2 . 2  -  LA CGH ARRAY

2 . 2 . 1  -  La CGH array, technique de recherche clinique en pathologie acquise

Les anomalies chromosomiques impliqués dans le diagnostic et le pronostic des cancers sont souvent équilibrés. Dans les hémopathies malignes, près de 400 anomalies chromosomiques récurrentes et équilibrées ont été rapportées. Pour ces raisons (anomalies équilibrées, mosaïcisme et anomalies ciblées), la CGH array n’est pas, en 2012, un examen de première intention pour le diagnostic cytogénétique de ces pathologies. Néanmoins, en recherche, elle a permis l’identification de nouveaux oncogènes grâce à la détection de déséquilibres chromosomiques récurrents. L’une des découvertes majeure fut la mise en évidence de délétions du gène IKAROS à l’origine de l’acutisation des leucémies myéloïdes chroniques (13)

2 . 2 . 2  -  La CGH array : technique de référence pour l’étude des anomalies chromosomiques dans les pathologies constitutionnelles.

À l’inverse des pathologies acquises, la CGH est aujourd’hui l’examen de choix pour l’étude en routine des pathologies associées aux anomalies chromosomiques constitutionnelles. En effet, outre de très rares anomalies de structures équilibrées de novo (inversions ou translocations), ce sont les déséquilibres génomiques (gains ou pertes de matériel chromosomique) qui sont les principales causes chromosomiques de DI et/ou MC.

La CGH array, permet non seulement de détecter les anomalies chromosomiques déséquilibrées détectées par le caryotype (taille supérieure à 5 et 10 Mb) mais aussi celles qui sont cryptiques. Aujourd’hui, c’est une technique fiable, reproductible et automatisable.

Tous ces éléments font qu’elle doit remplacer le caryotype dans les laboratoires de cytogénétique pour l’exploration des patients avec une DI et/ou MC.

2 . 2 . 2 . 1  -  Les indications de la CGH array

Chez les patients présentant une DI et/ou MC, la CGH array détecte 10 à 15% d’anomalies en plus de celles décelées par le caryotype (14). La plupart correspondent à des anomalies dispersées dans le génome et peu d’entre elles sont récurrentes. Les CNVs détectés sont en général associés à un phénotype d’autant plus sévère que la taille du déséquilibre chromosomique est grande et comprend de nombreux gènes. Le plus souvent, les CNV associés à une DI et/ou MC correspondent à des délétions (70% des cas). Par ailleurs, l’utilisation de la CGH array a révélé des déséquilibres génomiques associés à des pathologies psychiatriques et neurologiques. Par exemple, des délétions de 300 kb à 1Mb comprenant le locus du gène CHRNA7, localisé en 15q13, peuvent être associées à des épilepsies isolées (figure 9).

Dans ces pathologies, il existe une très grande variabilité phénotypique intra et inter familiale et une pénétrance incomplète. C’est ainsi que les délétions du gène CHRNA7, peuvent être responsables hormis l’épilepsie, de troubles psychiatriques (autisme, schizophrénie, troubles bipolaires), ou de déficience intellectuelle (15). Par ailleurs, des délétions en 16p11.2 d’une taille de 200 kb sont associées à une obésité alors que des duplications de cette même région sont associées à des retards de croissance et à des formes d’anorexie car elles impliquent le gène SHB2 qui joue un rôle clé dans le contrôle cérébral des signaux qui régissent le stockage des graisses, l'utilisation de sucre, le bilan énergétique et le poids (16) (17). Ainsi, le champ de pathologies associées aux CNVs devient de plus en plus large.

Les indications de la CGH array dépassent donc largement aujourd’hui celles du caryotype. Elles concernent en plus des patients présentant une DI et/ou MC, ceux ayant des troubles neuropsychiatriques mais aussi dans certains cas, des anomalies cardiaques, rénales, squelettiques ou autres isolées.

2 . 2 . 2 . 2  -  Comment interpréter une CGH array ?

La signification d’un CNV identifié dans la pathogénèse du phénotype observé peut parfois être très difficile à établir. Certains CNVs sont clairement pathogènes mais parfois avec une pénétrance incomplète et une expressivité variable alors que d’autres posent des problèmes d’interprétation. D’autres encore sont considérés comme bénins.

2 . 2 . 2 . 2 . 1  -  Classification des CNVs (19) (20)
  • Les CNVs bénins

 Jusqu’à récemment, il était communément admis que l’ADN entre deux individus était identique à 99,9%. Seules les variations « qualitatives » de l’ADN liées à des modifications de bases nucléotidiques étaient alors connues. L’étude génomique de témoins par CGH array a mis en évidence l’existence de CNVs considérés comme bénins (18). L’étude de ces CNVs a montré qu’il s’agissait le plus souvent de répétitions en tandem de cassettes d’ADN de taille variable (la plupart d’entre elles ont une taille inférieur à 100kb) pouvant comprendre des séquences codantes et non codantes. Le nombre de répétition de ces cassettes (de 0 à plus de 20) varie d’un individu à l’autre et définit les allèles du CNV qui se transmettent de manière mendélienne. Lorsque ces CNVs sont retrouvées chez plus de 1% de la population, on parle de polymorphismes ou Copy Number Polymorphisms ou CNPs. S’ils sont présents dans moins de 1% de la population, on parle de « variants bénins privés ». La majorité de ces CNPs sont sans conséquence phénotypique actuellement décelée alors que d’autres sont associés à des maladies multifactorielles fréquentes (comme le lupus) ou sont le témoin de l’adaptation humaine à l’environnement (21) (22).

  • Les CNV pathogènes

D’autres CNV sont clairement associés à un phénotype anormal. Ce sont souvent des CNV d’une taille supérieure à 400 kb. Dans les grandes séries de patients avec DI et/ou MC testés par CGH array, des CNVs pathogènes cryptiques sont retrouvés dans environ 10 à 15% des cas. Classiquement, ils surviennent de novo, correspondent à des délétions (70% des cas) et sont plutôt de grande taille (en moyenne de 2,8 Mb). On admet qu’à partir de 1,5Mb, un CNV est quasiment toujours associés à la pathologie observée (10).

  • Les CNV pathogènes avec une pénétrance incomplète et une expressivité variable

Certains CNV identifiés chez des patients avec un phénotype anormal sont nécessaires à la survenue de la pathologie mais ils ne sont pas suffisants en raison de leur présence chez un des deux parents sains ou des individus normaux. Ces CNV rares confèrent un risque plus ou moins important de développer la pathologie. Un exemple éloquent où il a été mis en évidence un CNV rare avec une pénétrance incomplète correspond au syndrome TAR (Thrombopénie et Absence de Radius). Cette pathologie associe une thrombopénie centrale et une absence bilatérale de radius. On note une grande variabilité phénotypique incluant, à des degrés divers, des anomalies cardiaques, gastro-intestinales, squelettiques et hématologiques. Par une approche CGH array Klopocki E and al. (23) ont mis en évidence une délétion 1q21 d’environ 200 kb chez tous les patients présentant un syndrome TAR. Cette délétion n’a pas été retrouvée chez 700 individus contrôles et n’est pas répertoriée dans la Database of Genomic Variants (http://projects.tcag.ca/variation/). Cependant, environ 75% des parents sont porteurs de l’anomalie sans être atteints. Des facteurs génétiques ainsi que des facteurs épigénétiques et environnementaux peuvent modifier la pénétrance et l’expressivité d’une pathologie génétique. Dans le syndrome TAR, la présence d’un ou de plusieurs gène(s) modificateur(s) pourrait expliquer la pénétrance incomplète et l’expressivité variable de la maladie. Une meilleure compréhension des interactions entre ces différents facteurs permettrait d’établir des corrélations génotype-phénotype et ainsi de proposer un conseil génétique plus précis.

  • Les CNV dont la signification clinique est incertaine

Environ 10% des CNV soulèvent des difficultés d’interprétation. Ils correspondent le plus souvent à des duplications (70% des cas) d’une taille d’environ 700kb et héritées de l’un des deux parents sains ou retrouvés dans des populations témoins (10).

Plusieurs éléments sont à considérer pour déterminer si le CNV identifié est délétère ou non. Miller et al. (24) ont ainsi proposé une table avec différents critères d’évaluation des CNV pour aider à l’interprétation des résultats. Les arguments majeurs pour affirmer qu’un CNV est pathogène sont : son caractère de novo, sa taille supérieure à 400 kb, son contenu riche en gènes et l’existence d’autres patients avec le même CNV dont le phénotype est anormal (il peut s’agir de syndromes connus ou non). A l’inverse, un CNV hérité d’un parent sain, décrit chez des individus normaux dans les bases de données, pauvre en gènes et de petite taille est très souvent bénin.

En routine, pour éviter de détecter des CNV bénins et de signification incertaine, il est préconisé de fixer le seuil de détection d’une anomalie à 400 kb pour le diagnostic des microremaniements chez les patients avec DI et/ou MC (24).

Du fait de la difficulté d’interprétation de certains CNVs ou de la possible détection d’un CNV ayant un impact médical sans lien avec l’indication initiale, il est important qu’une information claire doit être fournie aux parents. Le recueil d’un consentement spécifique en vue de la réalisation de cette analyse est nécessaire.

2 . 2 . 2 . 2 . 2  -  Nécessité de vérifier et de caractériser l’anomalie chez le proposant et chez les parents

Il est toujours nécessaire de vérifier par une autre technique un CNV mis en évidence par CGH array. Il convient en effet d’exclure un faux positif (ce qui est aujourd’hui rare avec les puces à oligonuycléotides) mais surtout de déterminer le mécanisme chromosomique sous-jacent du remaniement. Par exemple, un gain de matériel chromosomique peut être le résultat de la présence d’une duplication « in situ », d’un dérivé d’une insertion ou d’un marqueur chromosomique (figure 8). On peut utiliser des techniques de biologie moléculaire (qPCR, QMPSF…, en particulier lorsqu’il s’agit d’une duplication de petite taille) mais la technique de référence reste la FISH sur chromosome car, réalisée sur le proposant et ses parents, elle renseigne sur le mécanisme chromosomique à l’origine du CNV et sont caractère de novo ou non.

2 . 2 . 2 . 2 . 3  -  Utilisation des bases de données de variants de structure du génome

Pour aider à l’interprétation des résultats, il existe différentes bases de données.
La Database of Genomic Variant (http://projects.tcag.ca/variation), répertorie les CNV bénins identifiés chez des témoins. Les bases de données DECIPHER (https://decipher.sanger.ac.uk/) et ECARUCA http://umcecaruca01.extern.umcn.nl:8080/ecaruca/ecaruca colligent les CNV retrouvées chez des patients avec DI et/ou MC. Les informations fournies sont précieuses car elles aident le cytogénéticien dans l’établissement du rapport phénotype - génotype.

2 . 2 . 3  -  CGH array et recherche clinique en pathologie constitutionnelle

Du fait de la connaissance du contenu en gènes du segment remanié, le cytogénéticien peut rechercher le(s) gène(s) potentiellement impliqué(s) dans le phénotype. Par ailleurs, la comparaison d’anomalies chevauchantes chez plusieurs patients permet d’identifier des régions et/ou des gènes contribuant à un signe clinique spécifique voir à l’ensemble des symptômes du syndrome. Par exemple, l’étude par CGH array de patients porteurs de délétions chevauchantes de la région 5q14.3q15 a permis l’identification du gène majeur (MEF2C) responsable du phénotype cognitif. En effet, des mutations dans ce gène ont été mises en évidence chez des patients avec une déficience intellectuelle sévère (25).

La recherche systématique d’anomalies chromosomiques cryptiques chez les patients présentant une DI et/ou MC a été à l’origine, par l’analyse rétrospective des patients, de la description de nouveaux syndromes associés à des microdélétions ou microduplications. Classiquement, les syndromes ont été initialement décrits cliniquement et les bases génétiques n’ont été découvertes que secondairement. La CGH array permet un processus inverse où l’indentification de l’anomalie chromosomique précède la description phénotypique. Ainsi, la CGH array permet d’aller du génotype au phénotype. De nombreux syndromes ont été ainsi décrits cliniquement comme la délétion 17q21.31 (26).

2 . 2 . 4  -  Limites de la CGH array

Contrairement au caryotype la CGH array ne détecte pas les anomalies chromosomiques équilibrées. Une étude récente a montré qu’une translocation ou inversion de novo équilibrée ne serait pas détectée dans environ 0.23% des cas (27). Les anomalies équilibrées sont le plus souvent retrouvées chez des individus sains. Leur découverte se fait dans le cadre d’un bilan de fausses couches à répétition (liées à la transmission du remaniement sous forme déséquilibrée à la descendance), d’hypofertilité ou de manière fortuite. Le caryotype conserve donc sa place dans ces indications. Dans les rares cas où un remaniement équilibré de novo est retrouvé chez un patient avec une DI et/ou des MC, il est très difficile d’affirmer qu’il est à l’origine des signes cliniques observés. Enfin, la CGH array ne détecte pas les remaniements déséquilibrés présents en mosaïque dans moins de 10-20% des cellules, ce qui peut être le cas pour les marqueurs chromosomiques.

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