4  -  Les examens nécessaires pour préciser les causes des anémies

Les anémies sont classées et explorées en fonction du VGM, de la CCMH et de la numération des réticulocytes (voir question hémogramme).

4 . 1  -  Les anémies normocytaires non régénératives (réticulocytes < 150 G/L et 80 < VGM < 100 fl)

Le comptage d'un nombre bas de réticulocytes traduit l'origine centrale de l'anémie.

  • Dans ce cadre, le myélogramme est donc à discuter. Il convient, avant de le demander, d'éliminer :
    • une inflammation : VS, électrophorèse des protides (hyper-α2), fibrinogène, fer et sidérophiline, CRP,
    • une cirrhose (dosage des γ-GT),
    • une insuffisance rénale : créatinémie en tenant compte de l'âge,
    • une pathologie endocrinienne : dosages de cortisol, TSH et T4,
    • une hémodilution : physiologique dans le cadre de la grossesse à partir du 3e trimestre, pathologique en cas d'insuffisance cardiaque, d'hypersplénisme, d'hypergammaglobulinémie (surtout les IgM) et de splénomégalie d'origine vasculaire.
  • Le myélogramme doit alors être réalisé. Il permet de caractériser différents tableaux selon la richesse du prélèvement :
    • Moelle pauvre :
      • Érythroblastopénie : rare, avec un taux d'érythroblastes < 5 % évocateur quand le nombre des réticulocytes sanguins est inférieur à 5 G/L.
      • Dans les cas de prélèvement pauvre, toute interprétation doit être prudente : le prélèvement pauvre peut traduire une réelle aplasie mais aussi une myélofibrose ou une dilution sanguine lors de la réalisation du myélogramme. C'est l'indication principale d'une biopsie ostéo-médullaire. Elle permet d'affirmer la richesse exacte de la moelle et de poser un diagnostic : aplasie ou myélofibrose.
    • Moelle riche :
      • Envahissement médullaire par des cellules hématopoïétiques :
        • blastes (leucémie aiguë),
        • plasmocytes malins (myélome),
        • lymphocytes matures (leucémie lymphoïde chronique),
        • cellules lymphomateuses (lymphome malin),
      • Envahissement médullaire par des cellules non-hématopoïétiques :
        • cellules métastatiques (sein, rein, thyroïde, prostate),
      • Myélodysplasie avec troubles morphologiques sanguins et médullaires.

4 . 2  -  Anémies normocytaires ou macrocytaires régénératives (réticulocytes > 150 G/L)

Le caractère régénératif traduit l'origine périphérique de l'anémie.
Il s'agit d'une hémorragie aiguë, d'une hémolyse pathologique ou d'une régénération médullaire (dans ce dernier cas, le contexte est le plus souvent évident par exemple une chimiothérapie).

4 . 2 . 1  -  Anémie hémorragique aiguë

L'anémie est normocytaire parfois, le plus souvent légèrement macrocytaire, proportionnelle à la perte sanguine. L'hyper-réticulocytose n'apparaît qu'entre 3 et 4 jours pour être maximale qu'à 7 jours. Il ne faut donc pas éliminer un saignement si le chiffre des réticulocytes est inférieur à 150 G/L.

4 . 2 . 2  -  Anémies hémolytiques

On distingue deux tableaux cliniques : l'hémolyse chronique (pâleur, ictère, splénomégalie) et l'hémolyse aiguë (tableau de douleur lombaire ou abdominale atypique, choc et hémoglobinurie). L'hémolyse induit une augmentation de la bilirubine libre traduisant le catabolisme de l'hémoglobine et une haptoglobine basse, voire effondrée.
LDH et fer sérique élevés sont des signes indirects d'hémolyse.

Un contexte évocateur doit être recherché en premier (hémolyse constitutionnelle, maladie hématologique, intoxication par des toxiques). En cas de fièvre, la réalisation d'hémocultures, d'une goutte épaisse et d'un test de Coombs direct est systématique.

Dans la recherche étiologique, deux examens doivent prioritairement être réalisés :

  • frottis sanguin (anomalies érythrocytaires, paludisme…),
  • test de Coombs direct (AHAI).

4 . 2 . 3  -  Principales étiologies des hémolyses

4 . 2 . 3 . 1  -  Anémies hémolytiques extra-corpusculaires

⇒ Elles sont dominées par les hémolyses immunes (test de Coombs direct positif) :
Allo-immunes : post-transfusion, maladie hémolytique du nouveau né, mais surtout Anémies Hémolytiques Auto-Immunes (AHAI).
Le bilan immuno-hématologique précisera le type (IgG ou IgM), l'optimum thermique (chaud ou froid), la spécificité et le titrage de l'anticorps.

Figure 1 : Tableau des étiologies des AHAI

Les hémolyses immuno-allergiques : médicamenteuses (nombreuses classes thérapeutiques). Rares, elles sont liées à une sensibilisation par un médicament et à la formation d'un complexe antigène-anticorps.
Les hémolyses mécaniques (micro-angiopathies thrombotiques, hémolyse sur valve, circulation extracorporelle…) sont associées à la présence de schizocytes sur le frottis sanguin.

⇒ Les étiologies infectieuses constituent une urgence : paludisme, septicémies.

Figure 2 : Paludisme
Frottis sanguin : Trophozoïtes de Plasmodium falciparum dans 2 hématies : Paludisme.

⇒ Les causes toxiques surviennent souvent dans un contexte évocateur : venins de serpent, champignons vénéneux, saturnisme, hydrogène arsénié…

4 . 2 . 3 . 2  -  Anémies hémolytiques corpusculaires

Ce sont les anémies hémolytiques constitutionnelles, héréditaires.
⇒ Anomalies de la membrane de l'hématie : maladie de Minkowski-Chauffard (micro-sphérocytose héréditaire)  notamment. Autosomale dominante. L'hémolyse est chronique avec des poussées. En dehors du contexte familial, le diagnostic repose sur la présence de sphérocytes sur le frottis sanguin (VGM normal), la diminution de la résistance des hématies aux solutions hypotoniques, l'auto-hémolyse in vitro augmentée. L'ektacytométrie peut affirmer le diagnostic. La splénectomie améliore les formes symptomatiques.

Figure 3 : Maladie de Minkowski-Chauffard
Frottis sanguin : sphérocyte : Maladie de Minkowski-Chauffard

⇒ Anomalie du système enzymatique de l'hématie : déficit en G6PD : lié à l'X, hémolyse chronique modérée avec épisodes hémolytiques déclenchés par des médicaments, des infections ou l'ingestion de fèves (favisme).

⇒ Anomalie de l' hémoglobine :

  • Drépanocytose : autosomique récessive, c'est la plus fréquente des hémoglobinopathies. Elle touche principalement les sujets originaires d'Afrique noire et est liée à mutation de la chaîne béta de la globine. Seuls les homozygotes sont symptomatiques et présentent une hémolyse dès l'enfance associée à des manifestations thrombotiques sous forme de douleurs articulaires ou abdominales (crises vaso-occlusives). Le frottis sanguin montre des drépanocytes (hématies en faucilles) et le diagnostic repose sur l'électrophorèse de l'hémoglobine (HbS : 75 à 90 %).
Figure 4 : Drépanocytose
Frottis sanguin : hématies en faucille : Drépanocytose.

 

  • Thalassémies : les syndromes thalassémiques sont caractérisés par une diminution de production des chaînes de globine alpha ou béta normales. Autosomales récessives, elles se traduisent par une pseudo-polyglobulie microcytaire dans les formes hétérozygotes et une anémie hémolytique grave (microcytaire et hypochrome) dans les formes homozygotes. Ils touchent principalement les sujets du pourtour du bassin méditerranéen et d'Asie du Sud-Est. Le diagnostic repose sur l'électrophorèse de l'hémoglobine.
Figure 5 : Thalassémie
Frottis sanguin : hypochromie et hématies cibles : Thalassémie.

⇒ À part : l'Hémoglobinurie Paroxystique Nocturne (HPN) car c'est la seule anémie hémolytique corpusculaire non héréditaire. Le diagnostic repose sur l'immunophénotypage des cellules sanguines (défaut d'expression du CD55 et du CD59).

4 . 3  -  Anémies macrocytaires non-régénératives (VGM > 100 fl)

  • Il faut éliminer en premier lieu les causes évidentes :
    • insuffisance thyroïdienne
    • une cirrhose
    • médicaments, essentiellement ceux qui interviennent sur le métabolisme de l'ADN (chimiothérapie type alkylants, hydroxyurée, méthotrexate, sulfamides, anticomitiaux, antirétroviraux…)
  • En dehors de ces circonstances, on demandera avant tout traitement, en particulier transfusionnel :
    • un dosage de vitamine B12 et un dosage des folates sériques,
    • un myélogramme si les dosages ne sont pas effondrés.
  • Ces examens permettront de séparer les anémies mégaloblastiques et les myélodysplasies d'autres pathologies médullaires.


Les carences en vitamine B12 :

  • La cause la plus fréquente est l'anémie de Biermer. (voir Chapitre 6 : Anémie de Biermer)
  • Les carences d'apport sont exceptionnelles (végétaliens) du fait des réserves de vitamines B12 importantes dans l'organisme.
  • Les gastrectomies doivent être supplémentées en vitamine B12 (injectable). Il y a également des carences lors de malabsorptions digestives (iléon terminal), syndrome de l'anse borgne, bothriocéphale, maladie d'Imerslund.


Les déficits en folates :

  • Carences d'apports : fréquentes (faibles réserves)
  • Anomalie de l'absorption (pullulation microbienne)
  • Anomalie de l'utilisation : prise médicamenteuse
  • Augmentation de l'utilisation : grossesse, croissance


En dehors du traitement de leur cause, les déficits en folates sont traités par la prescription d'acide folique per os (1 comprimé à 5 mg par jour pendant 10 jours).



Les syndromes myélodysplasiques (voir question syndromes myélodysplasiques) :

Atteignant le sujet âgé, l'anémie est progressive, parfois associée à une neutropénie et ou une thrombopénie. Le diagnostic suspecté parfois à l'hémogramme (anomalies morphologiques des hématies, des leucocytes et/ou des plaquettes) est confirmé par le myélogramme.

Dans ces deux groupes de pathologies (anémies mégaloblastiques et syndromes myélodysplasiques), il est habituel que la lignée des hématies ne soit pas la seule touchée : il y a souvent une bicytopénie ou une ancytopénie.


Autres causes :

Envahissement par des cellules anormales hématopoïétiques ou extra-hématopoïétiques.

4 . 4  -  Les anémies microcytaires (avec un VGM < 80 fl)

Se sont des anémies centrales. Elles relèvent de 3 étiologies principales (voir question anémie par carence martiale) :

  • Carence en fer (voir question anémie par carence martiale) : Fréquente, liée à des hémorragies par saignements chroniques le plus souvent occultes (gynécologique et digestif) : le fer sérique est bas et la ferritininémie effondrée. Le traitement repose sur celui de l'étiologie de la carence et sur la prescription de fer (en général per os) : 200 mg de fer métal par jour pendant un minimum de trois mois et jusqu'à correction du stock martial (apprécié par le dosage de la ferritine sanguine). Le patient doit être prévenu des troubles digestifs induits par ce traitement (nausées, coloration des selles en noir).
  • Inflammatoires souvent dans un contexte évocateur : l'anémie s'accompagne de signes biologiques d'inflammation : CRP augmentée, augmentation du fibrinogène et des α2 globulines. Le fer sérique est bas, la ferritine sanguine normale ou augmentée.
  • En dehors de ces étiologies et si le fer et la sidérophiline sont normaux il faut réaliser une électrophorèse de l'hémoglobine à la recherche d'une thalassémie.
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