2  -  Physiopathologie

2 . 1  -  Conséquences de l’infection palustre sur les organes

La physiopathologie du paludisme est encore imparfaitement connue mais les répercussions de l’infection palustre sur certains organes ont été bien décrites.

2 . 1 . 1  -  Sang

La phase de schizogonie érythrocytaire entraîne une hémolyse en partie responsable d’une anémie d’installation progressive, grave chez les jeunes enfants et les femmes enceintes. L’hémoglobine libérée par l’hémolyse provoque une surcharge rénale et est partiellement transformée en bilirubine dans le foie. L’excès est éliminé dans les urines, entraînant une hémoglobinurie. D’autre part, l’utilisation de l’hémoglobine par le parasite pour son développement amène la précipitation dans son cytoplasme de granules de pigment (hémozoïne) composés d’hème, toxique pour le parasite, enrobé de protéines du parasite pour le rendre inactif, dont la libération lors de l’éclatement du globule rouge est en partie responsable de la fièvre.

Les plaquettes sont séquestrées par des mécanismes encore mal précisés, probablement immunologiques. La conséquence en est une thrombopénie, perturbation biologique fréquemment et précocement observée au cours d’un accès palustre.

2 . 1 . 2  -  Rate

La rate tente de séquestrer et de détruire les hématies parasitées et celles sensibilisées aux antigènes plasmodiaux. Concernant l’espèce P. falciparum, la rate a la capacité de retenir (filtre mécanique) et de détruire une faible proportion des hématies hébergeant des trophozoïtes jeunes de P. falciparum et beaucoup plus efficacement toutes les hématies contenant des formes matures du parasite (trophozoïtes âgés, schizontes). Elle participe donc au contrôle de la parasitémie mais elle peut aggraver l’anémie. En conséquence, elle devient progressivement hypertrophique, molle et congestive.

2 . 1 . 3  -  Foie

La schizogonie exo-érythrocytaire ne produit aucune lésion inflammatoire. Moins d’une centaine de cellules hépatiques sont parasitées. Leur destruction lors de la schizogonie hépatique passe inaperçue.

2 . 2  -  Physiopathologie de l’accès grave

Le neuropaludisme (ou accès pernicieux, cerebral malaria des Anglo-Saxons) et l’anémie grave sont les complications majeures du paludisme à P. falciparum. Plusieurs théories probablement complémentaires sont actuellement retenues, notamment la séquestration d’hématies parasitées par des formes matures de Plasmodium, adhérant aux cellules endothéliales des microvaisseaux, et l’intervention de cytokines ou autres médiateurs.

Primum movens : la cytoadhérence

Elle existe entre les globules rouges parasités par les stades asexués « matures » (trophozoïtes âgés, schizontes) et les cellules endothéliales vasculaires. Elle est responsable :

  • d’un ralentissement du flux sanguin dans les capillaires (phénomène mécanique) ;
  • d’une réaction inflammatoire tissulaire cytokinique (phénomène inflammatoire).

Le phénomène mécanique est prédominant sauf dans de rares exceptions (phénomène inflammatoire prédominant). Si l’évolution de l’accès n’est pas maîtrisée par le traitement ou une réponse immune adaptée, l’évolution est défavorable avec apparition de phénomènes d’apoptose. On observe alors des micro-hémorragies (stades des séquelles et de la mortalité).

2 . 2 . 1  -  Séquestration

Les hématies parasitées par les stades trophozoïtes âgés et schizontes de P. falciparum ont, contrairement aux autres espèces, la capacité de se fixer aux cellules endothéliales des capillaires (cerveau, avec risque de coma par neuropaludisme, mais aussi reins, foie, poumons…). Ces formes matures sont donc absentes de la circulation sanguine périphérique. Cette séquestration est due à des phénomènes d’adhérence cellulaire (cytoadhérence) entre les hématies parasitées et les cellules endothéliales de ces capillaires, sous la dépendance d’interactions entre des récepteurs moléculaires plasmodiaux présents à la surface des hématies parasitées (en particulier PfEMP1) et des récepteurs spécifiques des cellules endothéliales (en particulier ICAM1). Le blocage des hématies parasitées dans les capillaires provoque un ralentissement circulatoire, directement proportionnel au nombre d’hématies parasitées (phénomène mécanique). Cette séquestration est de plus amplifiée par une déformabilité moindre des hématies parasitées et par la formation de « rosettes » (agrégats constitués d’une hématie parasitée à laquelle adhèrent plusieurs hématies non parasitées). Le ralentissement de la circulation capillaire provoque une hypoxie tissulaire, qui active le métabolisme cellulaire de glycolyse anaérobie avec pour conséquence l’acidose lactique et des dysfonctions organiques. Une autre conséquence de cette cytoadhérence est la mort par apoptose des cellules endothéliales qui présentent à leur surface les antigènes plasmodiaux exposés après la rupture du schizonte — les restes de la membrane du globule rouge éclaté restent « collés » à la cellule endothéliale. Lorsque la parasitémie est élevée, la résultante de cette apoptose intense est la perméabilisation de la paroi des microvaisseaux avec apparition de micro-hémorragies tissulaires (visibles à l’observation du fond d’œil). Contrairement aux étapes précédentes, ce phénomène n’est pas réversible et, dans ce cas, l’évolution est très souvent défavorable (séquelles, décès).

Une anémie majeure est également en cause dans la physiopathologie de ces accès graves. Y contribuent :

  • l’éclatement des hématies parasitées par les schizontes matures ;
  • l’hémolyse d’hématies non parasitées mais recouvertes d’antigènes plasmodiaux ;
  • la séquestration et la destruction dans la rate d’hématies parasitées ou non.

Ainsi, la parasitémie, qui est un reflet indirect de la charge parasitaire globale pour cette espèce — on n’observe pas les stades séquestrés —, est un marqueur facilement accessible du risque d’évolution rapide vers des dysfonctionnements organiques pour un patient.

2 . 2 . 2  -  Cytokines et autres médiateurs

Des cytokines pro-inflammatoires (TNFα, IFNγ, IL-1, IL-6…) sont produites en cascade au cours de l’accès grave (phénomène inflammatoire). Leur action se conjugue au phénomène de ralentissement circulatoire conséquence de la séquestration.

Les modèles expérimentaux étant forcément réducteurs, il est difficile de savoir comment s’articulent, in vivo, ces différents mécanismes. Ce qui a été décrit au niveau du cerveau est probablement vrai au niveau des autres organes (reins, poumon, placenta…), expliquant la défaillance multiviscérale observée lors de l’évolution d’un accès grave.

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