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Fin du XVII° et XVIII°siècle
La fin du XVII° et le XVIII° furent marqués par une évolution des pratiques obstétricales.
Les sages-femmes étaient reconnues, contrairement aux matrones, elles, très critiquées. Mais il persista un grand décalage entre les villes et les campagnes. Les SF restaient dans les grandes villes et leurs pourtours, où elles étaient rémunérées et leur formation reconnue. La France était rurale et ce, jusqu'à la 2° moitié du XIX°, les matrones étaient les plus nombreuses.
Mauriceau publia en 1668 son traité "Des maladies des femmes grosses"; il fut le premier à vivre de la seule pratique des accouchements. Il délivra cette jeune science obstétricale de ses entraves hippocratiques. Cette évolution se fit de façon progressive, préparée et secondée par les travaux de plusieurs chirurgiens- accoucheurs français, dont Cosme Viardel, Paul Portal, Philippe Peu…
Mais, lors de ce XVIII°siècle, les Sages-Femmes firent les frais de la rivalité entre chirurgiens et médecins.
Quand la femme et l’enfant mouraient, la SF avait appelé le chirurgien-accoucheur trop tard, quand la situation était sauvée, le chirurgien-accoucheur renforçait sa réputation. Il s'ensuivit dans certaines régions, un véritable dénigrement des sages-femmes amalgamées aux matrones, traitées d'ignorantes, d'incompétentes et de maladroites. Il faut être conscient que c'est tout un pan du savoir, certes empirique, sur le corps des femmes et les plantes qui allait disparaître avec les matrones.
Guillaume Mauquest de la Motte (1655-1737) originaire de Picardie, contribua à ce dénigrement des sages-femmes (alors que s'étaient, dans sa région, pour la plupart, des matrones non formées) qui allait continuer durant le XVIII° siècle. Il fit ses études de chirurgien à l'Hôtel Dieu, pendant 5 ans; à lui aussi, la salle des accouchées, la meilleure école d'Europe fut interdite (en 6 mois, il n'assista qu'à un accouchement extraordinaire et à une autopsie de femme en couches). Déçu par sa formation pratique à l'Hôtel Dieu, il procéda par tâtonnements au début de son exercice en travaillant beaucoup la théorie, sur les ouvrages des accoucheurs-chirurgiens (cités plus haut). Il s'installa en Normandie et pendant 45 ans pratiqua des accouchements, il mourut à 82 ans après avoir publié en 1715, un traité de 449 observations choisies pour démontrer et accompagnées ses réflexions. Dans le Cotentin du nord, les curés obligèrent chaque communauté à se doter d'une sage-femme "approuvée et jurée" malheureusement rarement formée et ce furent les matrones, impuissantes face à l'accouchement difficile, qui restèrent encore longtemps majoritaires dans cette région rurale, portant le flanc aux critiques acerbes de Mauquest de la Motte qui fut un grand accoucheur après des études de chirurgien!
Mais, durant ce XVIII° siècle, les maîtresses sages-femmes et les élèves restèrent responsables des accouchements à l'Hôtel-Dieu à Paris. En 1720, Campbel, reçu l'ordre d'un cardinal d'entrer quelques temps dans la salle des accouchées "pour regarder travailler la maîtresse sage-femme et d'exercer si elle n'en voyait pas d'inconvénient en vertu de son statut de chirurgien et parce qu'il était de religion catholique".
En 1731, ce fut le cas de Payerne Jacques, chirurgien de la maison du Roi d'Espagne d'avoir l'appui d'une lettre de cachet de Louis XV pour se perfectionner dans la salle des accouchées, toujours à l'Hôtel Dieu. Le Roi n'avait pu refuser aux instances réitérées du Roi d'Espagne. Les autorisations furent très rares, refusées jusqu'à la fin du XVIII° siècle. ( Henriette Carrier, Les origines de la Maternité de Paris, les Maîtresses Sages-Femmes et l'Office des Accouchées de l'ancien Hôtel Dieu.édition Georges Steinheil -Paris 1888 ).
Ce début de XVIII° siècle fut marqué par un débat virulent, recouvrant 2 courants opposés:
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le courant traditionaliste des médecins "théoriciens" touchant peu les corps, surtout pas celui des femmes.
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le courant regroupant chirurgiens et médecins, ou certains ayant fait les 2 formations, revendiquaient d'intervenir dans les accouchements.
Philippe Hecquet, en 1707 fit partie du 1°courant, publia: "De l'indécence aux hommes d'accoucher les femmes" Préfacé par Hélène Rouch. édition côté-femmes. Paris 1990. Hecquet De l'indécence aux hommes d'accoucher les femmes Préfacé par Hélène Rouch. édition côté-femmes. Paris 1990. Hecquet fut un esprit radical, ardent défenseur des sages-femmes, plus compétentes que les chirurgiens quand elles étaient formées, car, depuis la nuit des temps elles veillaient au chevet des femmes en couches...
Pierre Dionis, accoucheur des Dauphines,constatait en 1718 qu'il y avait : " de meilleures sages-femmes à Paris qu'en aucune ville du Royaume, parce qu'il se fait à l'Hôtel-Dieu,où elles sont reçues en apprentissage, une infinité d'accouchements. Elles y demeurent trois mois ; les six premières semaines, elles sont à regarder les accouchements que celle qui est avant elles, et les autres six semaines, elles font tous les accouchements qui se présentent pendant ce temps, et elles les font tous en présence de la maîtresse qui est choisie entre les plus habiles de Paris ".
Dans la pratique des accouchements dystociques, les chirurgiens allaient asseoir leur pouvoir et allaient imposer progressivement la position allongée, "gynécologique" pour tous les accouchements sur lesquels ils intervenaient.
Les grands accoucheurs instrumentalisèrent l’accouchement et l'usage de ces instruments. Un siècle avant, Mme Louise Bourgeois avait théorisé cette instrumentalisation…
Pendant les XVII et XVIII siècles, les grandes SF surtout les Parisiennes en avaient l'usage et l'expérience. Dans les écrits, elles étaient amalgamées aux chirurgiens.
1775, une SF Anglaise Elisabeth Nihell éleva la voix et dénonça ces abus d'instrumentalisation, le forceps, surtout, mais en vain, l’apparente supériorité technique s’imposa.
Plus tard, en 1838, 144 variétés de forceps furent répertoriées et détaillées. Au XIX° siècle, 40% des accouchements se terminaient par des extractions (forceps) dans certains hôpitaux des grandes villes; chaque grand accoucheur- chirurgien inventa son forceps.
Néanmoins, il y eut une amélioration de la formation des SF, car le XVIII°siècle a vu les administrateurs, médecins, philanthropes mettre comme tâche prioritaire la préservation de la vie des mères et des enfants et pour se faire, rechercher l'efficacité de la formation des accoucheurs et sages-femmes.
En1759, Mme Angélique Le Boursier du Coudray, sage-femme instruite et expérimentée, publia l'"Abrégé de l'art des accouchements". Elle fut recrutée par le 1er intendant du Royaume et très soutenue. Sur 25 ans, avec un mannequin de démonstration,elle forma 5000 SF en parcourant la France, ainsi que quelques centaines de médecins. Elle a représenté une réponse à un problème de santé publique.. .
Mais, inexorablement, le XVIII° siècle vit, sur tout le territoire, la réglementation de la profession des sages-femmes s'accroître. Elle passa sous le contrôle accru de l’église et de l'état.
L'histoire du développement de l'obstétrique est complexe, et nous ne pouvons, sans en faire un résumé erroné, simplifier la division du travail entre sages-femmes, chirurgiens et médecins avant le XVIII° siècle. Nombreuses sages-femmes étaient mariées à des notables (dont les chirurgiens devenus notables en ce XVIII°siècle) ou de pères chirurgiens. Par ailleurs, les religieuses, dans les hospices prodiguaient depuis déjà plusieurs siècles, des soins aux accouchées, certaines étaient formées et sages-femmes, mais ne l'oublions pas, à l'Hôtel-Dieu, leur statut de religieuse leur interdisait d'assister aux accouchements " par décence " . Bref, toutes, tous réclamèrent de conserver une place dans cette société française en pleine mutation….
Le débat "accoucheur- chirurgien" ou sage-femme au chevet des femmes en couches date donc de ce XVIII° siècle et n'a pas troublé les siècles antérieurs.
Les commentaires analytiques des lectures d'André Fouks, médecin-obstétricien qui, depuis 30 ans, facilitent la réflexion sur l'histoire des sages-femmes et accoucheurs.
A partir de la moitié du XVIII°siècle (sous le règne deLouis XV) la pénurie de sages-femmes se fait cruellement sentir. Au fond, la jurisprudence de l'ancien régime n'en était pas à une contradiction près, et il s'agissait moins d'obtenir de bonnes sages-femmes que de rendre les matrones un peu moins " nuisibles " par une instruction gratuite ou de permettre à la première femme venue, par quelques notions élémentaires d'être moins " nocives " vis à vis des accouchées...
L'état n'a plus les moyens de résoudre le problème. Et, comme le note Paul Delaunay :
" La jalousie des communautés de chirurgiens, la négligence des seigneurs de la paroisse ou des curés pour assumer le recrutement, l'ignorance des trois quarts des femmes en lecture et en écriture, l'indifférence ou l'hostilité attisées par les matrones empiriques, que la routine populaire témoignait aux sages-femmes issues de ces cours, le mauvais état des finances qui contraignit les intendants à les espacer, parfois de plusieurs années, la multiplicité et l'incoordination de ces institutions ne leur permirent pas de subsister ".
La Maternité de Paris -Librairie médicale et scientifique Jules Rousset - Paris 1909 - pages 351-352.
Pourtant, les initiatives ne manquaient pas, en témoigne le nombre d'ouvrages publiés dans ces années vis à vis des sages-femmes de province.
Outre " L'abrégé de l'art des accouchements " (Paris 1759) de Mme Du Coudray parrainé par Louis XV qui sera suivi par " Les éléments de l'art d'accoucher " (Bordeaux
1784) de Mme Coutanceau sa nièce ; on note également " Les instructions succintes " de Joseph Raulin – Paris 1780, le "Guide des accoucheurs " de Jacques Mesnard – chez
De Bure l'aîné - Paris 1743 ; " Leçons pratiques sur l'art des accouchements ", " le
Précis de l'art des accouchements en faveur des sages-femmes de province " de Michel Chevreul – chez Pierre François Didot - Angers 1782 ; " Instructions pour les sages- femmes " de Didelot – chez Mathieu - Nancy 1770 ; " L'art des Accouchements " de Gilles de la Tourette - Paris 1787 ; "Cours d'accouchements en forme de catéchisme " de Jacques Telenge – chez d'Houry - Paris 1776 ; " Le catéchisme sur l'art des accouchements pour les sages-femmes de la campagne " de Anne-Amable Augier Du Fot – Soissons 1775 ; et le fameux catéchisme de Baudelocque dont la première édition date de 1775.
Dans ce contexte où la plupart des accouchements avaient lieu à domicile, n'oublions pas que les véritables obstétriciennes étaient les maîtresses sages-femmes, notamment de la Maternité de Paris. Les pensionnaires de cet établissement étaient classées en 3 catégories : 1° les femmes pauvres, 2° les filles publiques assez peu nombreuses, 3° les filles mères formaient la grande majorité des hospitalisées. Près des 2/3 appartenaient à d'autres départements que la Seine, et 1/5 environ arrivait de province.
Rappelons que les accoucheurs comme Mauriceau avaient tiré leur art de 3 mois de pratique dans cet établissement.
Ainsi, même si la Maternité est placée sous l'autorité de Baudelocque, n'oublions pas que le code administratif de 1824 stipule à l'article 3008 que la maîtresse sage-femme à l'Hospice de la Maternité sera chargée du service ordinaire des accouchements. Dans tous les cas graves, elle appellera le chirurgien en chef et s'aidera de ses lumières, ce dernier décidera des cas dans lesquels il devra agir lui-même pour terminer l'accouchement. Comme le souligne Paul Delaunay : " L'emploi du perce-crane ou du forceps n'était même pas interdit à la sage-femme, on sait que Mme Lachapelle a tracé les règles des divers modes d'application des cuillères et que Baudelocque et Dubois ne dédaignaient pas de la faire opérer sous leurs yeux ".
La Maternité de Paris -Librairie médicale et scientifique Jules Rousset - Paris 1909 - pages 351-352.
Ce ne fut d'ailleurs que le 30 novembre 1892 que la loi interdit aux sages-femmes l'usage des instruments. Encore en 1866, Le Fort note dans le bulletin de la Société Chirurgicale page 207 : " La sage-femme en chef, et c'est là ce qui a le droit de nous étonner vivement, est dans son service indépendante du chirurgien en chef. Ils ont passé en pratique que le chirurgien ne vient dans le service que lorsqu'il est appelé par elle ". Le chef de service à l'époque est Trélat qui a succédé à Paul Dubois. Rappelons aussi que Chaptal, dans le système centralisé de l'époque envisageait de former toutes les sages-femmes à la Maternité de Paris en y envoyant les sages-femmes de province...
Notons aussi, dans les nouveautés, qu'en Floréal an X, Le Camus prônait dans " la Décade philosophique ", un projet d'école mixte pour les élèves sages-femmes et les élèves accoucheurs, que la majorité des médecins accoucheurs trouvait séduisant ; ainsi la sélection aux examens d'entrée et de sortie fourniraient d'habiles disciples de Lucine à tous les départements de la République. Le projet fut abandonné devant la grande hostilité de Mme Lachapelle. ( La Maternité de Paris -Librairie médicale et scientifique Jules Rousset - Paris 1909 - pages 351-352. ). Ce simple fait prouve l'autorité incontestable qu'avaient ces maîtresses sages-femmes de l'époque sur l'obstétrique. Il fallut environ un siècle pour leur enlever leur pouvoir. (Mme Lachapelle, Pratique des accouchements ou mémoires et observations choisies, sur les points les plus importants de l'art, Paris 1821 Trois tomes)
Fin du XVIII°, la révolution laissa un état sanitaire catastrophique conséquence de l'abolition des ordres, des monastères, des universités, des corporations. Un grand désordre régnait dont les premières victimes furent les gens du peuple. De nombreux cahiers de doléances rédigés par des femmes, réclamaient l'assistance en couches par des sages-femmes formées. Cette revendication et d'autres en lien avec la misère et discrimination des femmes furent portées par Olympe de Gouges qui mourut sur l'échafaud pour ne pas avoir voulut renier son texte sur les droits des femmes. Les matrones et les sages-femmes représentaient aux yeux des révolutionnaires, l'alliance avec l'église contre l'esprit des lumières. L'article de l'Encyclopédie de Diderot est le triste reflet de ce conflit.
Seuls, les chirurgiens des armées avaient conservé la permission d'exercer, en nombre bien insuffisant pour assurer les opérations et les gestes techniques. Napoléon prit à bras le corps le problème sanitaire.
Note sur l'Infection puerpérale
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