3  -  Démarche diagnostique après une chute

Le clinicien devra éviter d'une part d'avoir une attitude fataliste qui considèrerait la chute comme banale alors qu'il s'agit d'un évènement majeur par ses conséquences traumatiques et sociales, et d'autre part, d'imposer des explorations multiples à un sujet âgé fragile en l'absence d'un objectif thérapeutique rentable.

De manière didactique, nous n'envisagerons que les chutes dans le contexte des troubles de la marche, mais, en pratique, les  difficultés  d'interrogatoire imposent d'envisager les étiologies de "malaises et syncopesDéfinitionEn termes médicaux, la syncope (ou le malaise) est une perte de connaissance brutale spontanément réversible, liée à une diminution brusque du débit sanguin cérébral : elle trouve toujours son origine dans une anomalie cardiaque ou vasculaire.Elle se distingue classiquement des lipothymies, terme désignant un malaise sans perte de connaissance. Plusieurs termes populaires désignent ce dernier symptôme : malaise, vertige, lourdines, évanouissements, vapeurs, etc. La signification pathologique de ces deux événements est cependant la même, et une lipothymie doit être explorée avec autant de soins qu'une syncope vraie.Les syncopes ne doivent pas être confondues avec le coma, qui est une abolition durable de la conscience, spontanément irréversible, secondaire à une anomalie neurologique altérant les voies nerveuses responsables de la conscience et de l'éveil.Les causes des syncopes sont multiples et variées et nécessitent toujours une évaluation par un médecin pour éliminer les causes graves." dans le même temps.

Dans la démarche diagnostique après une chute, il convient de distinguer les facteurs prédisposants souvent multiples (facteurs de risque conséquences des maladies chroniques et du vieillissement) et les éléments précipitants (intrinsèques et extrinsèques) (figure 1).

Figure 1 : Classification générale des causes de chutes

3 . 1  -  Facteurs de risque de chute

Les facteurs de risque sont neurologiques, neuromusculaires,  ostéoarticulaires  et visuels (tableau 1).

Parmi  les affections  neurologiques,  les atteintes  vasculaires  sont  les  plus  fréquentes, que ce soit à l'étage cortical ou sous-cortical, ou au niveau du tronc cérébral. Les maladies dégénératives corticales (maladie d'Alzheimer) ou sous-corticales représentent le deuxième grand groupe d'affections neurologiques. La majorité des atteintes neurologiques périphériques est associée à des modifications de la statique rachidienne, conséquences de l'arthrose et de l'ostéopénieDéfinitionL'ostéopénie n'est pas une maladie, elle représente une baisse de la densité de l'os. Il s'agit d'un état physiologique. C'est un précurseur de l'ostéoporose. On estime que jusqu'à 11% de baisse de la densité osseuse, il s'agit d'ostéopénie, raréfaction osseuse, fragilisation du tissu osseux. Au delà, il s'agit d'ostéoporose. L'ostéopénie est donc un état intermédiaire entre l'os normal et l'ostéoporose. On mesure la densité minérale osseuse au moyen de l'absorptiométrie. C'est ce que l'on appelle l'ostéodensitométrie. Les carences en calcium et en vitamine D aggravent l'ostéopénie..

Les atteintes musculaires chez le sujet âgé doivent évoquer en priorité une étiologie endocrinienne, en particulier les hyperthyroïdies, de diagnostic rentable. Les présentations atypiques de myasthénie chez le sujet âgé imposent que cette maladie soit recherchée même en l'absence de signes buccofaciaux.

Les atteintes ostéoarticulaires sont dominées par la limitation d'amplitude des articulations  coxofémorales  qui  ne  peuvent assurer leur fonction d'adaptation de l'équilibre en situation extrême. L'efficacité des traitements chirurgicaux (prothèse totale de hanche) réalisés avant l'apparition d'une amyotrophie DéfinitionUne amyotrophie ou myatrophie est une maladie provoquant une atrophie musculaire, notamment en rapport avec les muscles contrôlés par la volonté. Ainsi, les problèmes cardiaques sont plus rares que dans d'autres pathologies. Une névropathie amyotrophique (ou amyotrophie névralgique) est une douleur et une faiblesse musculaire dans l'épaule.en font un diagnostic prioritaire. Des travaux récents ont insisté sur l'importance de la limitation de la dorsiflexion de la cheville comme facteur prédictif de chute. Les pieds doivent faire l'objet d'une attention particulière et peuvent justifier un examen podologique spécialisé.

A côté de la baisse de l'acuité visuelle, il convient  de  rechercher  des  altérations périphériques du champ visuel qui favorisent souvent les chutes sur obstacle.

Le  syndrome  dépressif  par  l'inhibition motrice et psychique qu'il entraîne et par la prescription de psychotropes qu'il impose est un facteur fréquent prédisposant aux chutes.

De nombreuses affections peuvent réduire l'adaptation à l'effort et les mouvements compensatoires  d'adaptation  posturale. Enfin, la dénutrition protéinoénergétique et son retentissement sur la force musculaire et sur les structures neurologiques périphériques  et  centrales  favorise  le risque de chute.

 Haute Autorité de Santé. Le pied de la personne âgée : approche médicale et prise en charge de pédicurie-podologie [en ligne]. Juillet 2005.

Tableau 1 : Facteurs de risque prédisposant à la chute

3 . 2  -  Les facteurs précipitants

Sont  considérés  comme  tels  tous  les agents qui déclenchent la chute. Ces facteurs sont souvent multiples et associés entre eux. Ils peuvent être mineurs lorsque les facteurs de risque chroniques prédominent.

  • Les facteurs précipitants  intrinsèques

Tout  événement  pathologique  peut favoriser la chute (tableaux 2 et 3).

L'ensemble des étiologies des malaises et  pertes  de  connaissance  doit  être re c h e rché.  Les causes cardiaques dominent, notamment les troubles du rythme supraventriculaires et toutes les affections pouvant occasionner un bas débit  cérébral  telles  les  troubles  de conduction,  l'infarctus  du  myocarde, l'embolie pulmonaire ou la sténose aortique serrée. Parmi les causes vasculaires,  l'hypotension  orthostatique, impliquée dans 10 à 15 % des chutes, est de loin la plus fréquente. Elle est habituellement  multifactorielle  (hypovolémie,  insuffisance  veineuse  des membres  inférieurs,  dysfonctionnement du système nerveux autonome, désadaptation à l'effort et  hypotension post-prandiale), mais les causes iatrogènes dominent.

Les causes neurologiques sont dominées par les accidents vasculaires cérébraux.  Les  épisodes  confusionnels exposent à un risque de chute par l'altération de la vigilance. Si la crise comitialeDéfinitionTerme issu de l'expression comice. Les comices se séparaient quand une attaque d'épilepsie se produisait. est souvent rapportée par l'entourage,  les  états  de  mal  épileptiques peuvent  être  pauci-symptomatiques chez le sujet âgé. L'hématome sous-dural  justifie  une  tomodensitométrie cérébrale lorsque la chute est précédée de troubles du comportement d'apparition récente.

Enfin,  les  causes  métaboliques  sont représentées  par les hypo et les hyperkaliémies  responsables  de  troubles paroxystiques  du  rythme  cardiaque. Les hypoglycémies surtout iatrogènes peuvent  aussi  s'observer  lors  de cachexie.  L'hypercalcémie  s'exprime souvent au grand âge par ses manifestations neuro-psychiques, et doit faire rechercher une hyperparathyroïdie.

Les  principales  causes  iatrogènes  de  chute  sont  représentées dans le tableau 3.

Tableau 2 : Les facteurs précipitants intrinsèques de la chute
Tableau 3 : Causes iatrogènes de facteurs prédisposants intrinsèques
  • Les facteurs précipitants  extrinsèques

Caractéristiques de la démarche gérontologique après une chute, les facteurs environnementaux  imposent  parfois une  enquête  «policière»  auprès  de  l'entourage  de  la  personne  âgée (tableau 4).

Le plus fréquemment mis en cause est le port de chaussures inadaptées, trop lâches,  maintenant  mal  le  pied,  à semelle usée ou glissante. Les chaises bancales, les tapis mal fixés, les objets mal rangés ou traînant au sol, les animaux domestiques, le sol mouillé ou glissant  ne  sont  que  des  exemples parmi les plus fréquents des facteurs environnementaux précipitant la chute de la personne âgée.

Tableau 4 : Les facteurs précipitants extrinsèques de la chute

3 . 3  -  Examen clinique du sujet âgé après une chute

  • Recherche de la cause d'une chute

Compte  tenu  de  la  multiplicité  des organes et fonctions impliqués dans l'équilibre et la marche,  l'évaluation d'un patient âgé ayant chuté doit être globale.  L'interrogatoire et  l'examen clinique veillent à rechercher les facteurs de risque chroniques ainsi que les facteurs  précipitants  extrinsèques  et intrinsèques.

Nous nous limiterons à souligner les particularités de l'examen clinique.

  • Evaluation des facteurs prédictifs de récidive de la chute

Les facteurs étiologiques non curables représentent des facteurs évidents de risque de récidive de chute. Plus ils sont nombreux et associés, plus le risque est élevé.  Mais  souvent  l'enquête  reste négative et c'est l'analyse des capacités posturales qui aidera le clinicien à évaluer le risque de récidive.

Les  éléments  suivants  doivent  être recherchés (tableau 5) :
• Le nombre de chutes antérieures : une chute dans les 3 mois précédents indique un risque élevé de récidive.
• L'impossibilté d'un relever du sol spontané après la chute témoigne d'une  insuffisance  des  aptitudes posturales  de  l'individu mais est associé également à une mortalité
importante : 40 % des sujets qui sont restés plus de 3 heures au sol sont décédés 6 mois après la chute.
• La station unipodale de moins de  5 secondes est un facteur simple et reconnu de prédiction de récidive.
• Pour certains auteurs, un test intéressant  consiste  à  faire  parler  le sujet en marchant (walking talking test).  Les  individus  atteints  d'une fragilité posturale arrêtent de marcher lorsqu'ils parlent.
• Le test du lever de chaise de Mathias (get up and go test) et surtout sa version chronométrée (timed up and go) sont des tests validés du risque de  chute.  Ce  test  comporte  les séquences suivantes : se lever d'une chaise  à  accoudoirs,  marcher  en avant sur 3 mètres, faire demi-tour, retourner s'asseoir après avoir fait le tour de la chaise. Un temps de réalisation de plus de 20 secondes témoigne d'une fragilité posturale de l'individu et d'un risque de chute ultérieure.
• L'épreuve de Tinetti (tableaux 6 et 7) permet une évaluation clinique de l'équilibre et de la marche de l'individu. L'équilibre est analysé par 9 épreuves (cotées sur 16) et la marche par  7  épreuves  (cotées  sur  12), chaque item étant noté de 0 (franchement anormal) à 1 ou 2 selon les items (normal). Un risque de chute élevé apparaît pour un score total inférieur à 20/28.

Bien que non validée par des études prospectives, la difficulté au demi-tour est un indicateur largement reconnu, témoin d'une difficulté à la coordination  et  à  l'adaptation  posturale.
D'autres  manoeuvres  cliniques  sont largement utilisées telles que les poussées de faible intensité lors de la position debout.

 Haute Autorité de Santé. Évaluation et prise en charge des personnes âgées faisant des chutes répétées [en ligne]. Avril 2009.

Tableau 5 : Facteurs prédictifs de récidive de la chute
Nombre de chutes antérieures
- Temps passé au sol supérieur à 3 heures
- Score au test de Tinetti < 20 points
- Exécution du timed Get up and go test supérieur à 20 secondes
- Maintien en station unipodale moins de 5 secondes
- Altération des réactions d'adaptation posturales : réactions d'équilibration et réactions parachutes
- Arrêt de la marche lorsque l'examinateur demande au sujet de parler
Tableau 6 : Evaluation de Tinetti de l'équilibre et de la démarche L'EQUILIBRE
Tableau 7 : Evaluation de Tinetti de l'équilibre et de la démarche LA MARCHE
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