- Pré-requis et Objectifs
- Cours
- Evaluations
- Annexes
La démence est la plus grave des transformations qui atteignent l'être humain vieillissant.
Le syndrome démentiel se définit comme étant une détérioration globale des fonctions cognitives chez une personne ayant un état de conscience normal. La survenue et l'évolution sont progressives. Les troubles sont irréversibles. Un syndrome démentiel correspond à la période d'état de pathologies multiples ayant des évolutions précliniques de durées inconnues.
Les causes des syndromes démentiels sont dominées par les maladies neurologiques dégénératives dont la principale est la maladie d'Alzheimer. L'apparition de traitements actifs dans cette affection justifie que l'on préconise un diagnostic précoce. Une stratégie intelligente de prise en charge limite les risques d'évolution catastrophique du malade mais aussi de son entourage. Les aspects sociaux, sociologiques, psychologiques et médico-légaux font partie de la prise en charge. La démence est le problème majeur de santé publique en gériatrie.
La maladie d'Alzheimer (MA) représente 60 % des causes de démence en Europe. Elle a été décrite sur le plan clinique et histologique par Aloïs Alzheimer en 1906.
Elle est caractérisée par une perte neuronale prédominant dans le cortex temporal et l'hippocampe, des dégénérescence neurofibrillaires et des plaques séniles en grand nombre. Les unes sont principalement formées de protéines tau anormalement phoshorylées et les autres de la protéine amyloïde insoluble.
L'acétylcholine est le neuromédiateur le plus diminué dans la MA. Les médicaments récents disponibles visent à maintenir le taux d'acétylcholine résiduel en inhibant l'enzyme de dégradation, l'acétylcho- linestérase. A l'inverse les médicaments ayant un effet anticholinergique, aggravent ou révèlent sous la forme d'un état confusionnel, la symptomatologie de la MA.
Les facteurs de risque
Les mécanismes intimes de la MA sont encore inconnus. Parmi les facteurs de risque, le plus important est l’âge. Le second facteur est l’existence d’antécédents familiaux de la maladie. Deux mécanismes participent à la plus grande fréquence de la maladie d’Alzheimer dans certains familles : d’une part l’existence de mutations portant sur le gène de la préséniline 1, de la préséniline 2 et d’autre part des mutations sur le gène de l’APP (amyloid pro tein precursor). La présence du génotype 4 de l'apolipoprotéine E est un facteur de risque puissant au niveau d’une population mais il ne peut être considéré comme un argument diagnostique individuel. Les facteurs biographiques et environnementaux existent aussi. D’autres facteurs de risque ont été décrits tels qu’un faible niveau socioculturel, des antécédents psychiatriques en particulier dépressifs, un traumatisme crânien, l’aluminium. A l’inverse, certains facteurs protecteurs sont suggérés tels qu’un traitement par anti -inflammatoires non stéroidiens , par anti-oxydants, par oestrogènes. Par ailleurs, une consommation modérée de vin a été associée à une plus faible incidence de la MA dans l’étude Paquid. Les personnes inquiètes et les familles sont à l'affût de ces informations publiées par les médias. Le médecin doit en faire la lecture critique et donner les commentaires adaptés.
Démarche diagnostique au stade débutant ou modéré
Aux stades de début et modéré, la maladie d'Alzheimer est caractérisée par l'installation de troubles intellectuels portant sur la mémoire, les fonctions exécutives, le langage, la cognition, les praxiesDéfinitionCapacité d’exécuter sur ordre des gestes orientés vers un but déterminé alors que les mécanismes d’exécution sont conservés. Mouvement coordonné normalement vers un but suggéré. Autrement dit il s’agit de la coordination de l’activité gestuelle, résultat d’une activité des centres nerveux supérieurs dépendant de l’action qui s’exerce sur le corps ou sur le monde environnant et les objets qui lui appartiennent.. Différents signes doivent alerter l’attention du médecin et per- mettre de suspecter une maladie d’Alzheimer. Les manifestations les plus pré- coces et les plus fréquentes sont des troubles de mémoire portant sur les faits récents (détails de la vie quotidienne, emplacement d’objets, nom de personnes peu familières), puis les faits anciens (personnages connus, dates historiques, dates d’anniversaires des enfants, du mariage, de naissance) et des modifications du comportement (perte d’initiative, apathie, symptômes dépressifs) qui s’accompagnent d’un retentissement sur les activités de vie quotidienne.
Au fur et à mesure, s'ajoutent :
• une désorientation temporo - spatiale, le premier signe qui doit faire penser à la maladie d’Alzheimer est la désorientation dans le temps. Elle se traduit par une difficulté à retenir la date du jour. La désorientation dans l’espace est habituellement plus tardive mais aussi plus spécifique. Elle se traduit au début par des difficultés à fixer le nom des
lieux où se trouve le patient lorsqu’ils lui sont inhabituels. A un stade plus avancé, l’interrogatoire de l’entourage peut révéler des difficultés à s’orienter dans un lieu non familier au patient (par exemple, dans une grande surface, ou lors d’un trajet en voiture inhabituel).
• des troubles des fonctions exécutives font appel à la capacité du patient à organiser et réaliser une tâche cognitive plus ou moins complexe nécessitant un plan de travail.
Dans la vie quotidienne, ces troubles exécutifs se traduisent par exemple par des difficultés à remplir correctement sa déclaration d’impôts ou bien à planifier un trajet nécessitant plusieurs correspondances à partir d’un plan du métro.
• des troubles du langage caractérisés au début par l’oubli des mots ou aphasieDéfinitionL'aphasie, parfois appelé mutisme dans le langage populaire, est une pathologie du système nerveux central, due à une lésion caractéristique d'une aire cérébrale. Le mot aphasie vient du grec phasis (parole) et signifie « sans parole. Ce terme a été créé en 1864 par Armand Trousseau. Depuis cette époque, le mot a pris du sens, en désignant un trouble du langage affectant l'expression ou la compréhension du langage parlé ou écrit survenant en dehors de tout déficit sensoriel ou de dysfonctionnement de l'appareil phonatoire. amnésique.
• des troubles praxiques (difficultés d’utilisation d’appareils ménagers).
• des troubles gnosiques marqués initialement par des difficultés à reconnaître des symboles abstraits tels que des logos ou des panneaux routiers, puis des personnes ou des objets peu familiers.
Il n'y a pas d'atteinte de la vigilance et de la motricité. Il peut exister des troubles affectifs ou du comportement associés à la démence : troubles de l'humeur sous la forme d'un changement de caractère, d'épisodes d'agressivité ou de dépression, de jalousie, d'idées de persécution, de passivité. Les hallucinations sont rares.
L'évaluation des fonctions mentales se fait dans un premier temps en recueillant les éléments évoqués ci-dessus. Habituellement le malade se plaint moins que son entourage, ce qui témoigne d'une anosognosieDéfinitionEn médecine, l’anosognosie est considérée comme un trouble neuropsychologique. Elle désigne la méconnaissance par l’individu de sa maladie ; de son état, même grave ; de la perte de capacité fonctionnelle dont il est atteint, particulièrement, dans le cas d'affections comme la cécité, l'hémiplégie, ou le membre fantôme..
Le diagnostic repose essentiellement sur la reconstitution de l'apparition des troubles, par l'interrogatoire du malade et des proches.
Evaluation standardisée
Une première évaluation standardisée globale des fonctions cognitives peut être faite par le test de Folstein ou Mini Mental State Examination (MMSE) dont la passation dure une dizaine de minutes. C'est un test de dépistage accessible à tout praticien. Le score de 24/30 constitue le seuil devant faire suspecter une atteinte déficitaire. L'interprétation du score au MMSE doit être prudente. En effet, un haut niveau d'éducation, permet de maintenir un score supérieur au seuil tout en ayant une atteinte pathologique évidente. A l'inverse, un faible niveau intellectuel, désavantage certaines personnes et crée de faux positifs. Rappelons enfin que lors d'un état confusionnel (exemple : imprégnation éthylique aiguë chez un sujet jeune), il y a des chances que le score de Folstein soit inférieur à 24 !
Pour un même malade, le MMSE permet un suivi comparatif. En cas de maladie d'Alzheimer, on observe une perte moyenne de trois points par année.
L'existence de symptômes évocateurs d'installation progressive et un score de MMSE inférieur à 24, font évoquer un syndrome démentiel. Il serait cependant abusif et dangereux sur ces seuls éléments de conclure à ce stade à ce diagnostic et encore plus de spécifier qu'il s'agit d'un Alzheimer.
En pratique, certaines épreuves simples peuvent être proposées comme :
• résoudre un problème d’arithmétique simple (Vous achetez 7 enveloppes à 20 centimes. Vous payez avec une pièce de 5 F. Combien doit- on vous rendre ?).
• faire une épreuve de fluence verbale. On demande au patient de dire en 1 minute des noms d’animaux (fluence verbale catégorielle) ou des mots communs débutant par la lettre M (fluence verbale alphabétique ou littérale) qu’il connaît. Une fluence verbale inférieure à 15 pour les noms d’animaux, ou inférieure à 10 pour les mots débutant par la lettre M, est suspecte.
Parmi les troubles praxiques, l’apraxie constructiveDéfinitionL'apraxie constructive est un trouble visuo-spatial qui se traduit par une difficulté à définir les relations des objets entre eux. Elle est souvent associée à une aphasie de Wernicke. est plus précoce. Une des épreuves les plus sensibles pour la mettre en évidence est le test de l’horloge. On demande au patient de dessiner le cadran d’une horloge d’indiquer sur ce cadran toutes les heures, puis la petite et la grande aiguille qui marquent 16 heures 45. Les premières perturba- tions à cette épreuve sont des erreurs de positions des chiffres de l’horloge, une confusion entre la petite et la grande aiguille, et une erreur de position de la petite aiguille (qui doit être plus proche de 5h que de 4h). L’apraxie constructive peut être également mise en évidence en demandant au patient de dessiner un cube en perspective. Cette épreuve est cependant moins sensible que ne l’est le test de l’horloge, et sa réalisation dépend du niveau culturel du patient.
Diagnostic
Ces tests doivent être complétés par une évaluation multidimensionnelle qui permet de faire le diagnostic de la maladie d’Alzheimer et de définir les orientations thérapeutiques. Cette évaluation pourra avoir lieu dans un centre expert, par exemple dans le cadre d’un hôpital de jour, et comportera :
• Une anamnèse recueillie auprès du patient et de son entourage. Il est également important de connaître les médicaments ingérés par le patient. Des questionnaires sont remplis par le patient et l’entourage pour préciser l’intensité et les répercussions des troubles de mémoire. Par ailleurs, la famille remplit un questionnaire évaluant le retentissement sur les activités de vie quotidienne qui comportent d’une part les activités de base (toilette, repas...), d’autre part les activités plus complexes (prendre les médicaments, les transports en commun, gérer ses finances, etc...).
• Un examen somatique en particulier neurologique qui ne montre rien en dehors de signes qui seraient liés à d'autres pathologies
• Un entretien psychologique ou psychiatrique est indispensable afin de préciser la personnalité du patient, le contexte familial et environnemental. Il permet de préciser l’exis- tence de pathologies psychiatriques antérieures éventuelles, ainsi que les éventuels signes psychiatriques actuels.
• L’évaluation psychométrique permet de confirmer et de qualifier les troubles. Elle dure 1h30 à 2 h. et est réalisée par des médecins ou des psychologues expérimentés. Il existe une grande quantité de tests qui permettent d'explorer de façon approfondie la mémoire, le langage, les gnosies, les praxies gestuelles et constructives, les fonctions exécutives. L’évaluation comportera des épreuves de mémoire verbale test de Grober et Buschke - tableau 4), de mémoire visuelle (reproduction de la figure de Rey, test de Benton), de mémoire associative (épreuve des mots couplés de Weschler), de mémoire logique (épreuve du récit de Weschler), ainsi que des érreuves appréciant les fonctions exécutives (Trail Making Test , épreuve de barrage, test de Stroop, test des cubes de la WAIS).
Lors de l’évaluation neuropsychologique, le patient doit porter ses lunettes et ses prothèses auditives si besoin. Le niveau socioculturel du patient doit être connu pour inter-préter les résultats des tests neuropsychologiques.
• Des examens biologiques (Numération Formule Sanguine,CRP, ionogramme sanguin, glycémie à jeûn, bilan hépatique, dosage de TSH, de calcémie, de vitamine B12, des folates voire gaz du sang selon le contexte.) vérifient l’absence de facteurs somatiques, en particulier dysthyroïdie, anémie significative, syndrome d'apnée du sommeil, hyperparathyroïdisme susceptibles de participer aux troubles cognitifs.
• Un examen tomodensitométrique cérébral, voire une imagerie par résonance magnétique en cas de doute sur l’existence de lésions vasculaires permet d’éliminer des
causes de démence “curable” (hématome sous-dural, hydrocéphalie à pression normale, tumeur cérébrale). L’existence d’une atrophie hippocampique est un bon signe en faveur de la maladie d’Alzheimer.
• En fonction du contexte, certains examens pourront être demandés : sérologies syphilitiques et VIH, ponction lombaire permettant une analyse du LCR lorsqu’une affection systémique inflammatoire et/ou dysimmunitaire est suspectée, EEG lorsque le tableau est atypique.
• La tomoscintigraphie d’émission monophotonique (SPECT) permet d’étudier le débit sanguin cérébral. Un hypodébit pariétal ou bipariétotemporal est fortement évocateur
d’une MA. Ses indications sont du domaine du spécialiste. La tomographie par émission de positons (PET) a une précision topographique supérieure à celle du SPECT et permet une mesure absolue du métabolisme cérébral. Elle reste limitée au domaine de la recherche. La spectroscopie par résonance magnétique fait également l’objet de travaux de recherche.
Ce test permet de différencier un trouble de l'évocation d'un déficit de l'encodage. Dans la maladie d'Alzheimer, les déficits mnésiques portent non seulement sur les mécanismes de rappel de l'information comme dans les troubles bénins du sujet âgé ou les dépressions mais également sur les mécanismes d'encodage. Les processus de facilitation du rappel n'améliorent que peu ou pas les performances mnésiques. L'indiçage consiste à donner un indice généralement la catégorie sémantique à laquelle appartient le mot que le patient doit retrouver. Par exemple, quel est le nom de la fleur si l'item cible est une jonquille. Le fait que le patient retrouve le mot après indiçage montre que ce dernier a bien été encodé et stocké. Ceci oriente vers un trouble de l'évocation ou trouble de l'accès au stock mnésique survenant au cours des états dépressifs. L'absence d'amélioration du rappel en indiçage évoque un déficit d'encodage caractéristique d'une maladie d'Alzheimer. Par ailleurs, la présence d'intrusions (le patient cite d'autres mots appartenant à la catégorie sémantique : par exemple tulipe, rose) est également en faveur d'une maladie d'Alzheimer. Le patient peut également bénéficier d'une épreuve de reconnaissance. Une liste de mots parmi lesquels figurent les mots présentés initialement ainsi que des mots nouveaux est présentée au patient. La reconnaissance correcte des mots cible témoigne d'une difficulté d'évocation et non d'un trouble de l'encodage. La production de reconnaissances erronées (le patient croit reconnaître un item cible alors qu'il s'agit d'un mot distracteur) ou de fausses reconnaissances est en faveur d'une maladie d'Alzheimer. |
Le diagnostic de maladie d’Alzheimer est fait selon les critères du DSM IV (tableau 5). L'utilisation des critères définis par le National Institute of Neurological Disorders and Stro k e (NINCDS) et l'Alzheimer Disease and Related Disorders Association (ADRDA) permet de retenir le diagnostic de maladie d'Alzheimer possible ou probable avec une probabilité comprise entre 90 et 95% (tableau 6).
L’évaluation doit également prendre en compte les aspects somatiques, psychologiques, fonctionnels et sociaux chez la personne âgée. L'étape suivante consiste à évaluer les modalités évolutives de la maladie et à apprécier les capacités épargnées qui doivent être mises en valeur afin de retarder l'évolution des troubles. Elle permet d’évaluer le stade (léger, modéré ou sévère) de la maladie. Il est également important d’apprécier l'impact de la maladie sur la vie affective et relationnelle du patient.
Cette évaluation, qui s'aide notamment de tests psychométriques et des échelles d'évaluation, est faite régulièrement pour guider la prise en charge à chaque étape de la maladie.
Possible
Syndrome démentiel isolé Troubles cognitifs progressifs Peut être associé à une autre affection systémique ou cérébrale Probable Syndrome démentiel cliniquement confirmé Aggravation progressive dans au moins deux domaines cognitifs Perturbation des activités de la vie quotidienne et troubles du comportement Absence d'autre affection systémique ou cérébrale Certaine Probable, plus preuve histologique (biopsie ou autopsie) |