7  -  Le 19ème ou l'âge d'or des sages-femmes

L'amélioration des conditions de vie, l'effervescence culturelle du siècle des Lumières aboutirent à la Révolution. Celle-ci vint mettre un terme aux pouvoirs religieux et royal exercés sur les sages- femmes. En effet « La nuit du 4 août 1789, La loi Le Chapelier en 1791 et le décret du 18 août 1792 emportent l'ancien régime médical. »(cf. note : 1). Les corporations furent abolies et les facultés fermées. Cependant les projets des réformateurs du 18ème aboutirent : le rapport de Tenon sur les hôpitaux (1788) fut pris en considération. L'Office des accouchées de l'Hôtel Dieu déménagea en 1797 vers l'Oratoire pour  « l' accouchement »et Port Royal pour « l'allaitement »(cf. note : 2).
Le 19e siècle sera le siècle au cours duquel s'élaboreront les textes de loi visant à redéfinir les statuts des médecins, chirurgiens, sages-femmes et officiers de santé. C'est aussi à la fin de ce siècle que s'édifieront les grands services obstétricaux parisiens annonciateurs d'une carte sanitaire contemporaine.

7 . 1  -  Madame Lachapelle et l'école de « la Maternité »

Madame Lachapelle (1769-1821) donna à la profession le prestige et la reconnaissance dont les sages-femmes bénéficièrent tout au long du 19ème siècle.

A l'âge de six ans, elle vint vivre à l'Hôtel Dieu avec sa mère Marie Dugès nommée maîtresse sage-femme. A 15 ans, elle prit seule en charge des femmes en travail. A 25 ans, elle fut consultée ainsi que sa mère par les médecins représentant la Convention(cf. note : 3). Elle participa activement aux décisions du transfert de la maternité ainsi qu'à son organisation. En 1798, un an après le déménagement, sa mère mourut. Elle devint tout naturellement sage-femme en chef. Commence alors l'entreprise qui fut déterminante pour le devenir de la profession. Grâce à l'appui indéfectible de Chaptal, ministre sous le Consulat, et de Baudelocque (1746-1810) nommé en 1795 chirurgien-chef et accoucheur de la Maternité, elle put mener à bien et comme elle l'entendait, la réalisation de la première école nationale de sages-femmes. N'obtint-elle pas que « son école » soit réservée aux seules élèves sages-femmes par arrêté du 30-06-1802 ?(cf. note : 4) Le pouvoir politique donna à sa fonction une réelle importance . Elle recevait en effet le même traitement que le chirurgien, auquel était ajoutée une prime par élève inscrite.

La première école nationale de sages-femmes ouvrit donc le 30 juin 1802, elle s'installera à Port Royal en 1814.Véritable école normale supérieure d'obstétrique, son programme est basé sur l'observation, l'expérience, l'illustration par des cas cliniques. La démonstration sur le mannequin, héritage de la méthode de Madame Du Coudray, fixe les apprentissages. S'y ajoutent les cours théoriques donnés prioritairement par la directrice ; l'enseignement des professeurs étant beaucoup moins important. De plus, la rédaction systématique des observations des patientes malades, la tenue des registres d 'accouchements obligeaient les élèves à l'écriture. La pédagogie basée sur l'enseignement mutuel assure une répétition des cours par les plus anciennes élèves. Elles sont aussi les tutrices des nouvelles lors des accouchements simples. De telles contraintes éducatives conduisent nécessairement à un emploi du temps aussi rigoureux que celui d'un couvent.



Cette prestigieuse école pérennisa l' excellente réputation des sages-femmes de l'Hôtel-Dieu, réputation qui s'étendait à toute l'Europe. Les études prévues initialement d'une durée de six mois passèrent très rapidement à un an. Les promotions d'environ une centaine d'élèves dans la décennie 1810-1819, en comptèrent une cinquantaine à partir de 1850. En effet l'ouverture des écoles départementales facilita le recrutement local moins onéreux, réduisant ainsi le recrutement parisien. De 1804 à 1879 plus de 4600 étudiantes se formèrent à « la Maternité »(cf. note : 5). La majorité des élèves originaires de départements éloignés était prise en charge financièrement par leur Conseil Général. Choisies parmi les jeunes femmes sachant à peine lire et écrire, certaines parlaient encore leur dialecte local . Après avoir obtenu leur diplôme et parfois pour les meilleures d'entre elles une médaille ou un manuel d'obstétrique, elles formèrent l'élite de la profession.

L'ordonnance du 2 février 1823 officialise deux catégories de sages-femmes. Par le décret du 22 août 1854 les sages-femmes reçues devant une faculté et bien sûr à Port Royal sont dites de première classe et peuvent exercer dans toute la France ; alors que celles qui seront formées dans les écoles départementales sont dites de deuxième classe et ne pourront exercer que dans leur département. C'était parmi les premières qu'étaient recrutées les directrices des écoles départementales crées en 1803. Cette distinction faite au début du 19e siècle sur des conditions de formation très différentes subsistera jusqu'en 1916...

7 . 2  -  Les sages-femmes profession médicale reconnue dans une société avant tout rurale.

On estime à environ 20000 le nombre de sages-femmes formées au 19ème. Leur diplôme sera le premier diplôme attribué aux femmes. Véritables « institutrices du système de santé »(cf. note : 6) leur nombre dépassera à la fin du siècle celui des médecins. Elles exerceront cependant majoritairement dans les régions rurales. Il est intéressant de constater que les chefs-lieux de département disposent d'une population de médecins et chirurgiens nettement supérieure à celle des sages-femmes alors que dans les zones rurales éloignées des centres du pouvoir centralisateur, les médecins et chirurgiens laissent la place aux sages-femmes et officiers de santé...

Toutes ces sages-femmes ont suivi une formation dans les 57 écoles départementales ouvertes au cours de la période. Possédant des bases plus ou moins solides en obstétrique, en petite chirurgie, en botanique, pratiquant encore la saignée elles sont de grandes praticiennes de la vaccination anti-variolique. En effet leur gain étant très réduit, elles doivent souvent avoir d'autres activités pour subsister. Nombreuses sont celles qui n'hésitent pas à étendre leurs prérogatives en appliquant les forceps avec l'acquiescement tacite et bienveillant des autorités médicales. Elles sont généralement reconnues pour leur compétence à dispenser des soins généraux auprès des malades et des enfants. Elles étaient consultées pour « les maladies des femmes », la pudeur féminine s'opposant à faire appel à un médecin. On trouvera des sages-femmes institutrices, esthéticiennes, herboristes. En 1873 elles sont autorisées à prescrire le seigle ergoté. Le droit d'utiliser les antiseptiques sera très discuté et tardif , il deviendra effectif en1890.(cf. note : 7)

Un historien spécialiste du 19ème n'hésite pas à écrire à leur sujet « Plus que les engrenages d'une chaîne sans fin d'asservissements, les sages-femmes apparaissent plutôt comme des agents de libération. La leur d'abord, face aux hommes, aux maternités trop nombreuses, à l'ordre éternel des champs, à l'analphabétisme. Libération relative mais réelle des autres femmes, face aux risques de l'accouchement pour elles et leurs enfants. Modèle de libération par leur bagage culturel, aussi limité soit-il, par leur autonomie professionnelle qui ne les oblige pas aux sacrifices de la religion. Exemple de liberté par rapport aux maris avec lesquels elles font plus jeu égal que quiconque »(cf. note : 8)

7 . 3  -  L'irrésistible ascension du corps des médecins et chirurgiens.

La notoriété des sages-femmes dans la population se maintiendra aussi longtemps que la plupart des accouchements auront lieu à domicile. La fréquentation des hôpitaux et des hospices départementaux était réservée aux « misérables » considérées comme des cas cliniques indispensables à la formation pratique des élèves. La migration massive des parturientes vers ces structures correspondra à l'industrialisation du pays et aux conditions insalubres du logement dans les quartiers populaires surpeuplés. Cependant, le fléau des épidémies de fièvre puerpérale cause de mortalité maternelle importante dans les années 1850-1870 à Paris comme dans d' autres grandes maternités, favorisa l'exercice des sages-femmes libérales ; jusqu'à ce qu'on applique les découvertes de Pasteur et Semmelweis , les méthodes de Lister et Tarnier.
Est-ce en raison de leur bonne réputation que les sages-femmes sont souvent la cible d'attaques des médecins ? « La lutte pour la suprématie »opposant les directrices d'écoles et les professeurs s'est parfois soldée par un arbitrage en faveur des directrices. Ce fut le cas à Port Royal en 1825 entre le docteur Paul Dubois et Madeleine Legrand(cf. note : 9); à Poitiers en 1889 entre le docteur Jallet et Mademoiselle Clavière(cf. note : 10).
La création du corps des accoucheurs des hôpitaux en 1881, mettra fin à la suprématie de fait de la maîtresse sage-femme de Port-Royal. Néanmoins, usant de diplomatie certaines d'entre elles gardèrent la maîtrise du service de maternité. Il est vrai que la plupart de leurs consÅ“urs exerçait alors en dehors des hôpitaux rendant les enjeux de pouvoir moins concentrés.

7 . 4  -  Une « visibilité » sociale allant en décroissant.

Le début du siècle vit la publication d'ouvrages rédigés, illustrés par des sages-femmes. Madame Boivin (1773-1841), en publia neuf ! Son « Mémorial des accouchements » paru en1812 fut édité trois fois. Il fut également traduit en allemand et en anglais et servit comme ouvrage de référence aux élèves de l'école de la maternité de Berlin. Le Mémorial fut souvent offert aux étudiantes françaises comme prix de fin d'études . Ce n'est qu'après la mort de Madame Lachapelle en 1821, que fut publiée sa « Pratique des accouchements ». On y retrouve les observations accumulées lors d'une vie entièrement consacrée à la Maternité et à son école. N. Sage-Pranchère(cf. note : 11) recense 41 publications d'ouvrages de sages-femmes à Paris ! Mises à part les deux auteures citées il semblerait que ce ne soit pas l'obstétrique en tant que telle qui intéressait les sages-femmes mais bien plutôt en premier lieu, la gynécologie. A partir de 1880 on assiste à un tarissement des publications de sages-femmes. On ignore quelle fut l'importance des écrits publiés par les sages-femmes de province...

Les sages-femmes n'échappent cependant pas à leur immémoriale mauvaise renommée. Elles sont soupçonnées de pratiquer des avortements, de divulguer des techniques contraceptives. Certes, l'ambiguïté de certaines publicités telles que « remède infaillible contre les retards(cf. note : 12) », « J'ouvre la porte à tout le monde » laissent à penser que certaines utilisaient des moyens peu recommandables... Elles seront pourtant rarement poursuivies au cours du19ème. La défaite de 1870 et la guerre de 1914 amèneront les représentants du pays à développer une politique résolument nataliste. Elle conduira à la loi du 31 juillet 1920, loi qui réprimait toute provocation à l'avortement et toute information sur la contraception.

La loi du 30 novembre 1892 sur l'exercice de la médecine définit les conditions d'exercice et les limites de la profession. Les premières et deuxièmes classes sont maintenues sur l'insistance de Tarnier. La durée des études est portée à deux ans pour toutes les écoles. Le niveau scolaire pour l'admission en 1ère et 2ème classes est précisé. Les pièces administratives à fournir sont augmentées d'un extrait de casier judiciaire. L'emploi des instruments est interdit. Le droit de prescription reste inchangé. Cette loi au total n'apporte rien de bien nouveau. Il faudra attendre celle de 1916 pour parvenir à l'uniformisation du diplôme donc à la suppression des 1ère et 2ème classes.

C'est à l'occasion d' avancées scientifiques que le déclin s'inaugure. En effet la victoire de l'asepsie et de l'antisepsie mit fin au statut de sages-femmes agréées de l' Assistance publique. Ce corps de sages-femmes fut détaché des hôpitaux en 1867 afin d' exercer au domicile de la parturiente ou chez elles afin d'éloigner les mères des terribles hécatombes causées par les épidémies de fièvres puerpérales. L'application des mesures d'hygiène coïncide avec la création des accoucheurs des hôpitaux et « consacra »(cf. note : 13) le développement de l'accouchement en milieu hospitalier. De 341 lits en 1880 on sera à 693 en 1899 à Paris. Ceux attribués aux sages-femmes passent de 267 à 166 pour les mêmes années... Le reste du pays, essentiellement rural,évoluera beaucoup plus lentement.

Ainsi le siècle se terminait sur de sombres présages pour le devenir de la profession. En 1891 on compte 12407 docteurs en médecine pour 14343 sages-femmes dix ans plus tard ils seront 20113 pour 13066.

Notes
  1. 1 : Jacques Léonard,La France Médicale au XIXe,archives Gallimard Julliard, 1978.
  2. 2 : L'accouchement deviendra « la Maternité », l'allaitement redeviendra l'Hospice des Enfants trouvés
  3. 3 : Assemblée qui gouverna la France de 1792 à 1795.
  4. 4 : Marie Françoise Lemetayer, Biographie de Madame Lachapelle Les Dossiers de l' Obstétrique, n° 283, p. 2 à 13.
  5. 5 : Scarlett Beauvalet- Boutouyrie, Naître à l'hôpital au XIXe siècle, Belin, 1999, p. 397-401
  6. 6 : Olivier Faure,Les sages-femmes en France au XIXe siècle : Les institutrices du système de santé ?Les nouvelles pratiques de santé. Acteurs, objets, logiques sociales, Paris, Belin, 2OO5, p.157-174.
  7. 7 : Elisabeth Lyonnais , le rôle de la sage-femme dans la prise en charge des causes de mortalité maternelle entre 1870 et 1914, Mémoire , Université Paris Descartes , 2011, p. 28-32
  8. 8 : Olivier Faure. Cf supra.
  9. 9 : Scarlett Beauvalet- Boutouyrie, Naître à l'hôpital au XIXe siècle, Belin, 1999, p.130-134
  10. 10 : Entrer dans la vie en Poitou du 16e à nos jours, Musée Sainte-Croix, Centre d'archéologie et d'ethnologie poitevines, Université inter-Ages de Poitiers,1987.
  11. 11 : Nathalie Sage-Pranchère,Conférence du 22-03-2010, Ecrits de formation et d'exercice des sages-femmes du XIXème à nos jours, fht.hypothèses.org/583
  12. 12 : Danielle Tucat, les sages-femmes à Paris de 1871 à 1914, Actes Société d'Histoire de la Naissance, Nantes 2004.
  13. 13 : Scarlett Beauvalet- Boutouyrie, Naître à l'hôpital au XIXe siècle, Belin, 1999, p.351
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