Accouchement sous X, accouchement anonyme, accouchement avec abandon, plusieurs termes utilisés mais qui renvoient à une définition juridique précise, celle de l’accouchement sous le secret, c’est à dire la possibilité pour une femme d’accoucher sans donner son identité ou avec l’assurance qu’elle ne sera jamais révélée sans son consentement.
En effet, si la naissance d’un enfant est souvent symbole de vie et d’espoir, la maternité peut pour certaines femmes être impossible voire impensable ; il en va de leur survie psychologique. L’enfant non désiré devient celui dont on ne peut plus assumer l’éducation, ni envisager l’avenir…
Si l’infanticide et l’abandon furent pendant des siècles des pratiques courantes, l’évolution de la pensée, les modèles sociétaux et les revendications citoyennes ont peu à peu modifié la législation de cette pratique, qui en France a été institutionnalisée au XIXème siècle mais qui suscite encore à l’heure actuelle de nombreux débats de société.
C’était en Egypte. Jocabed conçut et enfanta un fils. Tous les nouveau-nés mâles devaient être éliminés mais voyant combien il était beau, elle le dissimula pendant 3 mois. Ne pouvant le cacher plus longtemps, elle le mit dans une corbeille de papyrus et le posa dans les roseaux sur la rive du Nil. La fille du pharaon aperçut la corbeille, recueillit l’enfant, l’aima et l’éleva comme son propre fils. Il s’appelait Moïse ; c’était il y a 34 siècles….
Dans l’antiquité grecque et romaine, l’abandon était fortement enraciné et organisé sous la forme rituelle de « l’exposition », c’est à dire la possibilité pour les familles d’abandonner devant, en général un temple, l’enfant qui pourra ainsi être recueilli. Les dieux grecs décidaient du sort des enfants et à Rome, le père avait droit de vie ou de mort sur ses enfants.
Sous l’influence de la religion, les comportements se modifièrent et dès le IV ème siècle, l’infanticide et l’abandon furent condamnés.
Dans notre pays, l'accouchement anonyme et l'abandon d'enfant qui lui est consécutif ont une longue histoire, étroitement liée à la prohibition des techniques contraceptives ou abortives et à la condamnation sociale et religieuse des naissances hors mariage.
On retrouve dès le XII ème siècle, dans certains hôpitaux comme l’Hôtel Dieu de Paris, la possibilité d’accoucher « dans un lieu destourné, clos et secret » afin de permettre aux « filles » d'échapper au déshonneur qu'elles n'auraient pu éviter autrement que par l'abandon, voire par l'avortement ou l'infanticide, tous deux punis de mort.
A partir du XVIIIe siècle, le recueil anonyme des nouveau-nés est organisé ; alerté par l’augmentation des abandons et les conditions des enfants trouvés, St Vincent de Paul introduit l'usage du tour, sorte de tourniquet placé dans le mur d'un hospice. La mère y déposait l'enfant puis sonnait une cloche. À ce signal de l'autre côté du mur, quelqu'un faisait basculer le tour et recueillait le nourrisson. L’Eglise, elle-même, reconnait la maternité secrète en 1774, sous le pontificat de Clément XIV.
Cependant, sous la Révolution Française est institué le premier cadre législatif organisant spécifiquement la règle du secret de la grossesse, de l'accouchement et de la prise en charge des parturientes qui le demandent. Le décret-loi du 28 juin 1793 adopté par la Convention, faisant obligation à la Nation de se charger de « l'éducation physique et morale des enfants connus sous le nom d'enfants abandonnés », oblige chaque district à se doter d'une maison où « la fille enceinte pourrait se retirer secrètement pour faire ses couches ». Il garantit la prise en charge matérielle de la mère « frais de gésine et tous besoins » pendant son séjour, qui devait durer jusqu'à ce qu'elle soit parfaitement rétablie, et exige que « le secret le plus inviolable [soit] conservé sur tout ce qui la concerne ».
Ce texte révolutionnaire est révélateur d’un changement de mentalité vis à vis de l’enfant abandonné qui devient un bien précieux que la Nation doit prendre en charge.
De plus, la volonté d’humaniser l’abandon remplace à partir de 1860, le « tour » par le système de « local ouvert de jour et de nuit », ultérieurement qualifié de « bureau ouvert ». 24h sur 24h, les femmes « abandonnantes » sont accueillies sans qu’elles aient à décliner leur identité et tout en leur proposant des moyens de secours. D’autres initiatives se succèdent dans l'esprit du décret-loi de 1793 : le professeur Adolphe Pinard, obstétricien de renom, crée au milieu des années 1880 une Ĺ“uvre d'assistance familiale à la femme enceinte dénommée « La Mère ». Elle est chargée d'accueillir en secret, dans des refuges-asiles, plusieurs milliers de femmes enceintes par an. A partir des années 1890, le sénateur Paul Strauss institut, à Paris et dans le département de la Seine notamment, des refuges-ouvroirs appelés « Maternités secrètes ». Ils ont pour mission d'accueillir secrètement les femmes et de les aider, lorsqu'elles sont seules, à élever leurs enfants en leur évitant tout opprobre social.
Comme beaucoup de lois généreuses de cette époque, elle ne fut guère appliquée en pratique, malgré la faculté théorique d'accoucher en secret maintenue tout au long du XIXème siècle et une tentative de « réveil » réglementaire au début du XXème siècle (circulaire des hôpitaux du 15 décembre 1899).
En 1904, la France confrontée à une baisse de la démographie (liée à la défaite de 1870) instaure par la loi du 27 juin, un secours aux familles afin de réduire les abandons. Elle permet le secret de la naissance des enfants pour réduire l'infanticide et augmente les pensions versées aux nourrices. Le secret de l’abandon est ainsi institué.