Les lipides contribuent à l’architecture membranaire. La bicouche lipidique est essentiellement constituée de lipides complexes dont 70 à 90 % sont représentés par des phospholipides. Le cholestérol est égale¬ment un élément constitutif important. L’abondance respective du cholestérol et des phospholipides et la composition en AG des phospholipides contribuent à moduler la fluidité des membranes et interagissent avec les protéines membranaires à activité biologique telles que les enzymes, les transporteurs membranaires et les récepteurs hormonaux. Une augmentation de l’activité et/ou du nombre de transporteurs de glucose et de récepteurs à l’insuline est observée lorsque le degré d’insaturation des AG augmente dans les phospholipides membranaires. La composition en AG des phospholipides est influencée par la disponibilité des AG dans le milieu extra-cellulaire, elle-même dépendante des apports alimentaires en lipides. Ainsi, la fonction structuro-modulatrice des lipides membranaires peut être modulée par les apports alimentaires en graisses.
Cette fonction prend un relief particulier au niveau des tissus dermo-épidermique et cérébral. L’acide linoléique est nécessaire à l’étanchéité de la barrière épidermique. A ce niveau, les lipides complexes forment des lamelles dans les cellules de la couche granuleuse. Ces structures lamellaires constituent la principale barrière s’opposant à l’ex-trusion de l’eau. Une carence d’apport en acide linoléique (AG essentiel) s’accompagne de troubles cutanés (parakératose) et d’une perte hydrique très importante. Seul l’apport de cet AG permet la correction des troubles.
Le cerveau est le tissu dans lequel les principaux AGPI-LC des familles n-3 et n-6, respectivement l’acide docosahexaénoïque ou DHA (22:6n-3) et l’acide arachidonique ou AA (20:4n-6), sont les plus représentés puisque leur proportion dans les phospholipides cellulaires peut atteindre 60 % des acides gras totaux. Le DHA est également très abondant dans les membranes des photorécepteurs rétiniens puisqu’il représente 35 à 60 % des AG des phospholipides intimement liés à la rhodopsine au niveau de la membrane externe des cellules en bâtonnet.
Chez l’homme, la croissance du cerveau se poursuit jusqu’à l’âge de 2 ans et la myélinisation n’est achevée qu’à l’âge de 4 ans. Les acides gras s’accumulent dans le cerveau pendant cette période pour répondre aux besoins de croissance et de multiplication cellulaire, à la prolifération des connections synaptiques et à la myélinisation des axones. En particulier, la quantité des dérivés à longue chaîne du linoléate et de l’α-linoléate augmente dans cet organe de 4 à 5 fois pendant les 2 premières années de la vie. Les AGPI-LC du cerveau sont issus de la biosynthèse in situ à partir des précurseurs, et du transfert plasmatique des acides gras préformés au niveau du foie. Ce transfert à partir des lipoprotéines plasmatiques est possible grâce à la présence d’une lipoprotéine lipase, localisée au niveau de l’endothélium vasculaire cérébral. L’accès des AGPI-LC à ces structures ne paraît pas limité par la barrière hémato-encéphalique. Il existe même une sélectivité importante pour l’incorporation des AGPI-LC plasmatiques dans le cerveau. Cette sélectivité d’incorporation semble être le facteur décisif expliquant leur proportion élevée dans les structures nerveuses. En effet, les précurseurs sont très peu captés par le cerveau et de ce fait la biosynthèse in situ des AGPI-LC n’est probablement pas importante. Les quantités d’AGPI-LC accumulées par le cerveau humain pendant les 3 premiers mois de la vie extra-utérine étaient de 4,3 mg/semaine pour les AGPI-LC de la série n-3 et à 75,4 mg/semaine pour les AGPI-LC de la série n-6. L’ensemble des AGPI-LC des 2 séries représente 17 % de la totalité des acides gras incorporés dans le cerveau en une semaine. Chez l’homme, le colostrum contient des quantités non négligeables d’AGPI-LC (environ 1 % des AG totaux). La réduction des taux d’AGPI-LC observée au cours de la lactation coïnciderait avec la maturation des systèmes de désaturation et d’élongation du nourrisson. L’enfant prématuré est encore plus dépendant des apports exogènes en AGPI-LC que l’enfant né à terme. A cette période de la vie, des déséquilibres d’apport alimentaire en AGPI-LC des 2 séries (n-3 et n-6) ou des carences d’apport ont des conséquences structurales et fonctionnelles. Ainsi, une augmentation du seuil et une diminution de l’amplitude de la réponse post-stimulative des cellules en bâtonnet a été observée chez les prématurés recevant un lait artificiel dépourvu d’AGPI-LC. Des enfants nés à terme ayant consommé des laits infantiles dépourvus d’AGPI-LC n-3 pendant les premiers mois de la vie avaient, à l’âge de 3 ans, une acuité visuelle plus basse que ceux ayant reçu des AGPI-LC. Des quotients intellectuels plus bas de 8,5 points ont également été observés chez des enfants de 7 à 8 ans nés prématurément et privés d’AGPI-LC. Toutefois, la carence d’apport en AGPI-LC n’est qu’une des hypothèses avancées pour expliquer ces QI plus bas. Le lait étant la source unique de nutriments pour le nourrisson, il convient d’attacher une importance particulière à sa composition en AG et recourir à des supplémentations en AGPI-LC lorsque l’enfant est privé de lait maternel.
⇒ Synthèse des eicosanoïdes
Les éicosanoïdes sont constitués par les prostaglandines (PG) et les leucotriènes (LT). Ils dérivent tous des produits de désaturation et d’élongation des AGE. La synthèse des éicosanoïdes s’effectue après clivage de l’AG des phospholipides membranaires par la phospholipase A2. L’AG ainsi libéré peut entrer dans 2 voies métaboliques. Dans la voie des prostaglandines, l’AG est rapidement oxygéné en endoperoxyde (PGG) par une cyclooxygénase, puis transformé en composés cycliques hydroxylés (PGH) dont la durée de vie est de quelques minutes. On distingue 3 séries de PGH selon l’AG originel. Les PGH1 sont issus de l’acide dihomo-γ-linolénique (18:3 n-6). Les PGH2 dérivent de l’acide arachidonique (20:4 n-6) et les PGH3 de l’acide éicosapentaénoïque (20:5 n-3). Ces PG sont ensuite transformées par des enzymes spécifiques à chaque tissu. Dans les plaquettes, une thromboxane synthase transforme PGH2 en thromboxane A2 (TXA2), dont la durée de vie est très brève, mais qui est un puissant inducteur de l’agrégation plaquettaire. Au contraire, les microsomes de l’endothélium vasculaire possèdent une prostacycline synthase, qui isomérise PGH2 en PGI2. Cette PGI2 a un effet anti-agrégant. Elle forme avec TXA2 un couple antagoniste règlant le temps plaquettaire de l’hémostase. Dans ces mécanismes de régulation les dérivés de la série n-3 entrent en compétition avec ceux de la série n-6. L’EPA aboutit à la formation de TXA3, qui n’a qu’un faible pouvoir agrégant plaquettaire, inhibe la synthèse de TXA2 et, au niveau de l’endothélium vasculaire, conduit à la synthèse de PGI3 au détriment de PGI2.PGI3 est un très puissant anti-agrégant plaquettaire. Ceci rend compte de l’allongement du temps de saignement et de l’inhibition de l’agrégation plaquettaire observée dans les populations consommant beaucoup de poissons, notamment chez les Esquimaux. La seconde voie métabolique est celle des leucotriènes. Les leucotriènes résultent de l’action d’un second système d’oxydation présent dans divers tissus et au niveau des cellules sanguines. La lipooxygénase est capable d’oxyder les précurseurs des PG des séries n-3 et n-6, mais aussi des dérivés polyinsaturés de la série n-9. Elle produit des AG hydroperoxydés (HPETE) et hydroxylés (HETE). La synthèse de leur précurseur commun est inhibée par les AGE de la série n-3.
⇒ Modulation de l’expression des gènes
Quelques travaux indiquent que les acides gras sont capables de moduler l’expression des gènes d’enzymes impliquées dans la lipogenèse hépatique (enzyme malique, acide gras synthase). Les mécanismes sont encore peu connus mais interviendraient à l’étape prétraductionnelle (transcription, stabilité de l’ARN messager). De même, l’ex-pression de certains protooncogènes tels que c-myc ou ras semble modulée par le type d’AG présents dans l’alimentation de l’animal ou dans le milieu de culture. Ces données ouvrent de nouvelles perspectives pour la compréhension du rôle des AG dans les régulations du métabolisme intermédiaire et de la croissance cellulaire.
⇒ Régulation de la transmission membranaire du signal
Au-delà de leurs effets structuraux, des lipides d’origine membranaire sont impliqués dans la production de second messager assurant le couplage fonctionnel entre le récepteur membranaire activé par la fixation de son ligand spécifique et l’effecteur intracellulaire. Il s’agit de diacyglycérols (DAG) et de phosphoinositides (PI) résultants du clivage de glycophospholipides situés dans le feuillet interne de la membrane plasmique par une activité phospholipase C. Ces molécules lipidiques activent la protéine-kinase C, enzyme capable de phosphoryler un grand nombre de protéines intracellulaires en présence de calcium et phosphatidylsérine. Il est possible que les DAG activent des isoformes différentes de la protéine-kinase C selon l’AG estérifié en position sn-2 du DAG produit, c’est-à-dire selon l’AG présent en position 2 dans le phospholipide initial. Ainsi, le DAG qui résulte du clivage des phospholipides de la classe inositol est riche en acides arachidonique et stéarique. A l’inverse, celui qui provient de la phosphatidylcholine reflète la composition en AG de ce phospholipide, riche en acides plamitique et oléique. De plus, l’enzyme responsable de l’inactivation du DAG par transformation en acide phosphatidique, la DAG kinase, a une affinité pour le DAG qui varie en fonction de la composition en AG du DAG. Ainsi, la composition en AG du DAG influe-t-elle sur la demi-vie intracellulaire du DAG.
En conclusion, l’oxydation des graisses est peu influencée par les apports alimentaires, chez l'homme. Tout déséquilibre au profit des apports conduira à la mise en réserve des graisses sous forme de TG dans le tissu adipeux blanc avec un coût énergétique de stockage très faible (3 % de la valeur énergétique des graisses). Indispensables aux membranes cellulaires, les graisses jouent un rôle structural et fonctionnel majeur. Il existe 2 acides gras essentiels pour l’homme. Les produits de ces 2 acides gras sont dotés de fonctions biologiques spécifiques.
ANNEXES