Introduction

Le paludisme, ou malaria, est une parasitose due à des protozoaires hématozoaires du genre Plasmodium, identifiée par Alphonse Laveran en 1880 (prix Nobel 1907), transmise par des moustiques femelles du genre Anopheles. Bien qu’elle soit avant tout un fardeau pour les populations des zones d’endémie, cette maladie représente également une menace pour les voyageurs se rendant dans les régions impaludées. Le paludisme reste la première endémie parasitaire mondiale. On estime que près de la moitié de la population mondiale vit en zone d’endémie. Entre 2000 et 2013, grâce à l’utilisation de plus en plus massive de moustiquaires imprégnées d’insecticide, de pulvérisation intradomiciliaire d’insecticide, de tests de diagnostic rapide (TDR) et de traitements par bithérapie antipaludique comportant un dérivé de l’artémisinine (ACT ; Youyou Tu, prix Nobel de médecine 2015), le nombre d’accès palustres notifiés à l’OMS est globalement en nette diminution dans le monde. Ainsi, selon les estimations de l’OMS, l’incidence du paludisme et la mortalité associée ont respectivement diminué de 30 % et de 47 % au niveau mondial entre 2000 et 2013. La prévalence de l’infection a diminué de 46 % chez les enfants âgés de 2 à 10 ans, passant de 26 % en 2000 à 14 % en 2013. Cependant, les données fournies par de nombreux pays africains ne permettent pas d’analyser ces tendances et des millions de personnes à risque n’ont toujours pas accès aux moyens de lutte. En conséquence, environ 198 millions de cas de paludisme et environ 584 000 décès associés, dont une majorité de jeunes enfants vivant en Afrique subsaharienne, sont encore estimés pour l’année 2013. Ces estimations, bien que très imprécises, donnent une idée de l’ampleur du problème. Le paludisme représente une charge financière très lourde pour les populations et, par conséquent, la maladie constitue un obstacle au développement des pays concernés, notamment en Afrique. Pour toutes ces raisons, la lutte contre le paludisme constitue, avec celle contre le sida et la tuberculose, un des objectifs du Millénaire pour le développement définis par l’Organisation des Nations unies, le Fonds mondial étant destiné à approvisionner les pays demandeurs en médicaments, moustiquaires et tests de diagnostic rapide. À une échelle tout à fait différente, le paludisme constitue une menace pour les voyageurs. L’augmentation actuelle des échanges internationaux fait que tout médecin exerçant en France métropolitaine peut être confronté au paludisme dans sa pratique quotidienne. En 2014, le nombre de cas de paludisme d’importation en France métropolitaine a été estimé par le Centre national de référence (CNR) à environ 4 370 cas, responsables d’une dizaine de décès, en augmentation par rapport à 2012 et 2013. Au cours des dernières années, la prévention individuelle est devenue difficile en raison de l’augmentation des résistances du parasite vis-à-vis des traitements préventifs. Aucun vaccin avec une efficacité acceptable pour lutter contre l’infection n’est actuellement disponible.


1  -  Épidémiologie

1 . 1  -  Agents pathogènes

Le paludisme est déterminé par un protozoaire appartenant au genre Plasmodium. Il existe de très nombreuses espèces de Plasmodium (plus de 140), touchant diverses espèces animales, dont cinq espèces sont habituellement retrouvées en pathologie humaine : P. falciparum, P. vivax, P. ovale, P. malariae et P. knowlesi — parasite habituel des singes d’Asie qui s’est avéré être responsable d’une zoonose. Ces cinq espèces diffèrent par des critères biologiques et cliniques, par leur répartition géographique et par leur capacité à développer des résistances aux antipaludiques.

1 . 1 . 1  -  Plasmodium falciparum

D’emblée, il faut différencier P. falciparum des quatre autres espèces. En effet, P. falciparum est l’espèce la plus largement répandue à travers le monde, développe des résistances aux antipaludiques et est responsable de la majorité des formes cliniques mortelles. Dans les régions équatoriales, il est transmis toute l’année avec cependant des recrudescences saisonnières. Dans les régions subtropicales, il ne survient qu’en période chaude et humide. Sa transmission s’interrompt lorsque la température tombe en dessous de 18 °C. Cela explique aussi que, quelle que soit la latitude, le paludisme n’est plus transmis en altitude (au-dessus de 1 500 mètres en Afrique et 2 500 mètres en Amérique et en Asie). L’évolution se fait d’un seul tenant après une incubation de 7 à 12 jours. On n’observe que très rarement des accès tardifs, plus habituels avec P. vivax, P. ovale et P. malariae. Plus de 90 % des accès palustres à P. falciparum surviennent dans les 2 mois qui suivent le retour du pays d’endémie. Plasmodium falciparum est responsable des formes cliniques graves, notamment du neuropaludisme, et c’est également l’espèce qui développe le plus de résistance aux différents médicaments antipaludiques. Il s’agit de l’espèce le plus fréquemment observée en France, responsable de plus de 80 % des cas de paludisme d’importation, c’est-à-dire contractés en zone d’endémie mais se révélant en France métropolitaine après le retour.

1 . 1 . 2  -  Plasmodium vivax

Très largement répandu en Amérique du Sud et en Asie, il est beaucoup plus rarement observé en Afrique, essentiellement en Afrique de l’Est et dans les îles de l’océan Indien (Comores, Madagascar). Les érythrocytes du groupe sanguin Duffy négatif (observé chez la majorité des sujets originaires d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale) ne possèdent pas le récepteur membranaire habituellement nécessaire à l’infection par P. vivax. Sa transmission s’arrête en dessous de 15 °C. Sa période d’incubation minimale est de 11 à 15 jours. On peut observer des rechutes (accès de reviviscence) dues au réveil d’hypnozoïtes (cf. infra « C. Cycle ») pendant 3 à 4 ans. L’affection par P. vivax est classiquement considérée comme bénigne. On observe, principalement lors des accès de reviviscence, une fièvre bénigne rythmée dite tierce (du fait d’un cycle érythrocytaire de 48 heures). Toutefois, en zone d’endémie, il peut avoir des répercussions sur l’état de santé des populations, notamment par l’intermédiaire des anémies chez la femme enceinte et l’enfant. On commence à voir surgir quelques résistances médicamenteuses de P. vivax à la chloroquine.

1 . 1 . 3  -  Plasmodium ovale

Il sévit en Afrique intertropicale du centre et de l’Ouest (et dans certaines régions du Pacifique). Comme P. vivax dont il est très proche, il provoque des accès de fièvre bénigne et il peut être à l’origine d’une fièvre rythmée tierce. Son incubation est de 15 jours au minimum mais peut être beaucoup plus longue. L’évolution est bénigne mais on peut observer, comme avec P. vivax, des rechutes tardives (5 ans). Schématiquement, on dit que P. ovale remplace P. vivax en Afrique, là où cette dernière espèce n’existe pas.

1 . 1 . 4  -  Plasmodium malariae

Il sévit sur les trois continents tropicaux de manière beaucoup plus sporadique. Il se différencie des autres espèces par une incubation plus longue (15 à 21 jours) et, surtout, par sa capacité à entraîner, en l’absence de traitement initial, des recrudescences très tardives (jusqu’à 20 ans après le retour de la zone d’endémie). Les mécanismes physiopathologiques responsables de ces rechutes tardives ne sont pas totalement élucidés — existe-t-il des mérozoïtes latents dans les lymphatiques, par exemple ? Après plusieurs jours d’évolution, lorsque le développement des parasites intra-érythrocytaires est synchrone, la fièvre devient rythmée avec une périodicité de 72 heures (durée du cycle érythrocytaire) responsable d’une fièvre quarte. L’infection est bénigne mais P. malariae peut parfois entraîner des complications rénales.

1 . 1 . 5  -  Plasmodium knowlesi

Il sévit en Asie du Sud-Est, en zone forestière, étroitement lié à la répartition des singes macaques, son hôte habituel, et de son vecteur piquant l’Homme et le singe. Il se différencie des autres espèces par un cycle érythrocytaire de 24 heures responsable d’une fièvre quotidienne. Des cas dus à cette espèce ont été signalés assez fréquemment depuis 2004 chez l’Homme, dans les zones forestières d’Asie. Plasmodium knowlesi est par exemple l’espèce de Plasmodium la plus commune pour les cas autochtones signalés en Malaisie. Les infections sont le plus souvent simples, mais au moins 10 % des patients font un accès grave et 1 à 2 % ont une issue fatale. Une parasitémie élevée est un marqueur positivement associé avec la gravité et le décès. Entre 2008 et 2013, douze cas ont été identifiés chez des voyageurs dont huit en Europe (un cas en France) ; un cas supplémentaire est diagnostiqué en France en 2014. Il a été récemment montré que ce Plasmodium a une sensibilité réduite à la méfloquine et une sensibilité modérée et variable à la chloroquine. Cependant, à ce jour, aucune chimiorésistance n’a été observée pour cette espèce.

1 . 2  -  Vecteur

Le paludisme est transmis à l’Homme par la piqûre d’un moustique culicidé du genre Anopheles au moment de son repas sanguin. Seule la femelle, hématophage, transmet la maladie (figure 5.1). Elle ne pique classiquement qu’à partir du coucher du soleil, avec un maximum d’activité entre 23 h et 6 h. Cela explique que l’utilisation des moustiquaires imprégnées d’insecticides soit le moyen de prévention individuelle le plus efficace.

Fig. 5.1 Femelle du genre Anopheles se gorgeant (An. dirus)
Fig. 5.1 Femelle du genre Anopheles se gorgeant (An. dirus)

Les larves d’anophèles se développent principalement dans les collections d’eau non polluée. La nature des sols, le régime des pluies, la température et donc l’altitude, la végétation naturelle ou l’agriculture rendent les collections d’eau plus ou moins propices au développement des espèces vectrices. Certaines espèces ont ainsi pu s’adapter à des milieux particuliers comme le milieu urbain. Le développement et la longévité des anophèles dépendent de la température, avec un optimum entre 20 °C et 30 °C pour une durée de vie de l’ordre de 30 jours.

Il existe de très nombreuses espèces d’anophèles ; toutes ne sont pas capables de transmettre le paludisme. Les espèces les plus dangereuses sont les espèces anthropophiles (préférence pour effectuer leur repas sanguin sur l’Homme) et les espèces endophiles (qui se reposent à l’intérieur des maisons). Des résistances aux insecticides classiques sont apparues rapidement, limitant les moyens de lutte.

1 . 3  -  Cycle

Le cycle se déroule successivement chez l’Homme (phase asexuée chez l’hôte intermédiaire) et chez l’anophèle (phase sexuée chez l’hôte définitif) (figure 5.2).

Fig. 5.2 Cycle évolutif de Plasmodium
Fig. 5.2 Cycle évolutif de Plasmodium

Chez l’Homme, le cycle est lui-même divisé en deux phases de multiplication asexuée (schizogonie ou mérogonie) :

  • la phase hépatique, ou pré-érythrocytaire (ou exo-érythrocytaire), qui correspond à la phase d’incubation, cliniquement asymptomatique ;
  • la phase sanguine, ou érythrocytaire, qui correspond à la phase clinique de la maladie.

1 . 3 . 1  -  Chez l’Homme

Schizogonie pré-érythrocytaire
Les sporozoïtes inoculés par l’anophèle femelle (moins d’une centaine) lors de son repas sanguin restent moins d’une trentaine de minutes dans la peau, la lymphe et le sang avant de gagner les hépatocytes. Une fois qu’il a pénétré dans un hépatocyte, le parasite toujours mononucléé prend le nom de trophozoïte. Lors de la schizogonie, le noyau du parasite amplifie son ADN et se divise de façon binaire, alors que son cytoplasme ne se divise pas. Ils évoluent ainsi en schizontes pré-érythrocytaires (formes multinucléées) qui, après 7 à 15 jours de maturation, éclatent et libèrent des milliers de mérozoïtes uninucléés (dits de première génération) dans le sang (10 000 à 30 000 mérozoïtes). La schizogonie hépatique est unique dans le cycle, la cellule hépatique ne pouvant être infectée que par des sporozoïtes.

Dans les infections à P. vivax et P. ovale, certains trophozoïtes intrahépatiques restent quiescents (hypnozoïtes) et sont responsables d’une schizogonie hépatique retardée qui entraîne la libération dans le sang de mérozoïtes plusieurs semaines à plusieurs mois après la piqûre du moustique, expliquant ainsi les reviviscences tardives observées avec ces deux espèces. Les hypnozoïtes n’existent pas dans l’infection à P. falciparum (pas de rechute). Ils n’ont pas été mis en évidence non plus dans l’infection à P. malariae — malgré l’existence de rechutes tardives — et à P. knowlesi.

Schizogonie érythrocytaire
Très rapidement, les mérozoïtes pénètrent dans les globules rouges. La pénétration du mérozoïte dans l’érythrocyte, sa maturation en trophozoïte puis en schizonte mature prend 24, 48 ou 72 heures (en fonction de l’espèce) et conduit à la destruction du globule rouge hôte et à la libération de 4 à 32 nouveaux mérozoïtes (en fonction de l’espèce, du clone et du globule rouge infecté). Ces mérozoïtes pénètrent dans de nouveaux globules rouges et débutent un nouveau cycle de réplication. Cette partie du cycle correspond à la phase clinique ; la parasitémie s’élève, le sujet devient fébrile : c’est l’accès palustre. Dans l’accès de primo-invasion, le développement des parasites est asynchrone — tous les schizontes hépatiques n’arrivent pas à maturité au même moment — et la fièvre est souvent continue, anarchique ou irrégulière. Après plusieurs jours d’évolution et en l’absence de traitement, on observe une synchronisation des parasites : tous les schizontes érythrocytaires arrivent à maturation au même moment, entraînant la destruction d’un grand nombre de globules rouges de manière périodique, toutes les 24 heures (fièvre quotidienne à P. knowlesi), 48 heures (fièvre tierce de P. falciparum, P. vivax ou P. ovale) ou toutes les 72 heures (fièvre quarte de P. malariae). En pratique, au moment du diagnostic, la schizogonie de P. falciparum est rarement synchrone et donc la fièvre rarement tierce.

Certains trophozoïtes subissent une maturation d’une dizaine de jours dans le compartiment médullaire, sans division nucléaire, accompagnée d’une différenciation sexuée : ils se transforment en gamétocytes à potentiel mâle ou femelle. Les gamétocytes matures vont ensuite rester en circulation dans le sang pendant quelques semaines. Les méthodes modernes de diagnostic par biologie moléculaire indiquent un portage de plus de 2 semaines.

1 . 3 . 2  -  Chez l’anophèle femelle

Les gamétocytes, ingérés par le moustique lors d’un repas sanguin sur un sujet infecté, se transforment en gamètes mâles et femelles qui fusionnent en un œuf libre, mobile, dénommé ookinète. Cet ookinète quitte la lumière du tube digestif, se fixe ensuite à la paroi externe de l’estomac et se transforme en oocyste. Les cellules parasitaires se multiplient à l’intérieur de cet oocyste, produisant des centaines de sporozoïtes qui migrent ensuite vers les glandes salivaires du moustique. Ces sporozoïtes sont les formes infectantes, prêtes à être inoculées avec la salive du moustique lors d’un repas sanguin sur un hôte vertébré. La durée du développement sporogonique des Plasmodium varie en fonction des conditions climatiques : entre 9 et 20 jours pour P. falciparum (entre, respectivement, 30 °C et 20 °C), un peu plus rapide pour P. vivax à températures équivalentes (l’espèce tolère aussi des températures plus basses : 18 °C), plus long pour P. malariae.

1 . 3 . 3  -  Modalités de transmission

La connaissance du cycle du paludisme permet de comprendre les modalités de transmission de la maladie. Le mode de transmission le plus fréquent est la piqûre d’un moustique, l’anophèle femelle. La phase sanguine du cycle rend possible d’autres modes de contamination : transmission congénitale, transfusionnelle, par greffe d’organe ou transmission accidentelle chez des personnels de santé manipulant du sang contaminé. En pratique, ces transmissions sont tout à fait exceptionnelles et n’influencent pas l’épidémiologie de la maladie.

1 . 4  -  Répartition géographique

Il est possible de dresser les grandes lignes de la répartition géographique du paludisme à travers le monde (figures 5.3 à 5.7). En revanche, il est important de comprendre qu’en raison des facteurs influençant l’épidémiologie évoqués précédemment (distribution des anophèles, capacité vectorielle, caractéristiques biologiques des différentes espèces de Plasmodium…), la répartition géographique varie d’un continent à l’autre, d’un pays à l’autre, mais aussi d’une région à une autre, d’un village à un autre et même parfois au sein d’un même village.

L’épidémiologie du paludisme est extrêmement variable d’une zone géographique à une autre. Cette hétérogénéité est sous la dépendance de nombreux facteurs. Le rôle de la distribution des anophèles et leur capacité vectorielle ont déjà été évoqués, ainsi que les caractéristiques biologiques des parasites. Un autre facteur extrêmement important est le rôle de l’immunité. Même si le paludisme entraîne la mort d’un très grand nombre de personnes chaque année (entre 0,4 et 0,8 million), la mortalité est faible (1 % ou moins) par rapport au nombre présumé d’accès palustres survenant sur une même période. La réponse clinique à l’infection est extrêmement variable, allant de l’infection asymptomatique à la survenue d’un accès grave pouvant entraîner la mort du patient.

La variation de transmission d’une région à l’autre permet de définir des zones épidémiologiques (tableau 5.1).

Tableau 5.1 Zones épidémiologiques
Zone
Transmission
Prémunition chez l’adulte
Type de paludisme
 Holoendémique Intense toute l’année Solide Paludisme stable
 Hyperendémique Intense avec variation saisonnière Significative 
 Mésoendémique Variable Peu significative Paludisme instable
 Hypoendémique Faible Nulle 
Fig. 5.3 Répartition géographique du paludisme à Plasmodium falciparum
Fig. 5.3 Répartition géographique du paludisme à Plasmodium falciparum
Fig. 5.4 Répartition géographique du paludisme à Plasmodium vivax
Fig. 5.4 Répartition géographique du paludisme à Plasmodium vivax
Fig. 5.5 Répartition géographique du paludisme à Plasmodium ovale
Fig. 5.5 Répartition géographique du paludisme à Plasmodium ovale
Fig. 5.6 Répartition géographique du paludisme à Plasmodium malariae
Fig. 5.6 Répartition géographique du paludisme à Plasmodium malariae
Fig. 5.7 Répartition géographique du vecteur et de l’hôte de Plasmodium knowlesi
Fig. 5.7 Répartition géographique du vecteur et de l’hôte de Plasmodium knowlesi.

Source : Cox-Singh et al. Clin Infect Dis, 2008 ; 45 : 165.

1 . 4 . 1  -  Europe

Officiellement, le paludisme a été éradiqué en Europe, y compris aux Açores, aux Canaries, à Chypre, dans les États de l’Europe de l’Est et dans la partie européenne de la Turquie. En revanche, la Fédération de Russie (dont sa partie européenne comprenant la région de Moscou) est à surveiller car il y persisterait une transmission de paludisme dû à P. vivax, espèce capable de se réimplanter temporairement dans tout le sud de l’Europe (par exemple, en Italie, en Corse, en Grèce…). Ainsi, en 2011, des cas autochtones à P. vivax sont réapparus en Grèce, le parasite ayant pu se réimplanter sur des vecteurs locaux à partir de travailleurs migrants infectés en provenance de la péninsule indienne.

Des cas sporadiques peuvent être observés en lien avec l’importation de moustiques infectés dans les bagages et les cabines des avions (paludisme des aéroports).

1 . 4 . 2  -  Afrique

Le paludisme est très largement répandu dans toute l’Afrique subsaharienne, où coexistent P. falciparum (nettement prédominant), P. ovale et, de manière sporadique, P. malariae. Plasmodium vivax peut être retrouvé en Afrique de l’Est. Il existe une transmission faible et intermittente en Afrique du Nord (Algérie), essentiellement due à P. vivax, ainsi qu’au Cap-Vert et à l’île Maurice. Dans les îles de l’océan Indien, l’île de la Réunion est indemne ; en revanche, la transmission est bien présente aux Comores, dont Mayotte (département français), et à Madagascar où coexistent quatre espèces.

1 . 4 . 3  -  Amérique

Le paludisme a été éradiqué en Amérique du Nord.

La transmission se poursuit modérément en Amérique centrale (P. vivax essentiellement) mais les Caraïbes sont indemnes, à l’exception de Haïti et d’une partie de la République dominicaine. Il faut donc noter qu’il n’y a pas de paludisme dans les deux départements français que sont la Martinique et la Guadeloupe.

En Amérique du Sud, la transmission est essentiellement due à P. falciparum (avec présence de souches résistantes aux amino-4-quinoléines dans tout le bassin amazonien) et à P. vivax. Le paludisme sévit toujours en Guyane française mais essentiellement sur les fleuves et en forêt. Les villes, notamment Cayenne, Kourou et Saint-Laurent-du-Maroni, sont indemnes. D’une manière générale, toutes les grandes villes américaines sont indemnes sauf en Amazonie.

Rappelons qu’il n’y a plus de transmission au-dessus de 2 500 mètres.

1 . 4 . 4  -  Asie

Toute l’Asie du Sud-Est (Myanmar, Chine du Sud, Thaïlande, Vietnam, Cambodge, Laos, Malaisie, Indonésie, Philippines) est touchée par une transmission due à P. falciparum (avec présence, dans certaines régions, de souches multirésistantes), à P. vivax et à P. knowlesi (à Bornéo, en Malaisie péninsulaire, aux Philippines à l’île de Palawan, à Singapour, au Myanmar, en Thaïlande, au Cambodge et au Vietnam). Les autres régions et la péninsule indienne sont atteintes par P. vivax et P. falciparum mais sont moins concernées par le phénomène de multirésistance. À la différence de l’Afrique, où la transmission est beaucoup plus homogène, la transmission en Asie se fait sous forme de foyers disséminés en milieu rural essentiellement, dans les zones de collines boisées. À l’exception de certaines grandes citées (indiennes notamment), les grandes villes asiatiques sont indemnes.

1 . 4 . 5  -  Océanie

La transmission est hétérogène. Certaines îles sont atteintes (Nouvelle-Guinée, Îles Salomon, Vanuatu), d’autres en sont totalement dépourvues (Polynésie française, Nouvelle-Calédonie, Wallis et Futuna, Fidji, Hawaï…). L’Australie et la Nouvelle-Zélande sont indemnes.

1 . 4 . 6  -  Proche-Orient et Moyen-Orient

P. falciparum sévit sur la côte ouest de la péninsule arabique et au Yémen. Toutes les villes sont indemnes, ainsi que Bahreïn, Israël, Jordanie, Liban, Koweït, Qatar. Le risque est faible (P. vivax) dans les autres États (Syrie, sud-est de la Turquie, Émirats arabes unis et Oman).

1 . 5  -  Particularités épidémiologiques

D’après l’OMS, les groupes de population les plus spécialement à risque sont :

  • les jeunes enfants vivant dans des zones de transmission stable qui n’ont pas encore développé une immunité les protégeant contre les formes les plus sévères de la maladie ;
  • les femmes enceintes non immunisées : le paludisme entraîne des taux élevés de fausses couches et peut provoquer des décès maternels ;
  • les femmes enceintes semi-immunisées dans les régions de forte transmission : le paludisme peut entraîner des fausses couches et un faible poids de naissance chez le nouveau-né, en particulier lors de la première et de la deuxième grossesse ;
  • les femmes enceintes semi-immunisées infectées par le VIH dans les zones de transmission stable : elles ont un risque accru de contracter le paludisme pendant toute leur grossesse ; en cas d’infection palustre du placenta, ces femmes ont aussi un risque plus élevé de transmettre l’infection à VIH à leurs nouveau-nés ;
  • les personnes vivant avec le VIH/sida ;
  • les voyageurs internationaux en provenance de régions exemptes de paludisme car ils ne sont pas immunisés ;
  • les migrants venus de régions d’endémie et leurs enfants qui vivent dans des zones exemptes de paludisme et qui retournent dans leur pays d’origine pour y rendre visite à des amis ou à de la famille : ils sont également exposés car leur immunité a diminué ou a disparu.

1 . 5 . 1  -  Protection naturelle

Bien qu’encore imparfaitement connus, des facteurs génétiques conférant à certains sujets une immunité naturelle, au moins partielle, existent très probablement. On évoque :

  • des facteurs érythrocytaires : trait drépanocytaire (sujet hétérozygote AS), déficit en G6PD, groupe sanguin Duffy négatif ;
  • des facteurs non érythrocytaires : groupe HLA, polymorphisme de la réponse immune, facteurs ethniques…

1 . 5 . 2  -  Immunité acquise

L’immunité acquise joue incontestablement un rôle essentiel dans le paludisme. Cette immunité s’acquiert progressivement, lentement, en situation d’exposition continue. Cette immunité n’est pas stérilisante : elle n’empêche pas d’être de nouveau contaminé et ne permet pas de se débarrasser totalement du parasite. En revanche, elle empêche progressivement la survenue de formes cliniques graves. Cela explique que, en zone de transmission intense, les jeunes enfants payent le plus lourd tribut à la maladie à partir de l’âge de 4 à 6 mois, lorsque la protection maternelle transmise s’amenuise, et jusqu’à 4 à 6 ans. Progressivement, le risque d’accès grave diminue alors que le sujet tolère une parasitémie tout en restant asymptomatique. En zone de transmission intense, il est exceptionnel qu’un sujet adulte fasse un accès grave.

Cette immunité est donc « non stérilisante », fonction de l’espèce, et ne se développe qu’après une longue période d’exposition ininterrompue. Elle est transmissible (nouveau-nés). En revanche, elle n’est jamais totale et jamais définitive. Un sujet transplanté en zone tempérée pendant 2 ou 3 ans perd progressivement sa protection. Lorsqu’il retourne dans son pays, il est redevenu vulnérable, au même titre qu’un sujet « neuf » récemment arrivé en zone d’endémie. Cette situation est fréquemment observée dans les hôpitaux français où, chaque année, de nombreux accès palustres sont diagnostiqués chez des sujets africains vivant en France depuis plusieurs années et qui sont retournés dans leur pays pour des vacances.

En raison des caractéristiques de cette protection, on utilise plus volontiers le terme d’état de prémunition ou de semi-immunité plutôt que d’immunité.

Bien évidemment, un sujet n’ayant jamais vécu en zone d’endémie (voyageur, expatrié récent) est totalement exposé au risque de paludisme grave, quel que soit son âge.

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