4 . 2  -  Diagnostic étiologique et le traitement

4 . 2 . 1  -  Surdités unilatérales


La surdité de perception peut être d’apparition brutale ou progressive. La cause peut être inconnue ou incertaine. Le traitement est souvent aléatoire ou inexistant. Le pronostic fonctionnel est incertain, voire péjoratif.

4 . 2 . 1 . 1  -  Surdité unilatérale brusque (SUB)


« Coup de tonnerre dans un ciel serein », la surdité brusque, en règle unilatérale survient brutalement, en quelques secondes ou minutes, accompagnée de sifflements unilatéraux et quelquefois de vertiges ou de troubles de l’équilibre.
L’examen ORL clinique est normal.
C’est une surdité de perception plus ou moins profonde.
Le bilan clinique et biologique le plus complet ne montre en règle générale aucune autre anomalie.
On peut simplement soupçonner quelquefois, sur des arguments anamnestiques en général discrets, une origine :

  • virale (rhinopharyngite datant de quelques jours, allure saisonnière) ;
  • vasculaire (sujet âgé, présence de facteurs de risque, d’atteinte vasculaire).

Le pronostic fonctionnel est péjoratif (50 à 75 % ne récupèrent pas), surtout si la surdité est sévère ou profonde et si le traitement est retardé ou nul.
La SUB est en effet considérée comme une urgence médicale.
Un traitement médical peut être tenté dans les premières heures ou les premiers jours. Son efficacité est discutée, mais elle est nulle après le 8-l0e jour.
Quelle que soit la cause soupçonnée, il peut comprendre les éléments suivants :

  • mise en Ĺ“uvre d’un traitement associant aux corticoïdes, et de façon variable, pendant 6 à 8 jours :
    • perfusions de vasodilatateurs,
    • oxygénothérapie hyperbare,
    • carbogène,
    • hémodilution ;
  • un traitement de relais plus léger peut être poursuivi pendant plusieurs semaines (vasodilatateurs…).

Dix pour cent des patients présentant une surdité brusque sont porteurs d’un neurinome de l’acoustique. Il doit systématiquement être recherché face à une SUB (PEA ou IRM injectée).

4 . 2 . 1 . 2  -  Surdités traumatiques

  • La surdité de perception peut être la conséquence d’un(e) :
    • fracture transversale (labyrinthique) du rocher, lésant l’oreille interne (cf. fractures du rocher). La surdité est le plus souvent unilatérale ou prédomine d’un côté : totale ou partielle, mais alors souvent évolutive (dégénérescence secondaire). Elle s’accompagne d’acouphènes et souvent de vertiges, en général régressifs ;
    • traumatisme crânien sans fracture du rocher. L’onde de choc entraîne une commotion labyrinthique. La surdité peut être régressive, en totalité ou en partie.
  • Les surdités traumatiques résiduelles entrent dans le cadre du syndrome post-traumatique (cf. vertiges), et l’incidence médico-légale est fréquente.

4 . 2 . 1 . 3  -  Surdités infectieuses : labyrinthites

  • Labyrinthites otogènes par propagation de l’infection de l’oreille moyenne : otite moyenne aiguë, cholestéatome de l’oreille avec fistule du canal externe ou effraction transplatinaire au niveau de la fenêtre ovale. Elles peuvent régresser en totalité ou en partie par un traitement antibiotique et corticoïde énergique et précoce. Le cholestéatome doit être éradiqué chirurgicalement en urgence.
  • Neurolabyrinthite hématogène, microbienne (syphilis, exceptionnelle) et surtout :
    • oreillons : surdité unilatérale ;
    • zona auriculaire : atteinte du VIII ;
    • autres virus neurotropes.
  • Neurolabyrinthite suite à une méningite (surtout bactérienne).
  • La surdité est en règle générale irréversible et incurable.
Média 2 : Principe de fonctionnement d'un implant cochleaire
L'implant cochléaire permet de stimuler directement le nerf auditif en aval des cellules sensorielles de la cochlée. Il est donc indiqué dans les surdités bilatérales de perception sévère ou profondes. Le son est capté par un microphone externe, analysé par un processeur externe. Le signal est transmis en transcutané vers les léectrodes de stimulation implantées.

4 . 2 . 1 . 4  -  Surdités par trouble pressionnel


Cf.
chapitre "Item 101. Vertiges, maladie de Menière".

4 . 2 . 1 . 5  -  Tumeurs de l’angle pontocérébelleux : le neurinome de l’acoustique


Le neurinome de l’acoustique est un schwannome développé sur la VIIIe paire. C’est une tumeur rare, mais dont le diagnostic doit être fait au stade précoce.
Le début, insidieux, est le plus souvent constitué par une surdité de perception unilatérale de l’adulte, d’évolution lentement progressive et remarquée en général fortuitement.
Les acouphènes sont contingents, les troubles de l’équilibre discrets et inconstants.
Le neurinome du VIII se révèle quelquefois par un symptôme brutal et unilatéral : surdité brusque, paralysie faciale.
Toute surdité unilatérale progressive de l’adulte de cause non évidente doit faire évoquer un neurinome de l’acoustique. Les étapes diagnostiques sont les suivantes :

  • examen clinique avec recherche de/d’une :
    • hypoesthésie cornéenne unilatérale,
    • signes vestibulaires spontanés,
    • signes vestibulaires provoqués (secouage de tête, vibrateur, Halmagyi) ;
  • examen fonctionnel cochléovestibulaire :
    • audiométrie tonale et vocale (surdité de perception avec intelligibilité effondrée),
    • potentiel évoqué auditif, examen fonctionnel essentiel et fiable (l’allongement des latences du côté atteint signe l’atteinte rétrocochléaire) (figure 16),
    • épreuves calorique et otolithique (déficit vestibulaire unilatéral) ;
  • imagerie : IRM CAI – fosse postérieure avec injection de gadolinium (figure 17).
Figure 16 : Enregistrement des potentiels évoqués auditifs chez un patient présentant un neurinome de l’acoustique gauche.
Noter les latences de conduction entre l’onde I générée dans la cochlée et l’onde V générée dans le tronc cérébral qui sont augmentées du côté gauche.
Figure 17 : Aspects radiologiques du neurinome de l’acoustique
A. IRM en coupe axiale montrant un neurinome de l’acoustique de petite taille situé uniquement dans le conduit auditif interne sans extension dans l’angle pontocérebelleux (flèche : opacité au sein du LCR apparaissant en blanc sur ces séquences T2). B. IRM en coupe frontale montrant un neurinome de l’acoustique volumineux développé dans l’angle ponto-cérebelleux et comprimant le tronc cérébral et les structures cérébelleuses.

La prise en charge peut être chirurgicale, surveillance radioclinique ou radiothérapie stéréotaxique (gamma knife). Le choix se fait en fonction de l’âge du patient, de la taille et de l’évolutivité du neurinome, de sa localisation et de la symptomatologie.

4 . 2 . 2  -  Surdités bilatérales de l’adulte

4 . 2 . 2 . 1  -  Surdité d’origine génétique – maladie évolutive du jeune


C’est une surdité de perception cochléaire, en règle bilatérale, d’installation progressive chez l’adulte jeune, s’aggravant au fil du temps, parfois très rapidement. Elle peut s’accompagner d’acouphènes bilatéraux. Le handicap fonctionnel est dramatique chez ce sujet en pleine activité professionnelle. Elle échappe à tout traitement médical ou chirurgical. Les vasodilatateurs sont classiquement prescrits, d’efficacité discutable.
L’origine génétique est souvent suspectée (autosomique dominant).
La prothèse acoustique amplificatrice doit être prescrite rapidement dès que l’intelligibilité de la parole chute. L’implant cochléaire est indiqué, en relais de la prothèse amplificatrice, si la surdité est profonde, bilatérale.

4 . 2 . 2 . 2  -  Surdité de sénescence ou presbyacousie


Ce n’est pas une maladie mais un processus normal de vieillissement portant sur toutes les structures neurosensorielles du système auditif (oreille interne, voies et centres nerveux). Ce processus commence très tôt vers l’âge de 25 ans (amputation des fréquences les plus aiguës du champ auditif) sans qu’il n’y ait avant longtemps de trouble de l’intelligibilité.
La presbyacousie se manifeste socialement à partir de 65 ans par une gêne progressive de la communication verbale, beaucoup plus importante que ne le laisse prévoir la courbe audiométrique tonale, si des troubles de la sélectivité fréquentielle par atteinte des cellules ciliées externes, et de l’intégration corticale du message verbal, sont associés à l’atteinte d’oreille interne.
Elle peut débuter beaucoup plus tôt du fait de facteurs :

  • génétiques (presbyacousie précoce, forme de passage avec la surdité évolutive du jeune) ;
  • pathologiques associés : insuffisance vasculaire, diabète, traumatismes sonores professionnels, atteintes toxiques…

La surdité de perception est bilatérale et symétrique et porte sur les fréquences les plus aiguës (4 000 Hz), puis s’étend vers les fréquences conversationnelles (500 à 2000 Hz) (figure 18).

Figure 18 : Surdité de perception bilatérale symétrique dans le cadre d’une presbyacousie avancée

Les phénomènes de sénescence touchant la cognition sont un facteur aggravant majeur des troubles de l'intelligibilité de la parole.

Le traitement est inexistant.

La prothèse auditive idéalement bilatérale constitue une aide appréciable si elle est prescrite précocement (à partir d’une chute bilatérale de 30 dB à 2000 Hz) ; son efficacité est améliorée si l’on y associe une prescription de rééducation orthophonique par l’apprentissage de la lecture labiale, l’éducation auditive et le travail cognitif sur les suppléances mentales. L’éducation de l’entourage est utile.

4 . 2 . 2 . 3  -  Traumatismes sonores


Chroniques d’origine professionnelle


Ils sont encore fréquents (surdités des forgerons, des chaudronniers…). Les surdités professionnelles s’observent en milieu industriel bruyant.
La zone d’alarme de la nuisance auditive est de 85 dB (A) pendant 8 h/j. Les sons impulsifs et les spectres sonores aigus sont les plus nocifs. La susceptibilité individuelle au bruit est grande. Il n’y a actuellement pas de test de dépistage fiable des sujets à haut risque auditif.
Les troubles de l’atteinte cochléaire se manifestent d’abord par une fatigue auditive dans les premiers mois d’exposition au bruit, et des sifflements d’oreille, réversibles à l’éviction du bruit.
Les premiers signes de la surdité sont audiométriques : scotome auditif sur la fréquence 4 000 Hz, bilatéral. Puis, la perte s’étend en tache d’huile vers les aigus et les fréquences conversationnelles. La gêne auditive apparaît alors, puis s’aggrave. La surdité n’évolue plus après éviction de l’ambiance sonore (figure 19).

Figure 19 : Évolution de seuils en audiométrie tonale en cas de traumatisme sonore chronique en fonction du temps.
La perte auditive de perception est initialement centrée sur la fréquence 4 000 Hz, puis touche les autres fréquences. L’arrêt de l’exposition traumatique stoppe l’évolution de la surdité.

Il n’y a pas de traitement, c’est dire l’importance des mesures de prévention :

  • protection individuelle et collective contre le bruit ;
  • audiogrammes de contrôle (médecine du travail).

La surdité due au traumatisme sonore chronique entre dans le cadre du tableau n° 42 des maladies professionnelles depuis 1963.

Aigus, accidentels

Un bruit soudain et violent (déflagration…) peut entraîner une lésion de l’oreille interne et une surdité bilatérale, portant ou prédominant sur la fréquence 4 000 Hz, accompagnée souvent de sifflements d’oreille et quelquefois de vertiges.
Elle est susceptible de régresser en totalité ou en partie. Elle est justiciable d’un traitement médical d’urgence qui est celui des SUB.
Lorsque l’accident survient brutalement, pendant ou à l’occasion du travail, il entre dans le cadre des accidents du travail (et non des maladies professionnelles).
Les barotraumatismes de l’oreille interne :

  • ils ont la même étiologie que ceux de l’oreille moyenne. Ils entraînent surdité et vertiges rotatoires. Le traitement doit être réalisé en urgence ;
  • la thérapeutique comporte :
    • corticothérapie,
    • désobstruction nasale par vasoconstricteurs locaux ;
    • traitement vasodilatateur ;
    • en cas d’épanchement de l’oreille moyenne : évacuation par paracentèse et antibiotiques per os ;
    • une thérapeutique prophylactique pour en éviter la répétition : rétablissement de la perméabilité nasale…

4 . 2 . 2 . 4  -  Surdités toxiques


Elles sont essentiellement le fait de substances médicamenteuses.
La surdité toxique est bilatérale lorsque la drogue est délivrée par voie générale, elle prédomine sur les fréquences aiguës. Elle est irréversible et incurable. En règle générale, il s’agit des aminosides :

  • ils sont ototoxiques sur la cochlée et/ou le vestibule ;
  • les nouveaux aminosides ont une ototoxicité moins importante que la streptomycine, et un tropisme plutôt vestibulaire que cochléaire ;

Elle survient essentiellement :

  • par surdosage et répétition des traitements ;
  • chez des sujets insuffisants rénaux ;
  • dans certains cas, par prédisposition génétique (ADN mitochondrial).

C’est dire l’importance des mesures préventives :

  • surveillance de la fonction rénale ;
  • adaptation des doses en surveillant les concentrations plasmatiques ;
  • indications précises ;
  • audiogramme systématique chez les sujets à risque.

Autres médicaments :

  • diurétiques : furosémide (potentialise l’ototoxicité des aminosides) ;
  • antimitotiques : cisplatine, moutardes à l’azote ;
  • quinine et dérivés ;
  • rétinoïdes ;
  • produits industriels : CO, Hg, Pb…

4 . 2 . 3  -  Surdités bilatérales de l’enfant


Cf.
paragraphe IV.

4 . 3  -  Diagnostic différentiel des surdités

4 . 3 . 1  -  Simulateurs


Il ne se pose que très rarement chez l’adulte conscient.
Il peut se discuter en cas de surdité psychogène ou simulée.
Les épreuves audiométriques objectives permettent en général de lever le doute, surtout l’audiométrie par potentiels évoqués auditifs avec recherche des seuils.

4 . 3 . 2  -  Surdités centrales


Les atteintes auditives par lésion des voies centrales de l’audition lors d’atteintes hautes du tronc cérébral ou des régions sous-cortico-corticales ne méritent pas le nom de surdité. Elles ne se manifestent pas par une baisse de l’ouïe, mais par des troubles gnosiques : le sujet entend (audiogramme tonal normal), mais ne comprend pas (audiogramme vocal altéré). Souvent les lésions des voies auditives centrales n’entraînent aucune plainte auditive (SEP ou tumeur du tronc cérébral par exemple).
L’audiométrie par potentiels évoqués auditifs apporte par contre des renseignements importants pour la mise en évidence et la localisation des lésions des voies auditives.

6/10