3  -  Clinique

3 . 1  -  Leishmanioses viscérales

La leishmaniose viscérale a été décrite en Inde sous le nom de kala-azar (fièvre noire en sanscrit) à la fin du xixe siècle. Elle connaît une distribution géographique très large, allant de la Chine à l'Amérique du Sud. Les grands foyers endémiques sont représentés par les foyers chinois, indien, centre-asiatique, est-africain, circumméditerranéen et sud-américain.

Deux espèces sont responsables de la leishmaniose viscérale : L. donovani, espèce anthroponotique, dans les foyers indien et est-africain, et L. infantum, espèce zoonotique, dans les foyers centre-asiatique, méditerranéen et américain.

La prépondérance infantile, historique, n'existe plus, notamment en France. En revanche, le caractère opportuniste de la maladie s'est manifesté pour le VIH avant la mise en place de la trithérapie et persiste pour les greffes d'organes. Le nombre de cas de leishmanioses coinfectées avec le VIH, particulièrement dans la forme viscérale, a augmenté dans les années quatre-vingt-dix avant l'avènement de la trithérapie antirétrovirale. Les cas de coinfection surviennent chez des adultes jeunes et 70 % d'entre eux sont toxicomanes. Le plus souvent, la coinfection est corrélée au taux des CD4 (90 % de ces malades ont moins de 200 CD4/mm3). Chez ces patients, au tableau clinique classique peuvent s'associer, dans 15 % des cas, des manifestations cutanées, pulmonaires ou digestives. Par ailleurs, les cas après greffe d'organe sont en augmentation depuis une quinzaine d'années.

L'incubation est d'environ 3 à 6 mois mais peut atteindre plusieurs années. L'infection peut rester asymptomatique dans de nombreux cas.

Le tableau typique comprend un trépied symptomatique :

  • la fièvre, qui est le signe clinique le plus précoce et le plus constant. Cette fièvre est dite « folle », irrégulière dans la journée et d'un jour à l'autre ;
  • la pâleur « cireuse », témoin de l'anémie ;
  • la splénomégalie, qui peut parfois dépasser l'ombilic.

L'hépatomégalie est moins fréquente et les adénopathies sont rares.

Les autres tableaux sont dissociés, paucisymptomatiques chez l'adulte ou avec des localisations inhabituelles (digestives notamment chez l'enfant ou chez le patient immunodéprimé, cutanées, muqueuses, pleuropulmonaires). Le diagnostic différentiel se pose principalement avec les hémopathies.

Dans la leishmaniose viscérale à Leishmania donovani, l'expression clinique et l'évolution diffèrent de la leishmaniose viscérale à Leishmania infantum par une plus grande fréquence d'adénopathies et surtout l'existence de signes cutanés : pigmentation bistre plus marquée en zones découvertes, maculopapules hypo- ou hyperpigmentées, nodules dermiques. Ces deux derniers types de lésions peuvent apparaître au cours de la maladie ou quelques mois ou années après la guérison clinique apparente.

La leishmaniose viscérale est une maladie chronique à évolution lente durant de longs mois, parfois plusieurs années. En cours d'évolution, les symptômes cliniques et les signes biologiques se majorent progressivement : amaigrissement, anémie et leucopénie s'aggravent, la thrombopénie est plus tardive, la splénomégalie s'accentue. Un état de cachexie s'installe avec une susceptibilité accrue aux infections. La mort survient le plus souvent par infection intercurrente ou hémorragie. Lorsque le traitement est institué suffisamment tôt, l'évolution est favorable et conduit à la guérison clinique, mais des parasites peuvent rester à l'état quiescent dans certaines cellules de l'organisme.

3 . 2  -  Leishmanioses cutanées et cutanéomuqueuses

Les leishmanioses cutanées correspondent à des atteintes exclusives de la peau, sans extension aux organes profonds ni aux muqueuses.

3 . 2 . 1  -  Leishmanioses cutanées localisées

C'est le classique bouton d'Orient (figure 7.7) ou autres dénominations vernaculaires en Afrique du Nord et Asie méridionale, le pian-bois en Guyane (figures 7.8 et 7.9), l'uta dans les vallées andines, l'ulcère des chicleros en Amérique centrale (figure 7.10)… Les espèces dermotropes sont nombreuses (tableau 7.1). Toutes les espèces anthropophiles de Leishmania peuvent être responsables de leishmaniose cutanée, y compris les espèces habituellement viscérotropes comme L. infantum. La période d'incubation varie entre 1 et 4 mois. Les lésions siègent le plus souvent sur les parties découvertes et exposées à la piqûre des phlébotomes (visage, mains et avant-bras, membres inférieurs). Elles débutent par une petite papule inflammatoire ou vésiculaire qui augmente régulièrement de taille.

Fig. 7.7 Leishmaniose cutanée : forme sèche (bouton d'Orient)
Fig. 7.7 Leishmaniose cutanée : forme sèche (bouton d'Orient).
Fig. 7.8 Leishmaniose cutanée du Nouveau Monde : Leishmania guyanensis (pian-bois)
Fig. 7.8 Leishmaniose cutanée du Nouveau Monde : Leishmania guyanensis (pian-bois).
Fig. 7.9 Leishmaniose cutanée du Nouveau Monde : Leishmania guyanensis ; forme pseudo-sporotrichosique du pian-bois
Fig. 7.9 Leishmaniose cutanée du Nouveau Monde : Leishmania guyanensis ; forme pseudo-sporotrichosique du pian-bois.

Au-dessus d'une lésion ulcérée du dos de la première phalange du majeur (« maman pian »), noter l'existence de plusieurs formations nodulaires étagées, qui correspondent à des lésions parasitaires sur trajet lymphatique (« petits pians »).
Fig. 7.10 Leishmaniose cutanée du Nouveau Monde : ulcère des chicleros
Fig. 7.10 Leishmaniose cutanée du Nouveau Monde : ulcère des chicleros
Tableau 7.1 Principales espèces de leishmanies classées selon l'espèce, la répartition géographique et le tableau clinique principal
 Leishmaniose viscérale
Leishmaniose cutanée
Leishmaniose cutanéomuqueuse
 Nouveau Monde

(Amériques)
 L. infantum L. mexicana          L. guyanensis

L. amazonensis     L. panamensis

L. venezuelensis   L. peruviana

 L. braziliensis
 Ancien Monde L. donovani L. tropica 
 (Europe, Afrique, Asie) L. infantum L. major

L. aethiopica

(L. infantum)
 
Tableau 7.1 Principales espèces de leishmanies classées selon l'espèce, la répartition géographique et le tableau clinique principal

À la phase d'état, la lésion leishmanienne est bien circonscrite. Elle mesure entre un demi et une dizaine de centimètres de diamètre et a une forme arrondie ou ovale, régulière. Elle est indolore. Le nombre de lésions est variable et dépend du nombre de piqûres infectantes. La lésion de type ulcéré est le plus fréquemment rencontrée, quelle que soit l'espèce du parasite en cause. L'ulcération centrale, à fond irrégulier, est bordée par un bourrelet périphérique, inflammatoire, rouge, hyperpigmenté sur peau noire : c'est la zone active de la lésion, riche en macrophages parasités, sur laquelle doit porter le prélèvement destiné au diagnostic parasitologique. L'ulcération est recouverte d'une croûte plus ou moins épaisse (figure 7.11). Des nodules sous-cutanés satellites sont parfois associés. Ils contiennent des parasites et témoignent de la diffusion de l'infection leishmanienne par voie lymphatique. La lésion de leishmaniose cutanée évolue de façon torpide durant plusieurs mois. Une surinfection bactérienne secondaire est possible, qui rend le diagnostic parasitologique aléatoire. La lésion finit cependant par guérir spontanément, en laissant une cicatrice indélébile.

Fig. 7.11 Leishmaniose cutanée : aspect ulcérocroûteux
Fig. 7.11 Leishmaniose cutanée : aspect ulcérocroûteux

3 . 2 . 2  -  Leishmanioses cutanées diffuses

Les leishmanioses cutanées diffuses sont peu fréquentes, dues à L. amazonensis en Amérique du Sud et L. aethiopica en Afrique de l'Est. La lésion élémentaire est un nodule non ulcéré de petite taille. Puis les nodules deviennent très nombreux et disséminés sur l'ensemble du corps. Les nodules augmentent de taille, deviennent confluents et forment de larges plaques infiltrées. L'aspect du malade s'apparente à celui d'un lépreux lépromateux, notamment au niveau du visage (aspect léonin). Cette forme de leishmaniose est rebelle aux antileishmaniens classiques.

En Guyane, on observe des formes cutanées dues à L. guyanensis s'accompagnant parfois de dissémination lymphatique nodulaire (« pian-bois », cf. figure 7.9).

3 . 2 . 3  -  Leishmanioses cutanéomuqueuses

Les leishmanioses cutanéomuqueuses sont surtout le fait de L. braziliensis. Cette affection évolue en deux temps, la lésion cutanée initiale pouvant être ultérieurement suivie par une atteinte muqueuse secondaire, après une phase quiescente qui peut être très longue. L'atteinte muqueuse, lorsqu'elle se produit, débute à la muqueuse nasale avec un granulome qui siège souvent à la partie antérieure de la cloison nasale, rapidement envahie et détruite. La perforation qui en résulte est considérée comme un symptôme quasi pathognomonique de leishmaniose cutanéomuqueuse. Lorsque la destruction de la cloison s'étend à la partie osseuse, le nez du malade s'affaisse et prend la forme de « nez de tapir ». L'extension peut ensuite se faire au niveau de la muqueuse buccale et du larynx. Cette forme clinique peut aboutir à de spectaculaires et gravissimes destructions du massif facial (espundia).

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