsqu’on la replace dans le contexte d'un risque continu. Plutôt que d'isoler les sujets à haut risque sur la base du niveau d'un seul facteur de risque, il devient important d'isoler les sujets ayant un risque global élevé, et d'intervenir sur les facteurs de risque dont la modification a été démontré efficace dans les essais thérapeutiques, notamment la PA et le cholestérol. Le bénéfice de cette stratégie est grand à l’échelon individuel, puisque le risque de chacun des individus est grand.
Le nombre de sujets appartenant à cette catégorie à haut risque étant faible, le bénéfice de la stratégie de prévention appliquée uniquement aux sujets à haut risque est faible en terme de réduction de la morbidité ou la mortalité cardio-vasculaire pour la société. Les deux stratégies de prévention individuelle et en population ne sont pas mutuellement exclusives mais sont synergiques, complémentaires et nécessaires.

2 . 3 . 3  -  L'évaluation du risque cardio-vasculaire

Une nouvelle identification des patients à haut risque cardio-vasculaire doit être réalisée sur la base de l’ensemble de leurs facteurs de risque, autrement dit sur leur risque global, individualisé, de faire une maladie cardio-vasculaire. Le risque global est la probabilité de présenter un événement sur une période de temps donné obtenue sur la base des principaux facteurs de risque connus. L’évaluation des facteurs de risque et du profil de risque cardio-vasculaire des patients, première étape de la prévention primaire, guide la stratégie ultérieure de prise en charge thérapeutique. L’intensité des mesures de prévention cardio-vasculaire est ainsi directement fonction du niveau de risque cardiovasculaire du patient. Les principales recommandations de prévention cardiovasculaire actuelles prennent en compte, avec des méthodologies diverses, le profil de risque cardiovasculaire du patient. La méthodologie employée peut être semi-quantitative ou calculée à partir des équations de risque. Mais comme pour la PA ou la cholestérolémie, le risque cardiovasculaire est une variable continue sans seuil: ainsi toute définition d'un seuil pathologique, comme pour toute variable biologique, est arbitraire... Il faut rappeler que si le patient a déjà fait un infarctus du myocarde ou un AVC, il doit être classé d'emblée comme à très haut risque cardiovasculaire. Chez ce type de patient les recommandations de prise en charge sont celles de la prévention secondaire.

2 . 3 . 4  -  Calcul du risque cardio-vasculaire

Il est possible d’estimer le risque coronarien et cérébro-vasculaire absolu chez chaque patient (qui représente pour un patient, la probabilité de présenter un événement cardio-vasculaire sur une période de temps), grâce à des équations établies sur des populations, la plus utilisée étant celle de Framingham. Les variables incluses dans l’équation de prédiction du risque d’accident coronarien sont le sexe, l’âge, la valeur de la PA systolique, la valeur du cholestérol total et du HDL cholestérol, la consommation de tabac (oui/non), un diabète (oui/non), une hypertrophie ventriculaire gauche définit sur un ECG (oui/non). Ces différents paramètres sont pondérés par des coefficients traduisant leur impact sur le risque. L’équation de Framingham permet aussi l’évaluation du risque cérébro-vasculaire.

Toutefois, l’utilisation du risque n’est pas si aisée pour plusieurs raisons. La première difficulté concerne la validité de la prédiction. Ainsi, dans certaines conditions, les scores peuvent être très imprécis : la valeur prédictive est considérablement moins fiable chez les sujets jeunes et pour des niveaux de risque faible. Les facteurs qui ne sont pas pris en compte dans ce modèle, tels que les antécédents familiaux de maladie cardiovasculaire, le type d’obésité, de nouveaux facteurs de risque (taux de fibrinogène plasmatique, certains paramètres génétiques, le taux de CRP...) peuvent expliquer la sur- ou la sous-estimation du risque dans certains cas.

Une autre difficulté concerne la validité dans le temps et la validité géographique de la prédiction du risque. La validité temporelle doit être analysée en raison des modifications avec le temps du profil de risque d’une population. La validité géographique porte sur l’applicabilité de cette mesure à différentes populations selon leurs caractéristiques propres. Par exemple, on sait que le risque de maladie coronarienne est inférieur en France à celui constaté aux Etats-Unis ou dans le nord de l’Europe. Cependant, les risques relatifs observés pour les facteurs de risque classiques demeurent comparables. L’équation de Framingham qui, appliquée à la population Française induit une surévaluation du risque, a pu être adaptée en changeant le mode de calcul du modèle par Laurier.

Les autres équations, notamment celle issue de l’enquête Prospective Parisienne en France ou de l’étude PROCAM (Munster, Allemagne), ont une utilisation potentielle plus restreinte (hommes d’âge moyen).

Concrètement, des tables dérivées de l’équation de Framingham sont disponibles pour permettre un calcul du risque. Toutefois, les tables de risque manquent de précision et le médecin ne dispose pas systématiquement des recommandations qui les fournissent.

Différents outils informatiques ont été développés pour estimer le risque, c’est-à-dire la probabilité absolue d’avoir un événement cardiovasculaire, habituellement sur une période de dix ans. Certains de ces outils, fondés sur les données de Framingham, ne sont pas applicables à la totalité des populations européennes qui sont très hétérogènes quant à l’incidence des événements coronaires et cérébro vasculaires. Plus récemment un modèle européen a été développé à partir de la grande base de données du projet SCORE. Les diagrammes SCORE existent pour les pays européens à haut risque et à faible risque (voir charte plus bas). Ils estiment le risque d’un décès de cause cardiovasculaire (et pas simplement coronaire) sur dix ans, et une calibration en est possible pour un pays particulier, pour autant que les statistiques nationales de mortalité et la prévalence des grands facteurs de risque soient connues pour ce pays. Le modèle SCORE est également utilisé dans HeartScore, l’outil officiel de la Société Européenne de Cardiologie (ESC) pour la prévention cardiovasculaire en pratique clinique. Cet outil est disponible sur le site web de l’ESC (www.escardio.org).

La notion de risque global est suffisamment pertinente pour avoir été intégrée dans les dernières recommandations pour la pratique clinique soit de manière implicite (encouragement à traiter les patients à plus haut risque pour un même niveau tensionnel) voire de manière explicite. Dans le contexte de la prévention primaire, un haut niveau de risque cardio-vasculaire à 10 ans justifie une stratégie thérapeutique agressive et le recours à des traitements pharmacologiques.

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