Introduction

Conséquence de l’interruption brutale du flux artériel, l’ischémie aiguë est une urgence qui engage le pronostic vital et compromet le pronostic fonctionnel du membre en l’absence d’un traitement institué en urgence. Le diagnostic repose uniquement sur l’examen clinique. Les examens complémentaires ont peu de place en retardant la prise en charge thérapeutique essentiellement chirurgicale dont le but est la restauration du flux artériel. Les causes principales d’ischémie artérielle aiguë non traumatique sont les embolies et les thromboses sur artère saine ou sur artère pathologique.

1  -  Comprendre les processus physiopathologiques en cause

La gravité de l’hypodébit distal en aval de l’occlusion artérielle est fonction de trois paramètres.

1) la pression artérielle systémique. Un choc ou une hypotension artérielle peuvent être les seuls facteurs de décompensation d’une artériopathie oblitérante chronique. Le maintien d’une pression artérielle systémique correcte permet de favoriser la perfusion du réseau collatéral et évite le collapsus périphérique qui aggrave les effets de l’interruption artérielle.

2) La circulation collatérale. Sa mise en jeu peut compenser les effets de l’oblitération artérielle aiguë en quelques heures ; elle est parfois compromise par l’extension de la thrombose d’amont et d’aval. Cette complication est prévenue par l’utilisation précoce d’héparine.

3) La qualité du réseau artériel d’aval

L’occlusion des artères des membres inférieurs entraîne une ischémie plus ou moins sévère des extrémités.

La tolérance à l’ischémie des différents tissus est variable. Des lésions nerveuses apparaissent dès la deuxième heure, alors que le muscle strié squelettique tolère environ six heures d’ischémie. La viabilité de la peau est de 24 à 48 heures ce qui peut rendre l’aspect des tissus cutanés faussement rassurant.

Le muscle strié est l’élément le plus important de la réaction ischémique car il est susceptible d’induire des réactions métaboliques sévères au moment de la revascularisation et de transformer une affection locale en maladie générale mettant en jeu le pronostic vital.

1 . 1  -  Phénomènes locaux

La tolérance relative du muscle strié à l’ischémie (6 heures) semble liée à deux phénomènes : sa faible demande d’énergie au repos et ses importantes réserves métaboliques (adénosine triphosphate ou ATP, créatinine phosphate, glycogène).

Si le temps d’ischémie est trop prolongé, l’évolution se fait vers la nécrose cellulaire (rhabdomyolyse). L’anoxie musculaire va entraîner une vasodilatation capillaire qui sera responsable d’un oedème et d’une augmentation de la pression interstitielle entraînant une stase de la circulation veineuse et lymphatique. Cette stase va elle-même être responsable de l’augmentation de l’oedème. Dans le même temps, les phénomènes d’anaérobiose vont favoriser la libération de métabolites acides qui eux-mêmes vont entraîner une vasodilatation capillaire.

Il se crée donc un cercle vicieux entraînant une augmentation de la pression interstitielle encore aggravée par le fait que les muscles de la jambe sont contenus dans des loges inextensibles. Au maximum, cet oedème sera responsable par lui-même d’un arrêt de la circulation lorsque la pression interstitielle est supérieure à la pression capillaire, caractérisant le syndrome de loge. Ce cercle vicieux ne pourra être rompu que par la réalisation d’aponévrotomies permettant la libération des muscles.

Parfois, une aggravation des dommages cellulaires est observée au moment de la remise en circulation. Cette aggravation secondaire (syndrome de revascularisation) semble en rapport avec la libération des radicaux libres.

1 . 2  -  Phénomènes généraux

La lyse musculaire peut induire de nombreuses complications générales. L’élévation de la phosphocréatine kinase (CPK) en témoigne et présente un intérêt pronostique. Ces complications générales sont :

  • Choc hypovolémique par exsudation plasmatique.
  • Troubles métaboliques : hyperkaliémie, acidose métabolique, hyperuricémie, myoglobinémie, myoglobinurie, augmentation de la créatinémie, hypocalcémie, hyperphosphorémie, parfois coagulation intravasculaire disséminée (CIVD).
  • Insuffisance rénale : elle aggrave la morbidité et la mortalité. Les mécanismes de la nécrose tubulaire sont imprécis et multifactoriels : choc, modification du flux sanguin intrarénal, précipitation de la myoglobine dans les tubules, toxicité directe en milieu acide de la myoglobine et des produits de contraste radiologiques utilisés lors d’une artériographie.
  • Infection : la colonisation microbienne des muscles nécrosés est constante.

1 . 3  -  Reconnaître l’ischémie aiguë

Le diagnostic de l’ischémie artérielle aiguë est clinique. Dans la forme typique d’ischémie aiguë sensitivo-motrice, la douleur est spontanée, de début brutal dont on note l’horaire, intense à type de broiement, accompagnée d’une impotence fonctionnelle du membre. A l’examen, le membre apparaît livide, froid, les veines superficielles sont collabées. L’examen neurologique trouve une anesthésie cutanée, qui contraste avec la douleur des muscles à la pression, et une paralysie. Les pouls sont abolis en aval de l’occlusion.

Le tableau clinique peut être incomplet (ischémie aiguë non sensitivo-motrice) mais l’examen clinique, toujours comparatif, objective un membre inférieur froid, avec disparition des pouls périphériques. Le pied est pâle, ou parfois cyanique. Les troubles de la sensibilité et de la motricité sont de degré et d’intensité variables. La pression des masses musculaires entraîne une douleur provoquée.

Les examens complémentaires n’apportent rien au diagnostic positif et ne doivent pas retarder le traitement qui doit être débuté immédiatement avant le transfert d’urgence en milieu spécialisé.

Tout retard dans cette prise en charge expose à l’évolution vers une ischémie dépassée, caractérisée par l’apparition d’une rigidité musculaire, de marbrures cutanées et de phlyctènes indiquant l’amputation de première intention pour éviter le décès.

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