2  -  Les prédispositions aux cancers identifiées en 2010


En près de 25 ans, plus de 70 gènes de prédisposition aux cancers ont été identifiés (tableau 1) et http://www.sanger.ac.uk/genetics/CGP/Census/..

Ils correspondent dans leur majorité aux situations de prédisposition les plus simples à mettre en évidence, la partie émergée d’un iceberg que représenterait l’ensemble des prédispositions aux cancers. Il s’agit de prédispositions transmises selon un modèle mendélien, dominant ou récessif, et associées à un risque tumoral souvent élevé. En effet, il s’agit soit (1) de prédispositions transmises selon le mode dominant et associées à un risque tumoral élevé et conduisant alors souvent à une concentration familiale de cancers, soit (2) de syndromes dont les manifestations désignent la prédisposition. Les archétypes de ces maladies en sont les hamartomatoses et les maladies cassantes des chromosomes.

Les gènes de ces deux groupes de prédisposition ont été identifiés dans la majorité des cas par des études de liaison génétique puis clonage positionnel, ou parfois par des approches gènes candidats. L’un des grands succès des approches de liaison est l’identification des gènes de prédisposition aux cancers du sein et de l’ovaire, BRCA1 et BRCA2. Les études d’épidémiologie génétique ont examiné la répartition des cancers du sein et les âges au diagnostic dans les familles de femmes atteintes de cancer du sein. Ces études ont retenu un modèle dominant avec des valeurs de fréquence génique et de pénétrance [10]. La réunion d’une trentaine de familles sélectionnées et la prise en compte ces études a permis à Mary-Claire King en 1990 de localiser BRCA1 en 17q21 [11]. Puis, dans le cadre d’un consortium de laboratoires, la position du gène recherché a pu être finement précisée et a conduit à son identification [12], [13]. Un succès très élégant de l’approche gène-candidat est l’identification des gènes hMLH1, hMSH2 et hMSH6 dont les altérations sont associées à un risque élevé de cancer du côlon et de l’endomètre. En effet, alors qu’étaient recherchées par une approche de perte d’hétérozygotie des régions du génome perdues de façon récurrente dans des adénocarcinomes du côlon de personnes s’inscrivant dans un syndrome de Lynch, régions qui auraient alors été candidates pour abriter le ou les gènes responsables, il a été mis en évidence dans ces tumeurs non pas des pertes d’allèle mais l’apparition de néo-allèles, évoquant un défaut de réparation d’erreurs de réplication de l’ADN (phénotype MSI, ou MicroSatellite Instability). Ces néo-allèles étaient très semblables à ce qui était observé chez certaines bactéries. Les homologues humains des gènes altérés chez ces bactéries, en l’occurrence hMLH1, hMSH2 et hMSH6, ont été identifiés et des mutations constitutionnelles de ces gènes mises en évidence (pour revue [14]).

Certains gènes de prédisposition aux cancers sont des gènes impliqués dans le développement de l’embryon et du fÅ“tus. Les mêmes mutations conduisent à la fois à une anomalie du développement et à un risque de cancer. Parfois il s’agit de mutations activatrices dans un cas et inactivatrices dans l’autre (mutations activatrices de RET et néoplasies endocriniennes de type 2 ; mutations inactivatrices et maladie de Hirschsprung) [15] ; parfois il s’agit de la même mutation (mutations HRAS, risque de rhabdomyosarcome et syndrome de Costello)[16]. Des mutations constitutionnelles activatrices d'oncogènes "puissants" en tests in vitro, comme HRAS, sont ainsi - et de façon surprenante - viables. Cela souligne que la transformation tumorale est liée à de multiples évènements génétiques. Des mutations dans différents gènes d’une même voie de transduction du signal mitotique (gènes PTCH, SUFU, GLI3 dont les mutations inactivatrices sont impliquées respectivement dans le syndrome de Gorlin conjuguant epithelioma basocellulaires et risque de médulloblastome, médulloblastome, syndromes de Greig et de Pallister-Hall caractérisés par des anomalies du développement cérébral et des syndactylies) (pour revues, [17]). De la même façon, les gènes de la cascade des TGF-? sont impliqués à la fois dans des anomalies vasculaires et des tumeurs digestives [18]. Une autre voie passionnante mérite d’être mentionnée : celle du facteur HIF-1 (Hypoxemia Induced Factor-1). Il s’agit d’un gène clé de l’induction de l’angiogénèse en réponse à l'hypoxie, et dont l’expression est finement régulée par différents gènes dont le gène VHL à l’origine de la maladie de von Hippel Lindau. D’autres gènes du cycle de Krebs (le redox conditionnant l'activation de HIF-1) ont été récemment impliqués dans les prédispositions aux cancers : gènes des sous-unités de la succinate déshydrogénase, gène de la fumarate hydratase (FH) dont les altérations monoalléliques sont associées respectivement à un risque de paragangliome et de cancer du rein. A l’état homozygote (biallélique) ou hétérozygote composite (deux mutations monoalléliques différentes et en trans), ces altérations sont responsables d’anomalies graves du métabolisme et de troubles neurologiques (pour revue [19]).

Jusqu’à l’identification des gènes hMLH1 et hMSH2 dans le syndrome de Lynch, on pensait que les prédispositions aux cancers associées à une anomalie de la réparation de l’ADN ne concernaient que des enfants atteints de maladies rares transmises selon le mode récessif et caractérisées le plus souvent par des anomalies chromosomiques acquises et spécifiques. Il s’agit principalement de l’ataxie télangiectasie, de la maladie de Fanconi et du syndrome de Bloom. Aujourd’hui, on peut retenir qu’avec les prédispositions aux cancers du côlon dans le cadre du syndrome de Lynch ainsi que dans le cadre de la polypose atténuée liée aux mutations bialléliques de MYH et les prédispositions aux cancers du sein et de l’ovaire avec les mutations BRCA1 et BRCA2, la majorité des formes héréditaires de cancers sont liées à des anomalies de réparation de l’ADN.

Il est difficile de faire une présentation synthétique et exhaustive de l’ensemble des prédispositions aux cancers identifiées en 2010 : faut-il retenir une présentation par gène, par type de mutation (activatrices, inactivatrices), par la voie cellulaire dans laquelle il est impliqué, par le mode de transmission de la prédisposition (dominant, récessif), par maladie prédisposante, par localisation tumorale. Les connaissances récentes viennent compliquer toute tentative de présentation simple : en effet, les mêmes gènes peuvent conduire à des pathologies bien différentes selon que les altérations constitutionnelles sont mono ou bi-alléliques. L’archétype est représenté par les altérations de BRCA2 à l’origine d’un risque élevé de cancer du sein en cas d’altération mono-allélique ou d’une maladie de Fanconi en cas d’altération bi-allélique [20]. De la même façon, des altérations bi-alléliques des gènes hMSH2 et hMLH1 sont à l’origine de risque de tumeurs cérébrales et d’hémopathies extrêmement évolutives et sont donc loin du tableau familial classique du syndrome HNPCC associé à une altération mono-allélique [21]. De plus, l’appartenance à la catégorie gène suppresseur de tumeur ou à celle des gènes de stabilité du génome n’est plus exclusive. A titre d’exemple : le gène APC est impliqué dans la voie Wnt de transduction du signal mitogène et dans la ségrégation des chromosomes lors de la mitose [22].

Nous avons choisi une présentation par groupe de gènes (gènes suppresseurs de tumeur, gènes oncogènes, gènes de stabilité du génome). Nous avons mentionné le caractère dominant ou récessif de la prédisposition. Nous nous sommes largement inspirés du tableau de la revue de Vogelstein et Kinzler [3] que nous avons complété avec les données publiées sur le site du Cancer Genome Project (http://www.sanger.ac.uk/genetics/CGP/Census/). On peut se référer pour une présentation plus clinique à l’article de revue de Garber et Offit [23] et enfin à la deuxième édition du memento du Journal of National Cancer Institute sur les prédispositions aux cancers [24].

Reprenant la métaphore de l’iceberg, il est clair que l’essentiel des facteurs de prédisposition aux cancers, constitué par sa partie immergée, n’est pas identifié. Les dix ou vingt prochaines années du développement de l’oncogénétique seront celles de la compréhension des situations de prédispositions complexes, car multigéniques et faisant intervenir l’environnement. Nous en discuterons au § 4.

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