3  -  Rôles biologiques des lipides

3 . 1  -  Rôle énergétique

Le compartiment de réserve énergétique est essentiellement constitué par les TG du tissu adipeux blanc. Chez l’adulte sain et de poids normal, ce tissu représente 12 à 25 % du poids corporel dont 75 % sont des TG. Au total, 80 à 130 000 kcal sont ainsi mises en réserve. Pour l’essentiel, les AG du tissu adipeux blanc sont d’origine alimentaire. Dans les conditions habituelles d’alimentation, la néolipogènese ne contribue pas à la mise en réserve d’énergie. C'est pourquoi le profil des AG du tissu adipeux blanc est un reflet des AG ingérés. A cet égard, l’analyse de la composition en AG du tissu adipeux est un marqueur biochimique qualitatif des graisses alimentaires et représente un complément utile à l’étude des ingesta lipidiques de l’homme. Ce marqueur est fiable mais peu véloce. En effet le renouvellement des AG dans le tissu adipeux est lent. Chez l’adulte à poids stable, le temps de renouvellement est ≥ 600 jours. Toutefois, la vitesse de modification de la composition en AG des TG de réserve en réponse à un changement qualitatif des graisses alimentaires varie en fonction des circonstances tant physiologiques que pathologiques et des AG considérés. Ainsi, une modification qualitative de la ration lipidique alimentaire sera d’autant plus rapidement observée dans les TG de réserve qu’elle surviendra chez un sujet dont la masse grasse augmente rapidement (grossesse, phase dynamique de l’obésité par exemple). Les AG essentiels et leurs dérivés à longue chaîne sont rapidement incorporés dans les graisses de réserve et un changement des apports alimentaires modifie la composition en acides gras des TG de réserve dans des délais très brefs (quelques semaines) tant chez l’humain que chez le lapin.

Ces réserves énergétiques sont sollicitées en période interprandiale et, a fortiori, en situation de carence énergétique prolongée. On a longtemps considéré que l’hydrolyse des TG de réserve et la libération des AG destinés à la fourniture énergétique étaient des phénomènes purement quantitatifs sans retentissement sur la composition en AG des TG de réserve. Des travaux récents ont montré que la perte de masse grasse obtenue chez l’obèse par une alimentation hypocalorique s’accompagnait d’une baisse tout à fait isolée et significative du taux de 18:3 n-3 dans le tissu adipeux blanc. La signification physiologique de cette observation n’est pas connue.

Les AG sont des substrats énergétiques particulièrement pour les muscles squelettiques, le muscle cardiaque et le foie. La première étape de leur oxydation est semblable quelle que soit le devenir de l’AG considéré. Il s’agit de la formation d’un complexe AG Coenzyme A ou acyl-CoA permettant la solubilisation en phase aqueuse de l’AG. Cette première étape nécessite toujours l’hydrolyse de 2 ATP quelle que soit la longueur de la chaîne carbonée. Pour les AG à 12 carbones et plus, l’enzyme est l’acyl-Coenzyme A synthase. Cette enzyme est présente dans la membrane des peroxysomes hépatiques (fourniture de l’énergie pour la formation de peroxydes), dans le réticulum endoplasmique (formation d’acyl-CoA pour le stockage des AG) et dans la membrane externe des mitochondries (fourniture de l’énergie via la β-oxydation). Le passage de l’acyl-CoA de la membrane externe (imperméable au CoA et à tous ses dérivés) à la membrane interne de la mitochondrie où a lieu l'oxydation des AG nécessite le transfert du groupement acyl du CoA sur la carnitine puis, au niveau de la matrice interne, le transfert du groupement acyl de la carnitine sur le CoA. Deux carnitine-palmityl transférases, l’une externe et l’autre interne contrôlent ce cycle. Un déficit génétique touchant la synthèse ou le transport de la carnitine ou l’une et/ou l’autre de ces transférases conduira à une réduction voire à une absence totale d’utilisation oxydative des AG avec des troubles cliniques précoces, de gravité variable et survenant soit à l’effort soit au repos. Les AG comportant de 4 à 10 atomes sont suffisamment solubles dans l’eau et diffusent rapidement à travers les membranes y compris la membrane interne des mitochondries. Ces AG sont donc particulièrement utiles en présence d’un défaut de passage transmembranaire des AG à chaîne longue. Au niveau de la membrane interne, les AG à 4-10 carbones doivent être transformés en acyl-CoA avant d’être oxydés. L’enzyme concernée est la butyryl-CoA synthase mitochondriale.

L’acyl-CoA ainsi parvenu jusqu’à la matrice mitochondriale peut entrer dans la voie d'oxydation. Il s’agit d’un processus répétitif (hélice de Lynen) conduisant à un raccourcissement progressif de la chaîne carbonée par unité de 2 carbones. Chaque étape produit 5 molécules d’ATP et 1 acétyl-CoA. S’il entre dans le cycle de Krebs, cet acétyl-CoA fournira 12 molécules riches en énergie (11 ATP et 1 GTP). Il est donc aisé de calcu¬ler pour chaque AG le nombre d’ATP fournis, pour peu que l’on connaisse la longueur de sa chaîne carbonée. Ainsi, un AG à 16 carbones devra effectuer 7 tours d’hélice pour donner 8 moles d’acétyl-CoA. Le nombre de liaisons riches en énergie obtenues par oxydation complète de cet AG est donc de (7x5) + (8x12) = 131. Le bilan net est de 129 ATP/GTP (2 ATP utilisés pour la formation de l’acyl-CoA initial). La valeur énergétique utile, ou enthalpie molaire ou chaleur de combustion des graisses contenues dans une alimentation de type omnivore, est de l’ordre de 9,4 kcal/g. Pour ce même type d’alimentation, le rapport entre le CO2 produit et l’O2 consommé lors de l’oxydation des graisses, c’est-à-dire le quotient respiratoire, est de 0,71. Contrairement aux glucides, l’oxydation des graisses ne s’élève pas en réponse aux apports alimentaires. Les graisses en excès du besoin d'énergie seront mises en réserve avec un rendement élevé puisque le stockage des graisses ne nécessite que 2-3 % de leur valeur énergétique. L’exercice physique prolongé et l’élévation des taux circulants d’AG (obésité, insulinorésistance, insulinopénie) sont en mesure d’accroître l’oxydation lipidique in vivo.

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