Introduction

Les ténias, Taenia saginata et Taenia solium, sont des cestodes, vers plats, cosmopolites, parasites de l’intestin grêle de l’Homme. Ils ont une forme rubanée, sont segmentés, hermaphrodites, et leur évolution comporte un stade adulte et un stade larvaire. Les stades larvaires, ou cysticerques, sont hébergés par les hôtes intermédiaires (bovins, porcins). Ces stades larvaires sont infectants par voie orale pour l’Homme (hôte définitif), chez lequel ils déterminent le tæniasis. Cependant, l’Homme peut accidentellement devenir hôte intermédiaire pour T. solium : ses larves peuvent déterminer une cysticercose sous-cutanée, musculaire, neurologique ou oculaire. D’autres cestodes peuvent parasiter l’intestin de l’Homme à l’état adulte : il s’agit surtout d’Hymenolepis nana et de Diphyllobothrium latum (bothriocéphale).

1  -  Épidémiologie

1 . 1  -  Agents pathogènes

1 . 1 . 1  -  Taenia saginata

Parasite de l’intestin grêle, strictement humain, il s’agit d’un ver plat blanc de grande taille (4 à 10 mètres de longueur), segmenté en 1 000 à 2 000 anneaux, ou proglottis. Il est en général isolé (ver solitaire) (figure 21.1).

Fig. 21.1 Taenia saginata adulte (in toto)
Fig. 21.1 Taenia saginata adulte (in toto).

La tête, ou scolex, est piriforme, d’un diamètre de 1,5 mm à 2 mm, possède quatre ventouses (fixation à la muqueuse intestinale), sans rostre, ni crochet (ténia inerme). À la suite du scolex, le cou mesure quelques millimètres de long et donne naissance aux anneaux, qui forment le corps du ténia, ou strobile, en augmentant progressivement de taille. À maturité, ils prennent la forme d’une « nouille plate », rectangulaires, plus longs que larges (16–20 mm × 5–7 mm). Les proglottis matures sont émis activement dans le milieu extérieur, en dehors des selles, isolément ou en chaînes plus ou moins longues. Ils contiennent des œufs, qui se transforment en embryophore contenant une larve hexacanthe de 40 μm de diamètre. La durée de vie du ténia adulte est de plusieurs années en l’absence de traitement.

1 . 1 . 2  -  Taenia solium

Parasite strictement humain, ce ver a un aspect semblable à T. saginata, mais légèrement plus court (2 à 8 mètres) (figure 21.2). L’infection multiple est plus fréquente qu’avec T. saginata.

Fig. 21.2 Taenia saginata et Taenia solium, adultes, embryophores
Fig. 21.2 Taenia saginata et Taenia solium, adultes, embryophores

Le scolex, d’un diamètre de 1 mm, avec quatre ventouses arrondies et un rostre court, est muni d’une double couronne de crochets (ténia armé). Les proglottis sont macroscopiquement semblables à ceux de T. saginata. Ils diffèrent par leur immobilité et sont donc émis passivement dans le milieu extérieur, avec les selles, isolément ou en chaînes. Les œufs et embryophores sont semblables à ceux de T. saginata.

1 . 1 . 3  -  Hymenolepis nana

Les adultes, souvent nombreux, mesurent 3 cm au maximum. Leur chaîne est constituée d’anneaux beaucoup plus larges que longs dont les pores génitaux, un par anneau, sont tous situés sur le même côté. Le scolex porte une seule couronne de crochets. Les œufs hexacanthes émis dans les selles mesurent 30 μm à 50 μm de diamètre.

1 . 1 . 4  -  Diphyllobothrium latum

Le bothriocéphale est un grand cestode qui atteint 10 à 15 mètres. Le scolex présente deux fentes longitudinales, les bothridies. Les derniers anneaux de la chaîne, qui peut en comporter jusqu’à 4 000, plus larges que longs, ont un aspect trapézoïdal (figure 21.3). Le pore génital de chacun d’eux est médian et ventral ; il libère dans l’intestin des œufs operculés (60-70 μm × 40–45 μm).

Fig. 21.3 Diphyllobothrium latum (bothriocéphale), adulte (détail des anneaux)
Fig. 21.3 Diphyllobothrium latum (bothriocéphale), adulte (détail des anneaux).

1 . 2  -  Cycles

1 . 2 . 1  -  Taenia saginata

À maturité, les proglottis se détachent un à un du strobile. Plusieurs anneaux mobiles forcent activement le sphincter anal en laissant échapper des œufs ou des embryophores dans les plis de la marge anale.

Dans le milieu extérieur, les anneaux sont lysés et libèrent les œufs (environ 80 000 œufs par anneau, soit plus de 150 millions par an), qui sont très résistants dans le milieu extérieur. Ils sont disséminés sur le sol, les égouts, les pâturages, ils sont retrouvés dans les boues résiduaires utilisées en agriculture. Après ingestion par un bovidé, les embryophores, contenant des embryons hexacanthes, sont digérés par les sucs gastriques, les sucs intestinaux et la bile (figure 21.4). Les embryons libérés traversent la muqueuse intestinale. Ils disséminent dans tout l’organisme par voie sanguine et lymphatique. Ils se localisent principalement dans les muscles pour former en 3 à 4 mois des vésicules de 5 mm à 10 mm : les larves cysticerques. Le cysticerque comporte un scolex invaginé avec quatre ventouses. Sa durée de vie est en moyenne de 20 à 30 mois, puis il se calcifie. Le même hôte peut héberger de nombreux cysticerques à plusieurs stades d’évolution. Les cysticerques résistent 40 jours dans les carcasses à 4 °C et 4 heures à – 10 °C. Ils sont détruits à 45 °C.

Fig. 21.4 Cycle évolutif de Taenia saginata
Fig. 21.4 Cycle évolutif de Taenia saginata

La contamination de l’Homme (hôte définitif) se fait par ingestion de viande de bœuf (hôte intermédiaire) contaminée, crue ou mal cuite, contenant des larves cysticerques vivantes. Dans l’intestin grêle, particulièrement dans le jéjunum, le scolex s’évagine, puis se fixe sur la muqueuse et donne un adulte en 3 mois.

1 . 2 . 2  -  Taenia solium

À la différence de T. saginata, les anneaux sont éliminés passivement dans les selles par courtes chaînes de cinq à dix éléments.

Dans la nature, les anneaux sont lysés et les œufs, puis les embryophores, sont libérés. Après ingestion par un porc (mais aussi sanglier, phacochère…), animal volontiers coprophage, les embryophores sont digérés et les embryons libérés se localisent principalement dans le tissu conjonctif des muscles striés, pour former en 3 à 4 mois des vésicules de 15 mm × 7 mm : les larves cysticerques. Chez le porc infecté (dénommé ladre), le cœur et la langue peuvent contenir de très nombreuses larves. L’Homme peut également être infecté par les larves cysticerques : soit par contamination exogène (crudités souillées par les embryophores), soit par contamination endogène (auto-infection par digestion d’anneaux remontés dans l’estomac par anti-péristaltisme) (figure 21.5).

Fig. 21.5 Cycle évolutif de Taenia solium
Fig. 21.5 Cycle évolutif de Taenia solium

L’Homme (hôte définitif) se contamine par ingestion de viande de porc ladre (hôte intermédiaire) mal cuite ou de charcuterie (la fumaison ne détruit pas les cysticerques). Dans l’intestin grêle, l’adulte parvient à maturité en 3 mois.

1 . 2 . 3  -  Hymenolepis nana

Le cycle à l’origine de l’infestation de l’Homme (souvent un enfant) est le plus souvent direct et entretient la parasitose par auto-infection. À partir de l’œuf ingéré avec des crudités souillées, l’embryon hexacanthe est libéré et pénètre dans l’épaisseur d’une villosité, y évolue en larve cysticercoïde (forme microscopique non vésiculeuse contenant un seul scolex invaginé) en quelques jours ; celle-ci retombe dans la lumière de l’intestin, se dévagine et donne naissance à l’adulte dont les œufs commencent à apparaître dans les matières fécales 1 mois environ après l’infestation. Un cycle indirect, beaucoup plus rare, passe par un insecte, hôte intermédiaire (ver de farine, charançon…).

L’Homme est donc le plus souvent à la fois hôte définitif et hôte intermédiaire.

1 . 2 . 4  -  Diphyllobothrium latum

Sa longévité est de l’ordre de 10 ans. À la différence des autres cestodes parasites de l’Homme, les anneaux du bothriocéphale émettent dans l’intestin des œufs éliminés dans le milieu extérieur avec les matières fécales.

Le cycle est aquatique (figure 21.6) : après maturation, l’œuf libère un embryon mobile (coracidium) qui, ingéré par un crustacé copépode, donne une première forme larvaire (procercoïde). Ce copépode ingéré par un poisson d’eau douce carnivore (brochet, perche, salmonidés) permet à la larve de se transformer en une forme infectante (plérocercoïde). Le réenkystement de la larve plérocercoïde est la règle dans la chaîne alimentaire des poissons dulcaquicoles. L’Homme et les mammifères ichtyophages (chien, chat, loutre, ours…) se contaminent par ingestion d’un poisson infecté cru ou peu cuit. Dans l’intestin grêle, le ver parvient à maturité en 3 mois. La pérennité de la parasitose est assurée par les poissons, hôtes intermédiaires, et leurs mammifères prédateurs, hôtes définitifs.

Fig. 21.6 Cycle évolutif du bothriocéphale (D. latum)
Fig. 21.6 Cycle évolutif du bothriocéphale (D. latum).

➌ Élimination d’œufs par le pore génital des anneaux mûrs.

1 . 3  -  Répartition géographique

La répartition est cosmopolite. Elle dépend des habitudes alimentaires (viande et poisson crus) et de la carence ou de la difficulté des contrôles sanitaires.

Taenia saginata est de très loin le plus fréquent en France.

Taenia solium est encore présent dans certains pays d’Europe (péninsule ibérique, Italie, pays de l’Est européen) et dans plusieurs pays tropicaux (Réunion, Madagascar, Amérique du Sud, Extrême-Orient…). Du fait de l’interdiction religieuse de la consommation de viande de suidés, il est rare dans les communautés musulmanes et juives.

Hymenolepis nana est essentiellement rencontré dans les régions du globe sous équipées en stuctures d’hygiène collectives.

Diphyllobothrium latum existe dans de très nombreuses régions lacustres, sous tous les climats. En Europe, les principaux foyers s’observent dans les pays nordiques ou baltiques. Il semble en progression dans la région des lacs en Suisse, en Italie et en France.

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