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Clinique
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Accès palustre simple de l’adulte
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Incubation
L’incubation correspond à la durée de la phase hépatocytaire (7 à 12 jours pour P. falciparum) et est totalement asymptomatique.
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Invasion
L’invasion correspond au début de la phase érythrocytaire. Elle est marquée par l’apparition d’une fièvre brutale, continue ou irrégulière, souvent accompagnée d’un malaise général avec myalgies, céphalées et troubles digestifs (anorexie, douleurs abdominales, nausées, vomissements et, parfois, diarrhée). On parle d’« embarras gastrique fébrile ». L’examen clinique est, à ce stade, souvent normal ; le foie et la rate ne sont pas palpables. Ultérieurement, le foie peut augmenter de volume et devenir un peu douloureux, en particulier chez l’enfant ; la rate devient palpable au bout de quelques jours ; les urines sont rares et foncées. C’est la forme clinique le plus souvent observée en France métropolitaine — due à P. falciparum dans plus de 80 % des cas — chez les patients de retour de voyage.
Le tableau clinique est donc totalement non spécifique et le risque majeur est de « passer à côté du diagnostic » si l’on n’a pas la notion d’un voyage en zone d’endémie. Or le malade peut, en cas d’infection à P. falciparum, à tout moment et en quelques heures, évoluer de l’« accès simple » (c’est-à-dire non compliqué) vers un accès grave, d’évolution rapidement mortelle en l’absence d’une prise en charge adaptée.
Au début de l’épisode, aucun argument épidémiologique, clinique ou biologique ne permet de faire un pronostic et de savoir si un patient évoluera ou non vers un tableau grave. En conséquence,
le diagnostic du paludisme est une urgence médicale : «
Toute fièvre,
toute symptomatologie chez un patient de retour d’une zone d’endémie palustre est un paludisme jusqu’à preuve du contraire. »
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Accès palustre simple à fièvre périodique
Cette forme clinique correspond à la description de la triade classique de l’accès palustre : « frissons, chaleur, sueurs » survenant tous les 2 ou 3 jours. En pratique, elle n’est observée de manière typique que dans les infestations à P. vivax, P. ovale et P. malariae, faisant suite à un accès de primo-invasion non traité, mais pouvant aussi survenir longtemps après l’épisode fébrile initial (accès de reviviscence à partir des hypnozoïtes de P. vivax ou P. ovale ou accès tardifs de P. malariae).
L’accès est souvent précédé d’une phase prodromique qui associe lassitude et troubles digestifs. Il débute classiquement le soir et dure une dizaine d’heures, associant successivement :
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frissons : ils sont violents ; le malade se blottit sous ses draps alors que sa température atteint ou dépasse 39 °C ; la rate augmente de volume, la tension artérielle diminue ; cette phase dure environ 1 heure ;
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chaleur : la température peut dépasser 40 °C, la peau est sèche et brûlante et le malade rejette ses draps ; cette phase s’accompagne de céphalées et de douleurs abdominales ; elle dure 3 à 4 heures ;
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sueurs : ce sont des sueurs profuses qui baignent le malade ; le malade émet des urines foncées, la température s’effondre brusquement, avec même parfois une phase d’hypothermie ; la tension artérielle remonte ; ce stade dure 2 à 4 heures et est suivi d’une sensation de bien-être, d’euphorie, concluant la crise.
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fièvre tierce avec clocher thermique survenant à J1, J3, J5… Elle correspond à une schizogonie de 48 heures. En pratique, elle peut être régulière et correspondre à une infection par P. vivax ou P. ovale (fièvre tierce bénigne). Elle peut être irrégulière et faire suite à un accès de primo-invasion à P. falciparum (fièvre tierce maligne) ; dans ce dernier cas, il faut toujours redouter l’évolution possible vers un accès grave ;
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fièvre quarte avec clocher thermique survenant à J1, J4, J7… Elle correspond à une schizogonie de 72 heures et est donc observée exclusivement au cours des infections à P. malariae ;
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fièvre quotidienne avec clocher thermique survenant toutes les 24 heures pour les rares accès dus à P. knowlesi ou, parfois, pour des infections par deux clones de P. falciparum décalés de 24 heures.
Quelle que soit l’espèce en cause, la répétition de ces accès s’accompagne d’une anémie et d’une splénomégalie progressivement croissantes. Cela explique que tout paludisme, même dû à une espèce autre que P. falciparum, peut à terme avoir des répercussions graves, notamment chez les enfants. La splénomégalie palustre peut rarement se compliquer de rupture et, exceptionnellement, d’infarctus de la rate.
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Accès grave
Le paludisme à P. falciparum du sujet non immun (jeune enfant en zone d’endémie, femme enceinte, expatrié, voyageur) est potentiellement mortel. Le décès, quand il survient, est secondaire à la défaillance aiguë d’une ou de plusieurs grandes fonctions, et ce, parfois, même si le traitement étiologique s’avère parasitologiquement efficace. Seule l’instauration rapide, avec le traitement médicamenteux efficace, d’une réanimation adaptée peut alors sauver le malade.
Il est donc absolument fondamental de connaître les critères de gravité du paludisme à P. falciparum (cf. infra) pour identifier les patients qui justifient d’une hospitalisation en urgence avec monitorage des fonctions vitales, le plus souvent dans une unité de soins intensifs — l’avis des réanimateurs est requis.
Un paludisme grave peut se manifester cliniquement par différentes atteintes organiques dont la plus redoutable est l’atteinte cérébrale. On regroupe sous le terme de neuropaludisme (accès pernicieux ou cerebral malaria chez les Anglo-Saxons) toutes les manifestations neurologiques aiguës, conséquences de l’atteinte cérébrale au cours de l’accès palustre : troubles de la conscience, prostration et convulsions.
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Début progressif ou brutal
Le neuropaludisme à début plus progressif chez l’adulte est marqué par l’installation d’une fièvre irrégulière et d’un syndrome algique diffus associé à des troubles digestifs. L’examen clinique peut déjà révéler une composante neurologique (intensité des céphalées, prostration) faisant évoquer l’évolution vers un paludisme grave.
En pratique clinique : « Tout malade présentant une atteinte de la conscience ou tout autre signe de dysfonctionnement cérébral au retour d’une zone d’endémie palustre doit être traité dans la plus grande urgence comme un neuropaludisme . »
Le
neuropaludisme à début brutal se traduit par une triade symptomatique (fièvre, coma, convulsions) à laquelle s’ajoute fréquemment une détresse respiratoire. Il est fréquent chez le jeune enfant en zone d’endémie (moins de 5 ans) et peut entraîner la mort en quelques heures.
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Phase d’état
La fièvre est le plus souvent très élevée et le tableau neurologique se complète, pouvant associer :
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troubles de la conscience : ils sont constants mais d’intensité variable, allant de la simple obnubilation au coma profond ; le coma est généralement calme, sans rigidité de nuque (ou très discrète), sans photophobie, accompagné d’une abolition du réflexe cornéen ;
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convulsions : nettement plus fréquentes chez l’enfant que chez l’adulte, elles peuvent être inaugurales. Elles peuvent être généralisées ou localisées, être espacées dans le temps ou au contraire réaliser un état de mal convulsif. Elles peuvent parfois être paucisymptomatiques (clonies des lèvres ou des muscles faciaux, mouvements oculaires rapides, salivation excessive). Elles doivent être distinguées des convulsions hyperthermiques : pour être retenues, elles doivent être répétées dans le temps (au moins deux par 24 heures) avec une phase postcritique de trouble de la conscience de plus de 15 minutes ;
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troubles du tonus : le malade est généralement hypotonique. La raideur et l’opisthotonos peuvent se voir dans les formes très évoluées et sont de mauvais pronostic. Les réflexes ostéotendineux sont variables, parfois très vifs, exceptionnellement abolis (de mauvais pronostic).
D’autres signes cliniques peuvent être associés : les signes neurologiques peuvent dominer le tableau clinique ou être associés à d’autres manifestations viscérales. Pratiquement tous les organes peuvent être atteints, notamment les reins (insuffisance rénale anurique), les poumons (risque d’œdème pulmonaire), le foie… Le tableau est parfois celui d’une défaillance multiviscérale. Parfois, sans signe neurologique évident, on observe des formes graves avec une anémie profonde (chez l’enfant, cf. infra) ou une insuffisance rénale aiguë (chez l’adulte).
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Évolution
Non traité, le neuropaludisme est mortel en 2 ou 3 jours.
Avec une prise en charge adaptée, la mortalité reste préoccupante (5 % à 10 %). Lorsqu’elle est obtenue, la guérison se fait le plus souvent sans séquelles chez l’adulte et avec 5 à 10 % de séquelles neurologiques définitives chez l’enfant. Le pronostic global repose essentiellement sur la rapidité du diagnostic et de la prise en charge.
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Critères de gravité
La définition princeps de paludisme grave à P. falciparum est celle de l’OMS publiée en 2000 et légèrement modifiée en 2010.
En 2007, les recommandations pour la pratique clinique (RPC) françaises concernant la prise en charge du paludisme d’importation à P. falciparum précisent la définition du paludisme grave d’importation à P. falciparum sur le modèle de l’OMS : positivité du frottis-goutte épaisse à P. falciparum avec présence de formes asexuées et au moins un des critères cliniques ou biologiques de gravité détaillés dans le tableau 5.2 ( hppt://www.infectiologie.com/UserFiles/File/medias/documents/consensus/2007-paludisme-court.pdf).
Tout adulte avec un accès à P. falciparum et qui présente un critère de gravité avec un pronostic coté à ++ ou +++ doit être évalué le plus tôt possible avec un réanimateur, sans pour autant retarder la mise en route du traitement spécifique et symptomatique.VM, ventilation mécanique ; VNI, ventilation non invasive ; FR, fréquence respiratoire.
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Formes cliniques particulières
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Paludisme chez l’enfant
Les critères de gravité de l’OMS n’ont pas été évalués chez l’enfant voyageur. En pratique, les signes de gravité les plus importants sont neurologiques : convulsions et troubles de conscience.
Toute convulsion fébrile chez un enfant au retour d’une zone d’endémie palustre doit faire évoquer un accès palustre grave.
Il faut aussi se méfier des
formes trompeuses particulièrement fréquentes chez l’enfant : inconstance de la fièvre, troubles digestifs dominant le tableau clinique, tableau abdominal pseudochirurgical.
En zone d’endémie, les deux formes cliniques le plus fréquemment observées en pédiatrie sont l’anémie grave et le neuropaludisme. La prévalence respective de ces deux complications varie en fonction de l’intensité de transmission dans la région considérée. En zone de paludisme stable (transmission intense), on observe préférentiellement les anémies graves chez les plus jeunes enfants (moins de 2 ans) et le neuropaludisme chez les plus grands (de 2 à 5 ans). À partir de 5 ans en moyenne, l’acquisition progressive d’un état de prémunition fait diminuer le risque d’accès grave.
L’hypoglycémie et l’acidose métabolique (pouvant entraîner une détresse respiratoire) sont deux autres critères importants de mauvais pronostic chez l’enfant. Les autres signes de gravité sont beaucoup moins souvent retrouvés que chez l’adulte.
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Paludisme chez la femme enceinte
Le paludisme est grave chez la femme enceinte, avec un double risque :
- risque d’accès grave chez la mère ;
- risque pour le fœtus et le nouveau-né : avortement spontané ou accouchement prématuré, petit poids de naissance.
Il convient donc de traiter en urgence tout accès palustre chez une femme enceinte par de la quinine ou par des dérivés de l’artémisinine à partir du deuxième trimestre. En revanche, il faut savoir que le risque d’hypoglycémie au cours de l’accès à P. falciparum, majoré par la quinine, est plus fréquent chez la femme enceinte.
En zone d’endémie, le paludisme a des répercussions particulièrement graves chez les femmes enceintes, pour plusieurs raisons :
- les femmes enceintes, en particulier primigestes, sont plus exposées au risque d’accès palustres répétés et d’accès grave que le reste de la population, à âge égal dans une même région épidémiologique (correspondant à une affinité spécifique pour le placenta de certaines souches de P. falciparum) ;
- les accès palustres répétés majorent considérablement les anémies déjà fréquentes dans ces populations souvent défavorisées (carences nutritionnelles, multiparité), augmentant le risque de mort maternelle à l’accouchement ;
- le paludisme augmente le risque d’anémie, d’avortement, d’accouchement prématuré et d’insuffisance pondérale de l’enfant à la naissance.
En revanche, le véritable paludisme congénital est une éventualité relativement rare (barrière placentaire, hémoglobine fœtale moins favorable au développement du parasite, transfert des anticorps maternels si la mère est elle-même prémunie).
Par conséquent, le paludisme est une importante cause de surmortalité maternelle et infantile.
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Paludisme transfusionnel et paludisme post-transplantation
Le paludisme post-transfusionnel est possible car les hématozoaires peuvent résister à une température de + 4 °C pendant 3 semaines. En France, un dépistage par sérologie est systématiquement réalisé chez les donneurs ayant voyagé en zone d’endémie selon l’arrêté du 12 janvier 2009 fixant les critères de sélection des donneurs de sang.
hhtp:/www.legifrance.gouv.fr/affichtexte.do?cidTexte=JORFTEXT000020104647
De la même manière, des cas de paludismes transmis après transplantation d’organes ont été décrits. Un dépistage systématique du paludisme est réalisé en cas de don d’organes. En cas de positivité, la greffe n’est pas formellement exclue et, suivant le cas, le donneur ou le receveur sera traité.
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Paludisme sous chimioprophylaxie
La survenue d’un paludisme sous prophylaxie médicamenteuse est actuellement envisageable. Cela peut être la conséquence d’une chimioprophylaxie inadaptée à la zone géographique (niveau de résistance élevé) ou, plus souvent encore, d’une chimioprophylaxie mal suivie (prise de manière irrégulière ou arrêtée trop tôt après le retour). Mais une chimioprophylaxie, même bien conduite, ne doit pas écarter le diagnostic. Le tableau clinique est dans ce cas souvent trompeur (fièvre absente ou peu élevée) et le diagnostic biologique difficile (parasitémie très faible, morphologie parasitaire altérée).
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Paludisme viscéral évolutif
Le paludisme viscéral évolutif est une manifestation chronique atteignant préférentiellement l’enfant vivant en zone d’endémie en phase d’acquisition de la prémunition ou l’adulte non prémuni soumis à des inoculations parasitaires répétées et mal traité. Cliniquement, le tableau associe : une anémie (avec pâleur, dyspnée, asthénie, souffle anorganique et œdèmes), une splénomégalie importante, une température normale ou une fébricule autour de 38 °C avec parfois des poussées thermiques et, chez l’enfant, un retard staturo-pondéral. Le parasite circule dans le sang périphérique du malade — mais la parasitémie peut être très faible et le diagnostic difficile : intérêt de la PCR — ; la sérologie du paludisme est positive mais avec un taux d’anticorps classiquement moins élevé qu’en présence d’une splénomégalie palustre hyperréactive (cf. infra) ; le taux d’IgG est élevé mais le taux d’IgM est normal.
L’évolution sous traitement antipaludique prolongé est spectaculaire.
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Splénomégalie palustre hyperréactive
Initialement décrite sous le nom de « splénomégalie tropicale idiopathique », la splénomégalie palustre hyperréactive (SPH) a surtout été décrite chez l’autochtone vivant en zone impaludée. À la différence du paludisme viscéral évolutif, elle s’observe plus volontiers chez l’adulte. Il s’agit d’une maladie à complexes immuns provoquée par une réaction démesurée de la rate à la stimulation prolongée des phagocytes mononucléés par des complexes immuns circulants. Il en résulte une splénomégalie avec hypersplénisme entraînant une chute des trois lignées sanguines et une production d’IgG et IgM en quantité exagérée. La sérologie du paludisme doit être fortement positive pour pouvoir retenir le diagnostic qui, face à une splénomégalie, doit rester un diagnostic d’exclusion. La PCR présente un intérêt majeur pour le diagnostic — l’examen en microscopie optique est presque toujours négatif.
L’évolution est très lentement favorable sous traitement antipaludique.
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Fièvre bilieuse hémoglobinurique
Devenue exceptionnelle, elle ne constitue pas à proprement parler une manifestation du paludisme mais seulement un syndrome d’étiologie immunoallergique suite à la prise itérative d’antipaludiques. Elle consiste en une hémolyse intravasculaire disséminée. Le début est brutal, marqué par des lombalgies violentes et un état de prostration. Une fièvre, des vomissements alimentaires puis bilieux surviennent. Un ictère hémolytique apparaît avec anémie, collapsus, oligurie ou oligoanurie faite d’« urines porto ». Parmi les facteurs déclenchants, on retient classiquement une nouvelle prise d’antipaludiques et l’exposition au froid.
C’est un diagnostic différentiel de l’accès grave, avec une prise en charge thérapeutique radicalement différente. Le pronostic est fonction de la rapidité à poser le diagnostic, à corriger l’anémie et à obtenir une reprise de la diurèse avant l’évolution vers l’insuffisance rénale.
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Diagnostic différentiel
En pratique, on ne peut que rappeler que, face à une fièvre au retour d’une zone d’endémie palustre, le paludisme est le premier diagnostic à évoquer en urgence.
Ce n’est que lorsque le paludisme a été éliminé par la négativité de la recherche de Plasmodium dans le sang périphérique du patient que le diagnostic différentiel est envisagé. La conduite à tenir face à une fièvre au retour d’une zone d’endémie n’est pas détaillée dans ce chapitre (salmonelloses, arboviroses, hépatites virales, amœbose hépatique, helminthoses en phase d’invasion, bactérioses cosmopolites…).
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