3  -  Aspects épidémiologiques

3 . 1  -  Incidence et prévalence

Prévalence des principales MAI (pour 105 habitants)
   Polyarthrite rhumatoïde    500 (H) à 4000 (F)      75 à 90 % = F  
   Pathologies thyroïdiennes auto-immunes      100 (H) à 1000 (F)    90 % = F
   Maladie cœliaque    100 à 500  
   Diabète insulino-dépendant    200 à 300  
   Syndrome de Gougerot-Sjögren    100 à 500    90 % = F
     
   Lupus érythémateux aigu disséminé    15 à 20    70 à 95 % = F
   Pemphigoïde bulleuse    10 à 20  
   Cirrhose biliaire primitive    10 à 15    90 % = F
   Sclérodermie    3 à 25    75 % = F
     
   Polymyosites et dermatomyosites    6 à 7  
   Myasthénie    5  
   Granulomatose de Wegener    2 à 3  
   Syndrome de Goodpasture    <1  
   Polychondrite atrophiante    <1  
   Fasciite à éosinophiles    <1  
   Maladie de Biermer    ?  
   HAI    0,5  
   Pemphigus vulvaire 0,13  

L'épidémiologie des maladies auto-immunes reste difficile à déterminer avec précision, car il faut éviter les biais de sélection liés au regroupement des patients dans les grands centres hospitaliers. Par exemple, les pathologies thyroïdiennes auto-immunes sont extrêmement fréquentes avec une prévalence de l'ordre de 1 % chez la femme qui est touchée 5 à 10 fois plus souvent que l'homme. La polyarthrite rhumatoïde et le syndrome de Gougerot-Sjögren sont aussi des maladies systémiques fréquentes. La prévalence de la polyarthrite rhumatoïde est de 1000 à 4000 pour 100 000 habitants chez la femme et 300 à 1000 pour 100 000 habitants chez l'homme. Pour le syndrome de Gougerot-Sjögren, la prévalence est de 100 à 500 cas pour 100 000 habitants. Le diabète insulinodépendant est aussi une maladie fréquente avec une prévalence de 200 à 300 pour 100 000 habitants. La prévalence de la maladie cœliaque paraît largement sous-estimée (100 à 200 pour 100 000 habitants) puisque des études récentes de dépistage des formes frustes la situent à près de 1/200 ! Le lupus érythémateux systémique est une maladie beaucoup plus rare avec une prévalence de 15 à 50 pour 100 000 habitants. Il en est de même pour la sclérodermie qui a une prévalence d'environ 20 pour 100 000 habitants. L'incidence de la sclérodermie est cependant probablement sous-estimée, car les premiers symptômes ne sont souvent rattachés à la maladie que plusieurs années plus tard. La prévalence de la dermatopolymyosite est d'environ 5 à 10 cas pour 100 000 habitants. Au total, une meilleure efficacité diagnostique, l'augmentation de la durée de vie des populations et la diminution de la mortalité des maladies auto-immunes les plus sévères, grâce à une meilleure prise en charge thérapeutique, donnent à ce groupe de pathologies une prévalence globale de 5 à 10 %, ce qui en fait un problème de Santé publique important que l'on situe juste derrière les cancers et les maladies cardiovasculaires.

3 . 2  -  Sex ratio

De façon générale, les maladies auto-immunes s'observent préférentiellement chez la femme. Dans le lupus érythémateux systémique, la prédominance féminine est très nette avec un sex ratio de 9 pour 1. Pour la sclérodermie, la prédominance féminine est de 3 à 6 femmes pour 1 homme. Ces maladies s'observent à tout âge mais, chez la femme, préférentiellement en période d'activité ovarienne, avec un pic de fréquence entre 10 et 40 ans pour le lupus érythémateux systémique et entre 30 et 50 ans pour la sclérodermie. Le syndrome de Gougerot-Sjögren touche les femmes dans 90 % des cas et s'observe surtout autour de la période de la ménopause (âge moyen lors de l'apparition du premier symptôme : 43 ans).

3 . 3  -  Facteurs génétiques

Les maladies auto-immunes sont d'origine multifactorielle. En effet, la prédisposition à ces maladies repose le plus souvent à la fois sur des facteurs propres à l'individu (facteurs génétiques et endocriniens) et des facteurs d'environnement. L'existence d'une prédisposition génétique est démontrée par les formes familiales de maladies auto-immunes spécifiques ou non spécifiques d'organes (la fréquence des formes familiales du lupus érythémateux systémique est évaluée à environ 8 %) et surtout par la concordance de ces maladies chez les jumeaux monozygotes (25 % et 30 % de concordance dans le lupus et le diabète insulinodépendant, respectivement). Cependant cette concordance n'est que partielle, ce qui suggère le rôle d'autres facteurs, en particulier l'environnement.

Les facteurs génétiques associés aux maladies auto-immunes ont initialement concerné certains phénotypes du Complexe Majeur d'Histocompatibilité (CMH). Leur implication comme terrain génétique favorisant l'émergence de maladies auto-immunes est variable selon les maladies étudiées. Certains allèles de DR1 (DRB1*01…) et DR4 (DRB1*0401, 0404 et 0405) sont des facteurs de risque pour la polyarthrite rhumatoïde, les allèles de susceptibilité codant pour une séquence d'acides aminés commune en position 70-74 de la chaîne DRβ. Dans le cas du diabète insulinodépendant les allèles DR3 et DR4 (surtout s'ils sont associés) et plus encore certains allèles DQB1 sont des gènes de susceptibilité, avec un rôle favorisant ou protecteur en fonction de la séquence de la molécule codée. 90 % des patients ayant une maladie cœliaque expriment l'allèle DQ2 (DQ2=DQA1*0501/DQB1*02..).

L'implication des gènes du CMH est par contre plus faible, bien que significative, pour la plupart des autres maladies auto-immunes ; c'est par exemple le cas pour DR2 ou DR3 dans le lupus érythémateux systémique (38 % des LES possèdent DR3, contre 20 % chez les témoins).

Les déficits en fractions précoces du complément (C1q, C1r, C1s, C2 et C4) sont associés à une incidence accrue de maladies auto-immunes : déficit homozygote en C4 (75 % de lupus), en C1q (90 % de lupus). Le déficit en immunoglobulines A est également fréquemment associé à des désordres auto-immuns (maladie cœliaque, par exemple).

Actuellement d'autres gènes sont en étude au cours des maladies auto-immunes, comme les gènes de certains récepteurs des immunoglobulines et des récepteurs des lymphocytes T, des gènes de cytokines et des gènes régulant les phénomènes d'apoptose (Fas ligand, bcl2…) ou l'activation lymphocytaire (CTLA-4, CD40 ligand…).

Au total, la susceptibilité aux maladies auto-immunes est polygénique, ce que confirment les études en cours dans les modèles animaux : 7 à 10 loci sont impliqués dans la susceptibilité à l'encéphalomyélite auto-immune expérimentale ; il en est de même pour le diabète insulinodépendant et le lupus murin.

3 . 4  -  Facteurs environnementaux

Parmi les facteurs d'environnement incriminés, l'implication des infections est suggérée par de nombreux arguments indirects, comme, par exemple, une fréquence anormalement élevée d'anticorps antivirus d'Epstein-Barr dans la polyarthrite rhumatoïde et la sclérose en plaques. Il existe aussi, pour ces deux maladies, un gradient géographique de fréquence Sud / Nord qui ne peut se résumer à la seule contribution de facteurs génétiques, suggérant là encore l'implication de facteurs environnementaux. Plus pertinentes sont les communautés de structures entre bactéries et auto-antigènes qui rendent compte de la pathogénie de l'arthrite aux adjuvants du rat (communauté de structure entre Mycobacterium tuberculosis et la membrane synoviale des articulations) et de celle du rhumatisme articulaire aigu de l'homme (communauté de structure entre la protéine M du streptocoque et l'endocarde). Cependant de tels arguments directs sont rares et les infections ne sont sans doute pas, à elles seules, responsables de maladies auto-immunes.

Les hormones sexuelles ont un rôle important dans l'apparition de maladies auto-immunes. Ceci est démontré dans les modèles expérimentaux animaux. Dans l'espèce humaine, la survenue des maladies auto-immunes préférentiellement chez les femmes en période d'activité génitale et les rôles parfois aggravants de la grossesse et de la contraception hormonale confirment cette importance. La grossesse et les traitements inducteurs de l'ovulation peuvent aggraver un lupus érythémateux systémique (grossesse ou post-partum immédiat). De façon générale, les œstrogènes sont impliqués dans le déclenchement de l'auto-immunité, avec les mêmes réserves que celles déjà citées concernant le rôle des infections : ce sont probablement des facteurs déclenchants qui révèlent la présence d'un terrain auto-immun sous-jacent.

Les rayons ultraviolets sont également capables de déclencher une maladie auto-immune et on connaît le caractère très photosensible de l'éruption cutanée du lupus.

De même, certains médicaments induisent l'apparition d'aAc et de certaines manifestations cliniques de maladies auto-immunes (le modèle classique est celui du traitement par procaïnamide dans l'apparition d'un lupus érythémateux systémique). Des médicaments plus récemment utilisés comme l'interféron alpha (prescrit par exemple dans le traitement des hépatites virales) et les anti-tumor necrosis factors alpha peuvent induire une auto-immunité biologique qui peut même parfois s'accompagner de manifestations cliniques.

L'exposition professionnelle à des substances toxiques a été impliquée dans la survenue d'une sclérodermie. L'exposition à la silice est parfois retrouvée chez les patients présentant une sclérodermie. Les sujets en contact avec du chlorure de vinyle peuvent développer un syndrome de Raynaud avec sclérose cutanée et une acro-ostéolyse. La recherche d'un facteur d'environnement doit donc être systématique lors du diagnostic de sclérodermie, surtout si elle survient chez un homme. Enfin, la sclérodermie et la dermatopolymyosite sont parfois associées à un cancer et sont alors considérées comme des syndromes paranéoplasiques. Ces deux maladies imposent donc la recherche d'une néoplasie sous-jacente.

3/8