4  -  Diagnsotic étiologique

L’augmentation du volume de la rate est le plus souvent en rapport avec l’une des fonctions de cet organe : l’étiologie d’une splénomégalie peut s’envisager selon le mécanisme physiopathologique (tableau 1), ou selon les principales situations cliniques rencontrées (tableau 2).

La splénomégalie est parfois isolée et la démarche diagnostique va nécessiter, outre l’interrogatoire et l’examen clinique, la prescription de quelques examens de première intention. Quand la splénomégalie peut s’intégrer dans un tableau clinique dont elle n’est qu’un élément, la démarche ira à l’essentiel.

Tableau 1. Étiologie des splénomégalies selon le mécanisme physiopathologique
     Fonction macrophagique (ou de filtre macrophagique)        Pathologies infectieuses bactériennes, virales, parasitaires
     Pathologies inflammatoires
     Hémolyses chroniques constitutionnelles ou acquises du globule rouge
     Maladies de surcharge  
     Fonction de filtre vasculaire        Lésion ou obstacle préhépatique, intrahépatique ou posthépatique  
     Fonction hématopoïétique        Syndromes myéloprolifératifs
     Syndromes lymphoprolifératifs
     Leucémies aiguës  
     Divers        Traumatismes, kystes, hémangiome, métastases de tumeurs solides…  
Tableau 2. Découverte d’une splénomégalie principales situations à envisager
État infectieux :  
    – bactérien : septicémies, typhoïde, tuberculose, maladie d’Osler
    – viral : mononucléose infectieuse (virus d’Epstein-Barr), VIH, hépatite virale
    – parasitaire : paludisme, leishmaniose viscérale  
    Lésion ou obstacle préhépatique (thrombose porte, compression tumorale), intrahépatique (cirrhose quelle qu’en soit la cause, hémochromatose, 
    sarcoïdose, bilharziose) ou posthépatique (thrombose des veines sus-hépatiques [syndrome de Budd-Chiari], insuffisance cardiaque droite)  
Maladie hématologique :  
    – hémolyse chronique secondaire à une maladie du globule rouge, constitutionnelle (maladie de la membrane [sphérocytose], de l’hémoglobine
       [thalassémie], ou d’une enzyme [pyruvate kinase]) ou acquise,
    – syndrome myéloprolifératif (leucémie myéloïde chronique, splénomégalie myéloïde chronique, maladie de Vaquez, thrombocytémie essentielle, leucémie
       myélomonocytaire chronique),
    – syndrome lymphoprolifératif : lymphome (maldie de Hodgkin ou lymphome non hodgkinien), leucémie lymphoïde chronique, leucémie à tricholeucocytes,
       leucémie aiguë  
Pathologie inflammatoire : polyarthrite inflammatoire, syndrome de Felty, lupus, sarcoïdose, maladie périodique  
Divers : métastase de tumeur solide, traumatismes, kystes, hémangiome, maladie de surcharge (maladie de Gaucher ou de Niemann-Pick)  

4 . 1  -  Démarche clinique initiale

L’interrogatoire doit faire préciser : l’âge du patient, l’histoire familiale et les notions d’éthylisme, de séjours en pays d’endémie parasitaire (paludisme, leishmaniose), de facteurs de risque pour le virus de l’immunodéficience humaine (VIH).

On recherchera successivement :

  • un état infectieux (fièvre, frissons) qui est la première étape du diagnostic étiologique ;
  • des signes d’hypertension portale : hépatomégalie, ascite, circulation veineuse collatérale ;
  • la présence d’une ou plusieurs adénopathies périphériques, qui orientent vers une virose (mononucléose infectieuse [MNI]), une sarcoïdose ou une hémopathie maligne (leucémie aiguë, leucémie lymphoïde chronique, lymphome de Hodgkin ou non hodgkinien) ;
  • un ictère qui oriente vers une hépatopathie ou une hémolyse. Toutes les formes d’hémolyse, acquises ou congénitales, dont le siège de destruction érythrocytaire est extravasculaire, s’accompagnent d’une splénomégalie ;
  • l’examen des téguments est parfois utile (purpura et/ou leucémides des hémopathies, angine pseudomembraneuse de la MNI, vascularite lupique, papules des mastocytoses).


Il faut cependant avoir à l’esprit que les hémopathies malignes peuvent être fébriles (leucémies aiguës, lymphomes), de même que certaines maladies systémiques (lupus, maladie de Still), et que le syndrome de Felty (arthrite rhumatoïde, splénomégalie, neutropénie sévère) est parfois révélé par des épisodes infectieux répétés.

4 . 2  -  Prescription d’examens complémentaires

Les examens biologiques de première intention sont :

  • un hémogramme avec numération des réticulocytes, étude morphologique des globules rouges, et un test de Coombs direct ;
  • une étude de la fonction hépatique (gGT, transaminases, phosphatases alcalines, taux de prothrombine, électrophorèse des protides [qui précisera aussi l’existence d’un éventuel composant monoclonal dans le cadre d’un syndrome lymphopro-lifératif]) ;
  • une recherche d’hémolyse (bilirubine totale et libre, haptoglobine) ;
  • la recherche d’un syndrome inflammatoire (fibrinogène, CRP).


Selon les circonstances, la réalisation d’hémocultures ou une recherche d’infestation paludéenne sera effectuée d’emblée.

4 . 3  -  Ce que l’hémogramme peut apporter

Anomalies de l’hémogramme liées à l’hypersplénisme

L’hypersplénisme est une manifestation pathologique liée à l’augmentation de volume de la rate, indépendamment de la cause de la splénomégalie, qui associe :

  • une ou plusieurs cytopénies de séquestration, à des degrés variables ;
  • une hémodilution : inconstante bien que plus ou moins proportionnelle au volume splénique, elle dépend de l’étiologie de la splénomégalie mais n’est pas spécifique de la splénomégalie. Elle est en rapport avec l’augmentation du débit sanguin qui traverse la rate, l’hypertension portale avec augmentation de l’espace vasculaire portal, et la stimulation du système rénine-angiotensine.


Les anomalies de l’hémogramme liées à l’hypersplénisme sont reportées dans le tableau 3.

Autres anomalies de l’hémogramme pouvant conforter ou orienter le diagnostic étiologique


  • Une modification du nombre des leucocytes : polynucléose neutrophile suggérant une infection bactérienne, leucopénie évoquant une infection virale, une fièvre typhoïde ou une brucellose (savoir prescrire les sérodiagnostics adaptés), hyperleucocytose avec lymphocytose et nombreux lymphocytes stimulés qui, dans un contexte d’angine avec adénopathie fébrile, fait soupçonner un syndrome mononucléosique chez un sujet jeune.
  • Une macrocytose isolée ou une anémie macrocytaire (non régénérative) orientera vers une hépatopathie, plus rarement vers une hémopathie (les anomalies des leucocytes et des plaquettes sont alors souvent patentes).
  • Une anémie régénérative (réticulocytes > 150 G/L) oriente vers une hémolyse constitutionnelle (quelle est la morphologie érythrocytaire sur frottis ?) ou acquise (le résultat du test de Coombs direct est indispensable).
  • Une thrombopénie est souvent liée à l’hypersplénisme, mais parfois à d’autres circonstances (infection, lupus…) ou à une hémopathie.
  • Une hémoglobine augmentée, ou une franche hyperleucocytose avec polynucléose neutrophile et myélémie, ou une hyperplaquettose chronique, ou une érythromyélémie avec hématies en larme (dacryocytes), vont orienter vers l’un des syndromes myéloprolifératifs.
  • Une hyperlymphocytose chronique (> 4 G/L) chez un adulte au-delà de 40–50 ans orientera vers un syndrome lymphoprolifératif (l’immunophénotype des lymphocytes du sang permettra de préciser le diagnostic du syndrome lymphoprolifératif en cause).
  • La présence de cytopénies et de cellules anormales (blastes, tricholeucocytes) conduiront à proposer un examen de la moelle osseuse : ponction médullaire et myélogramme pour rechercher une leucémie aiguë ou un syndrome myélodysplasique, biopsie ostéomédullaire pour la leucémie à tricholeucocytes.


Remarque
: dans la tuberculose des organes hématopoïétiques, on peut observer une pancytopénie (sans cellules anormales circulantes).

Tableau 3. Anomalies de l’hémogramme liées à l’hypersplénisme
Cytopénies de séquestration :  
     – thrombopénie : fréquente, habituellement sans manifestation hémorragique, pouvant descendre jusqu’à 50 G/L lorsque le volume splénique est élevé,
       mais sans proportionnalité absolue
     – leucopénie globale (2–4 G/L) ou neutropénie (moins fréquentes)
     – parfois une anémie, habituellement modérée avec une petite composante hémolytique de stase (réticulocytes : 100–180 G/L) ; une volumineuse   
       splénomégalie peut séquestrer 25 % de la masse sanguine totale  
     Remarque : une splénomégalie importante peut diminuer l’efficacité des transfusions sanguines, surtout des plaquettes.  
Hémodilution :  
     – fausse anémie : masse globulaire totale inchangée alors que le volume plasmatique total est augmenté
     – majoration d’une anémie préexistante, justifiant dans les cas extrêmes une mesure isotopique de la masse globulaire et plasmatique  
     Remarque : on observe aussi une hémodilution de manière physiologique lors de la grossesse, dans certaines insuffisances cardiaques et quand il existe      une forte quantité d’immunoglobuline monoclonale sérique.  

4 . 4  -  Autres examens à prescrire dans un second temps, et séquentiellement

Une radiographie pulmonaire voire une endoscopie Å“sogastrique (recherche de varices Å“sophagiennes) seront prescrites, selon les situations.

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