La dénutrition s’accompagne de complications propres. Le pronostic vital est engagé lorsqu’il existe une dénutrition sévère avec épuisement des réserves lipidiques et protéiques musculaires et viscérales.
L’ensemble des tissus à renouvellement protéique rapide se trouve affecté par l’insuffisance de matériau de synthèse, notamment l’intestin grêle (anomalies fonctionnelles de l’épithélium intestinal, atrophie villositaire partielle), le pancréas exocrine (insuffisance sécrétoire), la moelle osseuse (anémie, leucopénie). Il peut se développer au niveau du grêle une pullulation microbienne favorisée par une carence relative en immunoglobulines, et cette pullulation ajoute ses effets à ceux des lésions du grêle et de l’insuffisance pancréatique pour perturber les fonctions de digestion et d’absorption intestinales.
L’immunocompétence est compromise, ce qui se traduit par une augmentation de la fréquence et de la sévérité des infections. L’atteinte des muscles squelettiques (sarcopénie) est responsable d’une diminution de la force musculaire, d’une augmentation de la fatigabilité, expliquant l’asthénie physique puis ultérieurement l’immobilisation compliquée d’escarres. La ventilation est diminuée par la moindre performance du diaphragme et des muscles intercostaux. Les réponses aux agressions, aux thérapeutiques lourdes, sont inadaptées, ce qui explique l’augmentation de la morbidité et de la mortalité chez les malades dénutris hospitalisés.
1. Moyens thérapeutiques
a. Supplémentation alimentaire ou diététique
Réalisée avec l’aide d’une diététicienne, elle vise à augmenter les apports alimentaires spontanés du patient en privilégiant les apports protéiques indispensables et les aliments ayant une forte teneur calorique : modifier la répartition des repas (plus forte ration au petit-déjeuner, qui est le repas le mieux accepté), la texture des aliments (préparations liquides, crèmes), leur nature (les laitages, les fromages, les oeufs sont souvent plus facilement acceptés par des patients fatigués et anorexiques que la viande ou le poisson), leur présentation.
Il existe également des suppléments diététiques présentés sous forme de berlingots, briquettes ou boîtes, qui apportent sous un faible volume une quantité importante de calories et de protéines. Il est indispensable de vérifier l’efficacité des mesures diététiques en comptant les apports alimentaires effectifs et en évaluant l’évolution de l’état nutritionnel. Il faut d’autre part adapter ces mesures aux conditions socio-économiques (les suppléments diététiques ne bénéficient d’un remboursement que dans certaines affections) et utiliser les aides sociales en situation de précarité.
b. Nutrition entérale
Elle consiste à instiller un liquide nutritif par l’intermédiaire d’une sonde dans la partie supérieure du tube digestif, habituellement grâce à une pompe qui assure l’instillation continue à faible débit du liquide. La sonde est placée par voie nasogastrique ou par gastrostomie ou jéjunostomie.
Gastrostomie et jéjunostomie sont surtout utilisées en cas de nutrition entérale prolongée, au-delà d’un mois. La nutrition entérale est bien tolérée, en dehors parfois d’épisodes diarrhéiques. Sa complication majeure, observée chez 2 à 5 % des sujets, est la broncho-pneumopathie d’inhalation par reflux du liquide nutritif dans les voies respiratoires. Cette complication doit être prévenue par un faible débit d’instillation et le maintien du sujet en position demi-assise, y compris la nuit.
Il est important d’adapter les apports calorico-azotés dans une fourchette assez étroite en fonction de la situation catabolique, soit approximativement 50 kcal et 1,5 g de protéines par kg chez le malade de réanimation et 40 kcal et 1,25 g de protéines par kg chez le dénutri chronique. Il faut aussi tenir compte éventuellement des pertes protéiques digestives ou cutanées.
c. Nutrition parentérale
Elle est réalisée par l’intermédiaire d’un cathéter veineux central mis en place dans la veine cave supérieure ou à l’entrée de l’oreillette droite. Les nutriments sont perfusés sous forme de sérum glucosé concentré, solutés d’acides aminés et émulsions lipidiques. Les complications de cette méthode sont surtout infectieuses (5 à 20 % des patients), l’infection du cathéter pouvant conduire à une septicémie gravissime. Leur prévention nécessite le respect de règles strictes d’asepsie lors de la pose et des manipulations du cathéter et du système nutritif. Ce type de nutrition est beaucoup plus onéreux que la nutrition entérale et plus
difficile à mettre en oeuvre à domicile.
Les règles d’établissement du niveau des apports caloriques et azotés sont les mêmes que celles de la nutrition entérale, en tenant compte de la non-sollicitation du tube digestif et de l’absence de pertes fécales.
Lorsque la nutrition parentérale est exclusive, il faut apporter tous les micronutriments indispensables (par exemple : acides gras essentiels, phosphore, zinc, vitamines) pour prévenir la survenue de carences susceptibles de se démasquer à la phase initiale de la renutrition. En particulier, un risque majeur chez le grand dénutri est celui de la carence phosphorée responsable d’une insuffisance cardiaque aiguë pouvant être mortelle : c’est le « refeeding syndrom ».
2. Indications thérapeutiques
a. Prévention de la dénutrition
L’état nutritionnel doit constituer une préoccupation constante chez tout malade, d’autant plus qu’il est hospitalisé, et même si le processus responsable paraît initialement anodin.
Il faut assurer dès le début de la maladie le maintien d’apports protéiques suffisants grâce aux conseils diététiques et éventuellement aux compléments nutritionnels oraux, et vérifier que ces mesures sont suivies (compte alimentaire) et efficaces (évaluation répétée de l’état nutritionnel).
b. Indication de nutrition artificielle
On envisage le recours à une assistance nutritionnelle chaque fois qu’il existe une dénutrition ou que celle-ci est prévisible à court terme alors que les apports spontanés du patient n’atteignent pas un niveau suffisant pour couvrir les besoins (de réparation ou de maintien). Les principales indications préventives de l’assistance nutritionnelle en dehors de la pathologie digestive sont ainsi les situations où l’alimentation orale est impossible (coma, accident vasculaire cérébral, trouble de la déglutition) ou insuffisante pour couvrir des besoins énergétiques théoriques très augmentés (cancer évolué et/ou en cours de traitement radio-chimiothérapique, sepsis prolongé, escarres, etc.). La nutrition artificielle est aussi indispensable en période pré-opératoire pour préparer un sujet dénutri à une chirurgie majeure. La dénutrition augmente la morbidité post-opératoire (sepsis, complications de décubitus). Ce risque de complications est diminué significativement par une renutrition entérale ou parentérale au cours des une à deux semaines précédant la chirurgie.
c. Alternative nutrition entérale/nutrition parentérale
Quand le tube digestif est morphologiquement indemne et fonctionnel, les arguments de tolérance, de coût et de faisabilité, conduisent dans la grande majorité des cas à préférer la nutrition entérale. Les indications de la nutrition parentérale doivent être réservées à des circonstances précises (phase postopératoire, réanimation médicale) et à des situations digestives extrêmes (malabsorption majeure, entéropathie diffuse, colite grave).
(1) Stratégie de prise en charge en cas de dénutrition protéino-énergétique chez la personne âgée.
(2) Évaluation diagnostique de la dénutrition protéino-énergétique des adultes hospitalisés.