6  -  Annexe : La maladie de Biermer

Atteignant classiquement le sujet âgé, le tableau ne doit pas être écarté chez le sujet plus jeune. C'est la plus fréquente des anomalies carentielles vitaminiques. Survenant chez la femme le plus souvent, elle est due à une absence de sécrétion du facteur intrinsèque. Elle est actuellement reconnue comme une maladie auto-immune. Elle s'associe fréquemment à des maladies comme le vitiligo, thyroïdite auto immune, diabète.

Le tableau est très polymorphe cliniquement, mais la mégaloblastose médullaire est constante.

Le pronostic est bénin sous un traitement vitaminique à vie. En dehors d'un traitement correct les complications neurologiques irréversibles dominent.

6 . 1  -  Clinique

Le tableau est dominé par un syndrome anémique généralement bien toléré malgré sa profondeur, du fait d'une installation progressive.
Cette anémie s'accompagne de différents symptômes témoignant de l'atteinte d'autres systèmes dépendant de la vitamine B12 :

Signes digestifs avec la glossite atrophique avec des troubles sensitifs à l'absorption de mets chauds ou épicés. La langue est lisse et dépapillée. Cette glossite est associée souvent à des troubles digestifs de type douleurs, diarrhées, constipation. Ces troubles peuvent être au premier plan.

Des troubles cutanés peuvent être observés : peau sèche, squameuse, ongles cassants, perte de cheveux. Parfois une hyperpigmentation est notée au niveau des paumes et des plantes.

La stérilité est fréquente.

L'examen peut retrouver un ictère et une splénomégalie.

Les manifestations neurologiques peuvent être trompeuses, prenant l'aspect d'un déficit sensitivomoteur périphérique : paresthésies, disparition des réflexes, multinévrites ou atteinte centrale : ataxie, signe de Babinski, incontinence anale ou urinaire.
Dans sa forme évoluée le tableau neurologique réalise une sclérose combinée de la moelle avec une quadriparésie associée à une incontinence. Ce tableau est généralement irréversible.

Des manifestations neuropsychiques : elles sont parfois au premier plan, il faut donc évoquer la carence en vitamine B12 devant un trouble du comportement ou devant un déficit neurologique .
Ses manifestations survenant chez un sujet âgé peuvent être trompeuses et égarer le diagnostic.

6 . 2  -  Biologie

6 . 2 . 1  -  La numération

L'anémie est au premier plan, généralement importante, avec une hémoglobine entre 50 et 60 g/L.
Elle est macrocytaire avec un VGM, généralement supérieur à 110 fl.
Elle est surtout arégénérative avec un chiffre de réticulocytes inférieurs à 50 G/L.

Le chiffre de globules blancs et des plaquettes est généralement peu diminué mais une neutropénie inférieure à 1 G/L ou des plaquettes inférieures à 30 G/L peuvent s'observer.

Une hyper-segmentation des polynucléaires est fréquente sur le frottis de sang.

6 . 2 . 2  -  Autres signes biologiques

Il existe d'autres signes biologiques évocateurs d'une carence. L'absence de vitamine entraîne une lyse cellulaire au niveau de la moelle (hémolyse intra-médullaire) se traduisant par : une augmentation des LDH, une augmentation de la bilirubine libre, une baisse de l'haptoglobine qui devient généralement inférieure à 0,2 mg/l.

6 . 2 . 3  -  La ponction sternale

Permet de préciser le diagnostic, en moins de 24 heures, qui doit être réalisé dès que le diagnostic de macrocytose est posé et que les causes endocriniennes et alcooliques ont été éliminées.
Elle objective une moelle riche en précurseurs donnant un aspect bleuté à la coloration avec un aspect spécifique des cellules qui sont augmentées de taille et qui présentent un retard de maturation du noyau par rapport au cytoplasme (asynchronisme nucléo-cytoplasmique) permettant de poser le diagnostic spécifique de carence en B12 ou en folates : la MEGALOBLASTOSE .

6 . 3  -  Diagnostic positif

Il se résume à faire la différence entre une carence en vitamine B12 et une carence en folates. Cette différence est fondamentale car sous un traitement correct les signes cliniques vont disparaître et les manifestations neuropsychiques des carences en vitamine B12 peuvent totalement régresser. À l'inverse traiter une carence en vitamine B12 par un traitement par folates peut entraîner une aggravation des signes biologiques et surtout aggraver les manifestations neurologiques qui peuvent devenir irréversibles.

  • Le dosage de vitamine B12 : Le taux normal de la vitamine B12 est de 150 à 450 pg/ml ; ces dosages ont une spécificité qui n'est pas de 100 %. Ainsi 3 % de la population normale ne présentant aucune manifestation de carence vitaminique présente un taux de vitamine B12 inférieur à 100 pg/ml. Le dosage de l'acide folinique est classiquement normal. Il peut être bas du fait de la malabsorption.
  • Diagnostic étiologique de la Maladie de Biermer : Outre la carence en vitamine B12, son diagnostic repose sur la mise en évidence du déficit en facteur intrinsèque par :
    • Classiquement le tubage gastrique, sans puis après stimulation de la sécrétion gastrique, historiquement par l'histamine et actuellement par la pentagastrine. Permet de mettre en évidence l'achlorhydrie gastrique et une absence du facteur intrinsèque dans les sécrétions gastriques. Si cette technique est fiable, elle demande un temps d'examen très long et ne peut être réalisée partout.
    • Elle est donc abandonnée au profit de 3 examens clés :
      • La recherche d'anticorps anti-facteur intrinsèque est retrouvée dans 50 % des cas de maladie de Biermer. Ils sont très spécifiques.
      • La recherche d'anticorps anti-estomac observés dans 75 % des cas de maladie de Biermer mais dont la spécificité est moins bonne.
      • Le dosage de la gastrine qui est toujours augmentée en cas d'achlorhydrie.


Ces examens permettent d'éliminer les autres causes de carence en B12 :

  • Les carences d'apport : Elles sont exceptionnelles, elles ne s'observent que chez les végétaliens stricts qui s'abstiennent de toute protéine animale. On en rapproche les déficits en vitamine B12 observés lors des traitements prolongés par des anti-acides.
  • Les malabsorptions : La carence en vitamine B12 fait partie du tableau biologique, elle n'est jamais au premier plan. On rapproche des malabsorptions les pancréatites chroniques.
  • Les infections parasitaires et bactériennes : La prolifération bactérienne, parfois provoquée par un acte chirurgical (anse borgne, diverticulose, sténose) va consommer la vitamine B12 intra-luminale. La recherche de pullulation microbienne au tubage jéjunal ou un traitement antibiotique d'épreuve fait le diagnostic. L'infection par le bothriocéphale, parasite des poissons des lacs du nord de l'Europe, entraîne le même résultat.
  • Les anomalies de la paroi digestive : Une colite inflammatoire de type maladie de Crohn ou maladie cÅ“liaque, une atteinte de la muqueuse par un lymphome ou une sclérodermie, une atteinte post-radique de la région iléale terminale va entraîner à terme une carence en vitamine B12. De même une résection du grêle terminal lors d'une intervention aura le même résultat. Les gastrectomies doivent être supplémentées en vitamine B12. La maladie d'Imerslund (une anémie mégaloblastique congénitale) est liée à un défaut du récepteur de la vitamine B12 sur la cellule intestinale.
  • Une anomalie d'utilisation : Il faut citer les carences aiguës en vitamine B12 observées au décours des anesthésies utilisant le NO. Se traduisant par des anémies macrocytaires avec moelle mégaloblastique aux décours d'interventions.


On éliminera les carences en folates par le dosage de la vitamine B9.

6 . 4  -  Le traitement

LE TRAITEMENT DE CES PATIENTS EST RAREMENT UNE URGENCE ; le tableau clinique est d'installation progressive. Le système cardiovasculaire s'adapte à la situation biologique.
Il faut donc, avant de proposer un traitement par vitamines, faire un diagnostic certain et ne pas transfuser immédiatement ces patients, même si le taux d'hémoglobine est bas.

Il repose sur un traitement parentéral de vitamine B12 en 2 temps : le premier pour reconstituer le stock et le deuxième pour empêcher la carence de se reproduire.

 La CYANOCOBALMINE justifiant un traitement d'attaque de 10 INJECTIONS de 1000 mg en IM pour reconstituer le stock de vitamine B12.

L'administration de la vitamine B12 per os ne s'impose que dans les carences d'apport, qui sont rares comme nous l'avons vu. Et dans les exceptionnelles allergies à la vitamine B12 où l'administration per os permet une absorption faible mais suffisante de vitamine B12 et chez des patients qui reçoivent un traitement anticoagulant. En dehors de ces situations la voie par entérale doit être faite.

Le traitement d'entretien repose sur l'injection par voie IM de Vitamine B12 1 fois tous les 3 à 4 mois, à vie.

Associé à ce traitement une fibroscopie gastrique sera programmée tous les 3 ans pour rechercher un cancer gastrique.

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