6  -  Contexte clinique et hémogramme orientent la démarche diagnostique

6 . 1  -  Thrombopénies dans le contexte des insuffisances médullaires

L’examen clinique (signes d’insuffisance médullaire, adénopathies, splénomégalie, hépatomégalie) et une interprétation précise des diverses anomalies de l’hémogramme aideront à évoquer : une aplasie médullaire (idiopathique, toxique, chimio-induite…), une carence en vitamine B12 ou en folates (surtout si d’origine toxique), un syndrome myélodysplasique, un envahissement médullaire (leucémies, lymphomes, myélofibrose, métastases d’une tumeur solide), une intoxication aiguë alcoolique.

6 . 2  -  Thrombopénie et hypersplénisme

Indépendamment de la cause, l’augmentation de volume de la rate induit une hémodilution (inconstante) et une ou plusieurs cytopénies de séquestration : la thrombopénie est fréquente, jusqu’à 50 G/L lorsque le volume splénique est élevé.

Il faut préciser rapidement l’étiologie de la splénomégalie : la thrombopénie n’est habituellement pas accompagnée de manifestations hémorragiques, sauf dans certaines situations (leucémies aiguës, splénomégalies fébriles infectieuses) [voir l'item 332].

6 . 3  -  Coagulation intravasculaire disséminée

Elle survient ou est attendue dans diverses situations : contexte infectieux sévère (sepsis grave), pathologies obstétricales, cancers, accidents transfusionnels, leucémie aiguë (surtout leucémie aiguë à promyélocytes).

Outre l’exploration de la maladie causale, temps de céphaline + activateur (TCA), taux de prothrombine (TP), fibrinogène, dosage de D-dimères ou de produits de dégradation de la fibrine (PDF) seront prescrits (voir l'item 339).

6 . 4  -  Microangiopathies thrombotiques

Elles sont le résultat d’une pathologie endothéliale, responsable de microthromboses artérielles, au contact desquelles viennent se briser les hématies circulantes (fragmentation produisant des schizocytes). Ce sont des maladies rares.

  • Le syndrome hémolytique et urémique (SHU) est observé essentiellement chez l’enfant (6 mois–5 ans) : souvent, une diarrhée aqueuse (qui peut évoluer en colite hémorragique) précède de quelques jours l’apparition d’une hémolyse, d’une oligoanurie et d’une thrombopénie. L’infection à Escherichia coli, bactérie productrice de vérotoxine ou VTEC, parfois à Shigella dysenteriae type I, est confirmée par l’isolement des souches dans les selles ou par la présence d’anticorps spécifiques (ou par la détection par polymerase chain reaction [PCR]). Le diagnostic nécessite un bilan d’anémie hémolytique avec recherche de schizocytes et un bilan d’hémostase (ici, il est normal ou peu perturbé). La thrombopénie varie de modeste à sévère ; le syndrome hémorragique n’est que rarement au premier plan.
  • Le purpura thrombocytopénique thrombotique (PTT) ou syndrome de Moschowitz est évoqué devant une fièvre avec troubles de conscience plus ou moins fluctuants, des convulsions (lésions disséminées mais prédominant au niveau du cerveau), parfois une symptomatologie abdominale (nausées, vomissements, diarrhées, douleurs, fièvre) et une hypertension (parfois maligne). On tient compte du contexte : infectieux (virus de l’immunodéficience humaine [VIH] ++), cancers, maladies pouvant se compliquer de PTT (lupus, sclérodermie, infection à E. coli, sclérodermie, en postpartum ou lié à la contraception, après transplantation rénale ou autres [moelle osseuse], certains médicaments [immunodépresseurs]…). Parfois, la maladie est idiopathique. Anémie hémolytique avec schizocytes, dysfonction rénale (protéinurie, hématurie) sont habituellement présentes, alors que la thrombopénie est inconstante. Les anomalies du bilan d’hémostase sont parfois retrouvées, pouvant aller jusqu’à la CIVD. Un déficit constitutionnel (surtout chez l’enfant) ou acquis en ADAMTS13 ou protéase clivant le facteur Willebrand doit être recherché.


Une complication particulière à la femme enceinte sera reprise plus loin (HELLP syndrome).

6 . 5  -  Thrombopénies et contexte infectieux (souvent évocateur)

  • Infections bactériennes sévères : thrombopénie parfois sévère, presque constante en cas de sepsis sévère (avec ou sans CIVD).
  • Infections parasitaires : thrombopénie dans deux tiers des infestations paludéennes, parfois sévère (Plasmodium falciparum).
  • Infections virales : une thrombopénie modérée (100–150 G/L) et transitoire (2–3 semaines) est parfois observée au cours de diverses infections virales (hépatites B et C, infection à virus Epstein-Barr [EBV] – mononucléose infectieuse [MNI] –, cytomégalovirus [CMV], rubéole, varicelle, VIH). Cependant, une thrombopénie chronique (multifactorielle : immune, médicaments) est présente dans 25 % des hépatites B, C, et VIH. Exceptionnellement, les infections EBV, hépatites B ou C provoquent une aplasie médullaire grave.
  • Examens de base : l’hémogramme, avec le nombre de neutrophiles (augmenté, parfois normal voire diminué dans les infections bactériennes très sévères) et le nombre de lymphocytes (lymphopénie, ou au contraire lymphocytose avec ou sans syndrome mononucléosique dans les infections virales), les sérologies, hémocultures et autres selon l’orientation (goutte épaisse…).

6 . 6  -  Purpura thrombopénique immunologique

Le purpura thrombopénique immunologique3 (cf. note : purpura thrombopénique immunologique)(PTI) était anciennement nommé « purpura thrombopénique auto-immun » (PTAI). Il est plus ou moins extensif.

Chez l’enfant, on l’évoque dans un contexte d’infection « virale » survenue 1 à 3 semaines auparavant (très nombreux virus responsables), parfois après injection vaccinale (ROR, hépatite B…).
Le syndrome hémorragique (parfois majeur) est associé à une thrombopénie souvent sévère, parfois inférieure à 5 G/L, mais :

  • sans antécédent particulier ;
  • sans autre maladie connue ;
  • sans adénopathie, splénomégalie ou hépatomégalie ;
  • sans autre anomalie de l’hémogramme (pas d’anémie, pas de blastes) ;
  • sans contexte de médicaments ou de toxiques.


La réalisation d’un myélogramme n’est pas consensuelle au cours d’un PTI typique de l’enfant. Il sera discuté si un doute persiste (en cas d’anomalies cliniques ou hématologiques associées, et avant corticothérapie).

Plusieurs techniques peuvent mettre en évidence des anticorps fixés sur les plaquettes (cytométrie en flux) ou dans le sérum (test MAIPA), mais elles sont difficiles à mettre en Ĺ“uvre, peu spécifiques ou peu sensibles et ne sont donc utilisées en pratique clinique qu’en cas de doute diagnostique.

Dans la majorité des cas, le PTI est « aigu » et disparaît en quelques semaines ou quelques mois (avec ou sans traitement). Dans une minorité de cas, on définit le PTI comme « persistant » (entre 3 et 12 mois d’évolution) ou « chronique » (si la thrombopénie se maintient au-delà de 12 mois).

Chez l’adulte
, soit le tableau clinicobiologique est proche de celui de la forme aiguë infectieuse transitoire de l’enfant, soit il s’agit d’une forme plus chronique, avec thrombopénie plus modérée. Rémission et guérison sont moins fréquentes que chez l’enfant, et le diagnostic est plus difficile : on devra au moins éliminer une prise de médicaments, une maladie auto-immune (lupus, syndrome des antiphospholipides) et une myélodysplasie : le myélogramme est en général nécessaire.

6 . 7  -  Maladies auto-immunes

On décrit des thrombopénies modérées au cours du lupus et dans le syndrome des antiphospholipides. Les manifestations thrombotiques sont ici à mettre en avant. Les examens nécessaires sont ceux du diagnostic de la maladie.

6 . 8  -  Thrombopénies liées à la prise de médicaments

Dans quelques cas, il s’agit d’un mécanisme toxique (anticonvulsivants, sulfonamides, sulfamides, sels d’or, anti-inflammatoires non stéroïdiens [AINS]), et la thrombopénie s’installe progressivement, en parallèle de la dose ingérée. On peut y associer les chimiothérapies cytotoxiques.

Le plus souvent, la thrombopénie résulte d’une destruction immunologique des PLT :

  • une prise préalable du médicament ou une prise prolongée au-delà de 5–7 jours induit le développement d’un autoanticorps dirigé contre le couple PLT + médicament ;
  • le syndrome hémorragique est souvent sévère, d’installation brutale, avec thrombopénie majeure ;
  • dans plus de la moitié des cas, il s’agit d’un patient de plus de 50 ans, et plus fréquemment d’une femme ;
  • il n’y a pas d’examen diagnostique de certitude qui soit rapide ou simple. L’exclusion des autres causes de thrombopénie doit être réalisée, et un myélogramme peut éliminer une autre étiologie. Les tests d’imputabilité sont réalisés, avec rapprochement du centre de pharmacovigilance. L’éviction (à vie) du médicament permet une récupération de la thrombopénie en 2 semaines (principaux médicaments incriminés : pénicillines et dérivés, céphalosporines, chlorothiazide, cimétidine, digitoxine, dépakine, dipyridamole, diphénylhydantoïne, quinidine, quinine, sels d’or, sulfamides, ticlopidine, Bactrim®…).


Les particularités de la thrombopénie induite par l’héparine (TIH) [voir l'item 182] sont les suivantes :

  • une diminution modérée du nombre des plaquettes peut survenir en début de traitement (avant 5 jours) : liée à un effet proagrégant de l’héparine, elle est corrigée en quelques jours sans nécessité d’interrompre le traitement ;
  • à l’opposé, la thrombopénie ou la diminution de plus de 40 % de la No PLT (par rapport à la No PLT initiale), survenant après 5 à 15 jours d’héparine (plus tôt si traitement héparinique récent), est liée à l’apparition d’anticorps anti-facteur 4 plaquettaire qui activent les plaquettes avec, dans un cas sur deux, des manifestations thrombo-emboliques souvent redoutables ;
  • la thrombopénie est rarement sévère, le plus souvent modérée (> 50 G/L) ; une CIVD est possible ;
  • le diagnostic n’est pas facile et repose sur la clinique et sur des tests ELISA (recherche d’anticorps anti-facteur 4 plaquettaire) et fonctionnels plaquettaires plus spécifiques (test à la sérotonine radiomarquée), à effectuer avec des prélèvements réalisés 1–2 jours après arrêt de l’héparine.

6 . 9  -  Thrombopénies chez la femme enceinte

Diverses causes de thrombopénie sont observables au cours de la grossesse : PTI (surtout au premier trimestre), maladies auto-immunes (lupus), infections virales (VIH, CMV, EBV), médicaments.

Certaines situations sont spécifiques à la grossesse : thrombopénie gestationnelle, hypertension et prééclampsie/éclampsie, HELLP syndrome (Hemolysis Elevated Liver [enzymes] Low Platelets) [et, plus rarement, stéatose hépatique aiguë gravidique].

  • La thrombopénie gestationnelle est observée au cours de 5–7 % des grossesses normales et représente la vaste majorité des thrombopénies de la grossesse. Il s’agit d’une diminution progressive de la No PLT au cours du 2e et du 3e trimestre (hémodilution), habituellement autour de 90–140 G/L (si < 70 G/L : envisager une autre étiologie). La surveillance est restreinte : recherche d’une hypertension artérielle, d’une protéinurie, et éventuellement d’anticorps antinucléaires et antiphospholipides (qui seront négatifs).
  • La prééclampsie est associée à une thrombopénie dans un tiers des cas : elle survient habituellement après 5 mois de grossesse, chez les primipares de moins de 20 ans ou plus de 30 ans. On observe une hypertension artérielle plus ou moins forte, des douleurs abdominales, une protéinurie.
  • Le HELLP syndrome est rare, grave, survenant au dernier trimestre de la grossesse : il se rapproche du PTT. Anémie hé-molytique avec schizocytes, thrombopénie plus ou moins sévère, augmentation des transaminases et des LDH sont recher-chés.

6 . 10  -  Thrombopénies chez le nouveau-né

De gravité et d’intensité variable, elles sont observées dans de nombreuses circonstances.

  • Une symptomatologie hémorragique avec thrombopénie sévère (< 20 G/L) est observable dans les thrombopénies allo-immunes. La mère développe des anticorps (le plus souvent anti HPA-1a) qui traversent la barrière placentaire et provoquent la thrombopénie, durant 2 à 4 semaines. La recherche d’anticorps anti-PLT chez la mère (dirigés contre un antigène paternel) permet le diagnostic.
  • Les infections congénitales (CMV, toxoplasmose, VIH), périnatales (E. coli, streptocoque B, Haemophilus) ou néonatales tardives (sepsis tardif, entérocolite nécrosante (staphylocoques à coagulase négative, bacilles à Gram négatif) s’accompagnent fréquemment d’une thrombopénie, parfois très sévère. Le diagnostic repose sur les prélèvements bactériovirologiques adéquats.
  • Une thrombopénie (modérée, inconstante, rarement au premier plan) est décrite dans diverses situations : asphyxie, hypothermie (qui se complique parfois de CIVD), insuffisance placentaire (prééclampsie, diabète, retard de croissance intra-utérin), mère présentant une maladie auto-immune (lupus, PTI), ou ayant pris des médicaments.

6 . 11  -  Thrombopénies dans un contexte de transfusions sanguines

La thrombopénie de dilution ne s’observe que lors de transfusions massives (au-delà de 10 concentrés érythrocytaires).

  • L’accident transfusionnel immédiat peut revêtir plusieurs aspects, de la simple inefficacité transfusionnelle des concentrés érythrocytaires jusqu’aux formes graves, qui s’accompagnent d’un état de choc avec collapsus et se compliquent parfois de CIVD (voir l'item 178).
  • Le purpura transfusionnel est un accident grave et retardé de la transfusion. Aujourd’hui peu fréquent, il survient 5 à 7 jours après transfusion d’un produit sanguin contenant des plaquettes. Le purpura est très thrombopénique et dure 7 à 10 jours. Il est lié à la présence d’anticorps antiplaquettes (anti-HPA1a) apparus lors d’une transfusion ancienne ou d’une grossesse (ils doivent être recherchés pour confirmer le diagnostic).

6 . 12  -  Thrombopénies constitutionnelles

Elles sont très rares, mais doivent être évoquées chez l’enfant devant toute thrombopénie atypique ou prolongée, d’autant plus s’il existe des anomalies morphologiques cliniques ou des anomalies de la morphologie plaquettaire sur frottis sanguin. Il faut savoir remettre en cause un diagnostic de PTI si l’évolution est inhabituelle ou si le syndrome hémorragique est plus important que ne le laisserait prévoir la No PLT (thrombopénies constitutionnelles associées à une thrombopathie). Elles se détectent cependant parfois à l’âge adulte.

Leur caractérisation est du domaine des spécialistes, et a largement bénéficié des progrès de la biologie moléculaire.
Syndrome hémorragique grave : hospitalisation en urgence ; pronostic vital engagé si signes muqueux ; traitement indispensable en urgence ; contre-indication à la chirurgie et aux gestes invasifs.

  • Pas de syndrome hémorragique notable, mais si la No PLT est inférieure à 20 G/L : hospitalisation, traitement à envisager en urgence ; contre-indication à la chirurgie et aux gestes invasifs (ponction lombaire, pleurale, péricardique).
  • No PLT comprise entre 20 et 50 G/L : avis hématologique en urgence, car il existe un risque hémorragique ; traitement à envisager ; contre-indication aux actes chirurgicaux non vitaux, aux injections intramusculaires, aux gestes invasifs (décaler tout geste non indispensable, sinon : transfusion de concentrés plaquettaires pour atteindre une No PLT > 60–70 G/L).
  • No PLT comprise entre 50 et 80 G/L : avis hématologique non indispensable pour guider les investigations. Pas de risque hémorragique particulier (sauf si facteurs aggravants). Traitement immédiat souvent non nécessaire. Éviter les actes chirurgicaux très hémorragiques.
  • No PLT supérieure à 80 G/L : pas de risque hémorragique ; appliquer la démarche étiologique classique.
Notes
  1. purpura thrombopénique immunologique : Le protocole national de diagnostic et de soins du « Purpura thrombopénique immunologique de l’enfant et de l’adulte », validé par le Collège de la Haute Autorité de santé en octobre 2009, est téléchargeable sur www.has-sante.fr.
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