5  -  Ou s'arrête la variabilité interindividuelle et où commence la maladie multifactorielle, la maladie génétique "complexe" ?


On admet que pour chaque maladie génétique complexe il doit correspondre un phénotype quantitatif continu dont la variation en population devrait permettre de définir les états normaux et pathologiques. Ce phénotype quantitatif étant sous la dépendance d'une hérédité multifactorielle la pathologie est donc bien de nature "complexe", à la fois polygénique et environnementale.

Figure 9 : Maladie multifactorielle

 Plomin R et al.. , Common disorders are quantitative traits. Nature Reviews Genetics 10, 872 (2009). doi:10.1038/nrg2670. 

5 . 1  -  Définition arbitraire et mathématique des états "normaux" et "pathologiques"

Pour de nombreux caractères multifactoriels il n'existe pas de méthode neutre et objective pour définir la limite entre un état normal et une situation pathologique qui doit en principe déclencher une prise en charge médicale. C'est le cas notamment des paramètres biochimiques comme la triglycéridémie, la cholestérolémie... Dans ces situations le "pathologique" est alors défini arbitrairement par les valeurs situées en dehors de la fourchette -2DS/+2DS de la distribution du paramètre en population générale.

Figure 10 : Définition arbitraire de la limite pathologique

Dans ce contexte, l'intervalle -2DS/+2DS qui correspond aux valeurs normales du paramètre, regroupe par définition mathématique et statistique, 95% de la population, le corollaire de cette définition étant que 5% des sujets sont systématiquement dans la zone dite pathologique.

5 . 2  -  Les caractères multifactoriels avec effet de seuil

Pour certains caractères multifactoriels une situation pathologique évidente se déclare au delà d'un seuil sans qu'il soit besoin de définir des valeurs normales en population générale. C'est le cas de la sténose du pylore qui est le rétrécissement au niveau de la jonction estomac - intestin, sténose résultant de l'hypertrophie du muscle qui entoure cette zone. Le développement de ce muscle est sous hérédité multifactorielle et on peut admettre que son épaississement suit une certaine distribution (loi normale ?) en population générale. Le seuil pathologique correspond au maximum d'hypertrophie du muscle et donc au maximum de rétrécissement du pylore compatible avec une fonction physiologique non altérée.

Figure 11 : Les caractères multifactoriels avec effet de seuil

5 . 3  -  Définition de la limite pathologique par la survenue de comorbidités

Pour certaines maladies génétiques "complexes" comme l'obésité ou le diabète de type 2 la valeur en soi du paramètre quantitatif sous jacent (l'indice de masse corporelle, IMC, la glycémie) ne possède pas de réel seuil physiologique au delà duquel le sujet aurait un ressenti pathologique qui l'amènerait à consulter, ce ne sont pas des caractères multifactoriels à effet de seuil. Pour ces maladies génétiques "complexes" la communauté d'experts médicaux n'a pas opté pour la définition statistique du pathologique sur la base de la déviation standard (DS) mais sur des seuils consensuels au delà desquels l'expérience a montré la survenue de comorbidités ou l'exacerbation des comorbidités.

Pour l'obésité qui peut se définir comme un excès de masse grasse généralement estimée indirectement par la détermination de l'indice de masse corporelle (IMC), un excès de masse grasse ne déclenche pas automatiquement un état pathologique mais les études épidémiologiques ont pu montrer la survenue de comorbidités (diabète de type 2, hypertension, dyslipidémie, problèmes ostéo-articulaires, cancers...) au delà d'un IMC de 27 qui est admis comme seuil de surpoids. Au delà d'un IMC de 30 la fréquence des comorbidités augmente, et ce seuil de 30 définit l'obésité. Au delà d'un IMC de 40 la fréquence des comorbidités devient si grande que le pronostic vital peut être à terme compromis, d'où la définition du seuil de 40 comme celui de l'obésité morbide.

Figure 12 : Définition de la limite pathologique

Pour le diabète de type 2, la glycémie à jeun est le paramètre numérique continu dont l'hérédité est multifactorielle. Ce paramètre suit une certaine distribution en population générale. Dans l'absolu on peut considérer qu'une hyperglycémie n'est pas en soi pathologique mais que ce sont les comorbidités et les complications (coronaropathie, neuropathie, néphropathie, atteintes rétiniennes...) résultant d'une hyperglycémie chronique qui constituent la pathologie. Dans ce contexte il avait été établi un seuil de glycémie de 1.4g/l au delà duquel le sujet "devenait" un patient diabétique qu'il convenait de traiter afin d'équilibrer sa glycémie pour prévenir les comorbidités. Des études épidémiologiques de grande ampleur ont révélé par la suite que le risque de mortalité coronarienne, d'atteintes rénales et rétinienne était multiplié par deux chez les sujets dont la glycémie à jeun se situait au delà de 1.26g/l. Ces données ont amené en 1998 la communauté médicale à rabaisser le seuil pathologique à 1.26g/l.

Figure 13 : Définition de la limite pathologique

Cet exemple montre toute la difficulté à définir parfois un seuil pathologique dans les maladies génétiques "complexes".

 D. Chevenne, F. Trivin, Le diabète sucré : propositions de nouvelles normes de diagnostic et de classification. Annales de Biologie Clinique. Volume 56, Numéro 4, 463-70, Juillet - Août 1998, Pratique quotidienne,

5 . 4  -  La notion de seuil et l'agrégation familiale

Les sujets apparentés partagent de nombreux facteurs génétiques y compris les facteurs de susceptibilité à une maladie génétique "complexe". Dans une famille qui présente au moins un sujet atteint de maladie génétique "complexe", la fréquence des variants génétiques de susceptibilité à la maladie est en général plus élevée que dans la population générale. Les sujets de cette famille auront donc une probabilité plus élevée de présenter ces variants génétiques. Comme ces variants génétiques déterminent la valeur du trait quantitatif sous jacent à la pathologie, les apparentés présenteront des valeurs augmentées du trait quantitatif, au prorata du nombre d'allèles de susceptibilité. Dans ces familles la distribution du paramètre quantitatif sera déplacée vers les valeurs élevées et de ce fait comparé à la population générale, une plus grande proportion de sujets seront au delà du seuil pathologique.

Figure 14 : La notion de seuil et l'agrégation familiale
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