Introduction

L'anesthésie en obstétrique se caractérise par le fait qu'il y a prise en charge simultanée de deux patients : la mère et son fœtus, la sécurité de l'un et de l'autre devant être assurée.

Par ailleurs les modifications physiologiques de la grossesse et les indications de l'anesthésie ou de l'analgésie rendent ces actes particuliers compliqués.

L'anesthésie peut être générale ou locorégionale.

Nous ne traiterons dans ce cours que l'anesthésie au cours d'un accouchement voie basse ou pour césarienne hors complication obstétricale.

La grossesse est le seul état physiologique au cours duquel à peu près tous les paramètres physiologiques sont anormaux.
Les modifications dues à la grossesse sont importantes et apparaissent dés la 10ème Semaine d'Aménorrhées (SA). Elles sont dues à l'augmentation du volume utérin, à l'imprégnation hormonale et à l'augmentation des besoins métaboliques.
Certaines modifications physiologiques de la grossesse influent sur la pratique de l'anesthésie obstétricale.

1  -  Bases pharmacologiques de l'anesthésie obstétricale

Pour chacun des médicaments utilisés dans le cadre de l'anesthésie obstétricale, nous étudierons :

  • la pharmacocinétique : influence de l’organisme sur le devenir du médicament,
  • la pharmacodynamie : modifications que le médicament induit sur l’organisme.

1 . 1  -  Passage placentaire des médicaments

Quasiment toutes les drogues utilisées lors d'une anesthésie passent la barrière placentaire et sont susceptibles d'être absorbées par le fœtus.

La diffusion du médicament de la mère au fœtus dépend de :

  • la dose utilisée,
  • les propriétés physico-chimiques du médicament,
  • le débit sanguin utéro-placentaire,
  • la pharmacocinétique du médicament chez la mère (fixation tissulaire et clairance plasmatique).


C'est la forme libre du médicament, non liée aux protéines et non ionisée, qui passe cette barrière.
La plupart des médicaments utilisés en anesthésie sont liées soit à l'albumine soit à l'α1-glycoprotéine acide (α1GPA). En fin de grossesse, leurs taux sont inversés chez le fœtus et sa mère : l'albumine est en baisse chez la mère et en augmentation chez le fœtus, l'α1GPA est stable chez la mère et en baisse chez le fœtus.
Le placenta ayant un rôle de membrane semi-perméable, la partie libre du médicament va s'équilibrer de part et d'autre de celle-ci. Selon qu'il sera lié à une protéine ou à l'autre, la dose totale de médicament absorbé par le fœtus sera plus ou moins importante. Le choix des médicaments utilisés lors d'une anesthésie obstétricale devra tenir compte de ce facteur.

Les substances de Poids Moléculaire (PM) < 350 daltons ou g/mol traversent de manière passive, pour les autres il y a un transport actif.

Le processus de diffusion passive dépend de l'épaisseur du placenta, du gradient de la concentration dans les circulations maternelle et fœtales, de la surface de diffusion et des caractéristiques physico-chimiques du médicament. Le transfert est facilité par la liposolubilité des produits.

Il existe chez le fœtus des mécanismes physiologique susceptibles de leur protéger lors d'une anesthésie maternelle. En effet la circulation fœtale comporte trois shunts (canal d'Arantius, canal artériel et foramen ovale) qui permet à 50 % du débit cardiaque fœtal de retourner directement au placenta sans avoir irrigués les tissus. Il y a alors une protection du cœur et du cerveau fœtal qui reçoivent une fraction réduite des médicaments qui ont passé la barrière placentaire.

1 . 2  -  Les anesthésiques intraveineux

1 . 2 . 1  -  Le thiopental (Pentothal®)

C'est un barbiturique très liposoluble qui a une fixation importante sur l'albumine.

Il est utilisé uniquement en bolus lors de l'induction de l'anesthésie générale pour césarienne en urgence. Une injection trop rapide (20-30 secondes) chez la femme enceinte entraine une augmentation du passage placentaire. Les doses utilisées chez la femme enceinte sont inférieures de 35 % aux doses utilisées en dehors de la grossesse.

Le délai d’action est de 20-40 secondes, l'effet maximal est atteint en 60 secondes et la durée d’action est de 5 minutes.

Lors de l’induction, chez la mère, le thiopental augmente la fréquence cardiaque (+20 %), la pression artérielle (+15-30 %) et la résistance des artères utérines, il diminue donc le débit sanguin utéroplacentaire. Ces modifications disparaissent dès l’intubation de la patiente.

Il peut être mal toléré en cas d'hypovolémie ou insuffisance cardiaque.

Le produit est éliminé par voie urinaire, la durée de sa demi-vie est de 11h chez la mère, 19 à 21h +/- 11h chez le nouveau-né.

Il induit une hypoxie et une acidose transitoire sans conséquences chez le fœtus sain. Il n'en est pas de même en cas de souffrance fœtale préexistante à l'induction.

Il ne crée pas de dépression néonatale.

Aux doses habituelles (4-5 mg/kg) lors d’une anesthésie générale, on ne retrouve pas de diminution du score d'Apgar par rapport à une anesthésie locorégionale. Il n'existe pas de corrélation entre la concentration néonatale de thiopental et le score d'Apgar.

Il est l’anesthésique de choix pour les inductions lors des anesthésies générales en obstétrique.

1 . 2 . 2  -  La kétamine (Ketalan®)

C'est un dérivé de la phencyclidine, de faible poids moléculaire, de pKa proche du pH physiologique et de grande liposolubilité.

Il passe rapidement la barrière placentaire, il ne peut être utilisé que pour l’induction d’une anesthésie générale pour césarienne ou forceps. Son utilisation peut-être préconisée quand l’état hémodynamique de la patiente est instable.

Son délai d’action est rapide de 30 secondes à 1 minute. Après un bolus d’induction de 2 mg/kg, sa durée d’action est de 10 à 15 minutes.

Lors de l’induction la kétamine augmente la pression artérielle mais non la fréquence cardiaque, cette dernière n’intervient que lors de l’intubation.

Aux doses utilisées en obstétrique (1-1,5 mg/kg) il n’a pas été observé de diminution du débit sanguin utérin donc pas de risque de souffrance fœtale aiguë induite.

La kétamine protège les débits sanguins cérébral, myocardique et rénal du fœtus. Son usage n’est donc pas contre-indiqué en cas de souffrance fœtale préexistante.

1 . 2 . 3  -  Le propofol (Diprivan®)

Il s’agit d’un hypnotique, dérivé phénolique. Il existe une grande variation individuelle de la pharmacocinétique du propofol.

Aux doses habituellement utilisées en obstétrique, les qualités d’induction du propofol sont identiques à celles du thiopental.

La clairance du propofol est nettement augmentée pendant la césarienne. Le métabolisme hépatique du propofol n’étant pas modifié pendant la grossesse, l’augmentation de la clairance peut s’expliquer par :

  • soit l’augmentation du métabolisme extra-hépatique : induction enzymatique ou accélération du métabolisme au niveau des reins et des poumons ;
  • soit l’augmentation du débit cardiaque qui assure une redistribution plus rapide vers les organes périphériques.


Cette dernière hypothèse explique l’élimination plus lente du propofol.
Quand il est utilisé en induction le propofol entraîne :

  • une diminution de la pression artérielle de 10-12 mmHg par rapport aux valeurs habituelles de la patiente,
  • une légère diminution de la fréquence cardiaque qui apparaît 3-4 minutes après l’induction,
  • le débit sanguin utérin ne semble pas modifié.


Le propofol traverse la barrière placentaire, il est retrouvé très rapidement dans la circulation fœtale. L’équilibre avec la concentration maternelle est aussi rapide. L’élimination fœtale est plus lente que chez la mère alors que l’élimination néonatale est rapide.

Lorsque la dose ne dépasse pas 2-2,5 mg/kg, il n’y a pas de modifications du score d’Apgar.

1 . 2 . 4  -  L’étomidate (Hypnomidate®)

Il s’agit d’un hypnotique. Il est utilisé en induction à la dose de 0,2-0,3 mg/kg, il induit rapidement l’anesthésie et assure une bonne stabilité hémodynamique maternelle mais prévient moins la stimulation sympathique liée à l’intubation.

De faible poids moléculaire et peu lié aux protéines, il passe facilement la barrière placentaire.

Il est éliminé rapidement, car 1h après la naissance, on ne le retrouve plus chez le nouveau-né, chez la mère il faut attendre 2h.

L’étomidate a des effets secondaires importants chez la mère. Il s’agit de douleurs et myoclonies à l’induction et de nausées et vomissements au réveil.

En pratique obstétricale, l’étomidate est essentiellement utilisé en cas de contre-indication au thiopental ou d’état hémodynamique précaire.

1 . 2 . 5  -  Le midazolam (Hypnovel®)

Il s’agit d’une benzodiazépine. La qualité de l’anesthésie est comparable à celle du thiopental sauf une légère diminution de la pression artérielle diastolique (8 mmHg) lors de l’induction.

Le passage placentaire est plus lent mais son élimination néonatale est également plus longue.

Même à faible dose (0,2-0,3 mg/kg), le midazolam peut entraîner des dépressions néonatales, des températures centrales plus basses et des scores neuro-comportementaux perturbés.

Les benzodiazépines ne doivent pas être utilisées pour l'induction de l'anesthésie en obstétrique.

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