3  -  Évaluation clinique


La première phase de l’évaluation d’un retard statural est l’évaluation de la croissance staturo-pondérale qui doit être reportée sur une courbe adaptée à la population et, si possible, mise à jour. En France, les courbes « actualisées » sont celles de Sempe et datent de la fin des années 1970. La taille adulte moyenne de 163,3 cm chez les femmes et de 174,5 cm chez les hommes permet aisément de les différencier des versions précédentes. Ces courbes sont clairement en dessous de la taille actuelle de la population, et les normes plus récentes, bien que n’ayant pas valeur de courbes de référence, sont environ 3 à 4 cm au-dessus tout au long de l’enfance. Cette différence correspond approximativement à 0,5 DS (déviation standard). Par définition, le retard statural désigne un enfant dont la taille est inférieure à – 2 DS, ce qui concerne statistiquement 2,5 % des enfants si on fait abstraction des problèmes de normes. Ce critère doit être complété par l’analyse de la courbe staturale. La sévérité du retard statural est un critère à considérer et, par exemple, une taille inférieure à – 3 DS concerne statistiquement un enfant sur 1 000 et constitue un motif d’exploration, même isolément.

A. Taille cible

La taille cible décrit le potentiel statural génétique de l’individu, du fait de la forte héritabilité de la taille (> 80 % de la variance). Plusieurs formules sont disponibles pour la calculer. La plus populaire est la formule de Tanner : (P+M)/2 ±6,5, selon qu’il s’agit d’une fille (– 6,5) ou d’un garçon (+ 6,5), avec P la taille du père en cm et M la taille de la mère en cm. Cette formule est fausse pour la population française où la différence entre hommes et femmes est de 12 cm et non de 13 et tend à surestimer la taille cible des garçons et à sous-estimer celle des filles. Nous préférons le calcul de la taille moyenne des parents en DS : (P(DS) + M(DS))/2 ; la taille des parents en DS peut être facilement calculée graphiquement sur la courbe de croissance du sexe correspondant.

Quelle que soit la méthode employée, il est important de comprendre la signification de la taille cible, qui est une mesure statistique du potentiel de croissance d’un individu. Les études de populations indiquent que la taille adulte de 95 % des enfants se situe à ± 1,5 DS de leur taille cible, ce qui signifie qu’une taille adulte à – 2 DS est « normale » pour un enfant dont la taille cible est à – 0,5 DS. Bien que non totalement validé, on peut faire le même raisonnement dans l’enfance et considérer comme anormale une croissance inférieure à – 1,5 DS au-dessous de la taille cible.

B. Courbe de croissance

L’allure de la courbe de croissance est importante et les données du carnet de santé permettent en général de retracer le parcours de croissance staturo-pondérale depuis l’enfance. Schématiquement, il faut distinguer les courbes d’allure régulière et les courbes qui marquent un infléchissement ou une cassure (figure 5.1). Entre ces deux extrêmes, il y a peu de données permettant de définir scientifiquement les seuils d’anomalie de la variation de la taille en DS. Ce seuil dépend de l’intervalle de temps considéré (plus l’intervalle est grand, plus une variation importante peut être considérée comme physiologique) et de l’âge de l’enfant (plus grande variabilité chez les enfants plus jeunes).

Fig. 5.1. Courbes de croissance infléchies
a – Craniopharyngiome révélé à l’âge de 15 ans par des troubles visuels. L’infléchissement s’amorce vers l’âge de 5 ans avec une vitesse de croissance qui s’effondre vers l’âge de 9 ans.
Fig. 5.1. Courbes de croissance infléchies
b – Hypothyroïdie par thyroïdite de Hashimoto. À noter, une taille de naissance abaissée (petite taille familiale) et un ralentissement de la croissance dès l’âge de 8 ans, avec un retard de maturation osseuse modéré (2 ans).

Il est également important de mesurer la vitesse de croissance et de l’interpréter en fonction des normes pour l’âge. Il faut noter que la vitesse de croissance est très variable avec l’âge et décrit la classique courbe à deux bosses. La vitesse de croissance diminue physiologiquement avec l’âge jusqu’à la puberté. À noter qu’une croissance régulière sur la courbe – 2 DS correspond à une vitesse de croissance modérément diminuée (– 1 DS), et qu’une vitesse de croissance inférieure à – 2 DS est considérée comme pathologique. Dans tous les cas, une vitesse de croissance inférieure à 3,5 cm/ an doit être considérée comme abaissée.

Les caractéristiques à la naissance doivent êtres notées : durée de la grossesse, développement in utero, notion de retard de croissance intra-utérin, poids et taille de naissance, à exprimer en DS pour l’âge gestationnel.

C. Courbe de poids

L’analyse de la courbe de poids est importante et permet de déterminer l’existence d’un excès ou d’un déficit pondéral, en comparant la taille et le poids en DS et en calculant le poids théorique pour la taille (poids moyen correspondant à l’« âge statural »). De façon simple, un poids insuffisant pour la taille ou un ralentissement pondéral précédant celui de la taille orientent vers une cause nutritionnelle ou digestive ; un excès pondéral s’accompagne en principe d’une accélération staturale et donc l’association d’un excès pondéral à un ralentissement de la croissance orientent vers un hypercorticisme ou vers un hypopituitarisme.

D. Interrogatoire

L’interrogatoire doit analyser les antécédents (période néonatale, antécédents médicaux, prise médicamenteuse, etc.) et les étapes du développement neurocognitif. L’analyse auxologique doit être complétée par un examen clinique complet, dont nous ne détaillerons pas les éléments mais qui doit rechercher des signes associés aux différentes étiologies possibles de retard statural.

Les éléments à ne pas oublier nous paraissent être :

  • l’analyse du morphotype (hypopituitarisme, syndrome dysmorphique, aspect des mains, etc.) ;
  • l’analyse du développement pubertaire, à coter selon la classification de Tanner ;
  • l’examen de tous les systèmes ;
  • l’analyse du contexte psychoaffectif et du retentissement psychologique de la petite taille, toujours difficile en l’absence d’outil standardisé.


La mesure de la taille assise peut être utile pour quantifier le développement segmentaire.

Il faudra compléter l’analyse auxologique par l’établissement d’un arbre généalogique étendu, comportant les poids et tailles ainsi que des informations sur l’âge du développement pubertaire (premières règles chez les femmes, notion de retard pubertaire chez les hommes).

La détermination de l’âge osseux fait traditionnellement partie de la consultation pour retard statural. Elle est en pratique peu déterminante dans la démarche diagnostique, en dehors de la période péripubertaire. Il faut connaître la variabilité normale de l’âge osseux par rapport à l’âge chronologique (extrêmes de l’ordre de ± 18 mois) et la grande variabilité de la mesure (âge osseux à lire par le pédiatre endocrinologue). Un retard osseux majeur peut être le marqueur d’une cause organique de retard statural (grande dénutrition, déficit endocrinien) mais s’observe aussi chez les enfants nés petits pour l’âge gestationnel où elle est faussement rassurante. L’âge osseux peut permettre de calculer un pronostic de taille adulte, particulièrement imprécis avant des âges osseux de l’ordre de 10-11 ans chez la fille, et 12-13 ans chez le garçon. Même à ce stade, si les performances moyennes sont satisfaisantes dans le cadre d’essais cliniques, l’erreur de prédiction individuelle (intervalle de confiance à 95 % de l’ordre de ±6 cm) est importante.

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