8  -  Le 20ème siècle : La crise de la profession ou la recherche d'une nouvelle identité professionnelle.

Comme nous l'avons évoqué plus haut les apports scientifiques changent profondément le paysage médical. Amorcée dès la fin du 19ème la baisse de la natalité accentuée par la Grande Guerre conduira à un déficit des naissances par rapport aux décès, à partir de 1935. La victoire sur la fièvre puerpérale va orienter les accoucheurs vers les consultations de grossesse et la prévention. Adolphe Pinard en sera le pionnier, en 1930 son successeur Couvelaire formulera les objectifs à atteindre.: « Une maternité ne doit pas être seulement « une maison d'accouchement » au sens étroit du terme […] Elle doit être un Centre d'assistance médico-sociale et de travail scientifique consacré à la fonction de reproduction. Son champ d'action s'étend de la procréation au sevrage de l'enfant. »(cf. note : 14)Cette nouvelle donne va bousculer les sages-femmes qui pour la majorité exercent en dehors des structures hospitalières.

8 . 1  -  L' entre-deux-guerres ou la fin d'une hégémonie.

Les choix de la capitale en matière d'organisation sanitaire auprès des femmes enceintes, des accouchées et des nourrissons vont porter un coup fatal à l'exercice traditionnel des sages-femmes. Elles ne seront plus les seules à prodiguer assistance ou soins.

Afin d'appliquer les règles d'hygiène, les soins furent segmentés entre salles d'accouchement fief des sages-femmes et suites de couches où commencent à intervenir les infirmières. En effet par décret du 7 juin 1922 est créé le diplôme d'infirmière. Le métier est ainsi revalorisé sous sa forme infirmière hospitalière et infirmière visiteuse sorte de soignante et conseillère allant au domicile des patients.

Profitant de la loi des Assurances Sociales pour les salariés en 1930 , la prise en charge des consultations des femmes enceintes et des nourrissons sera réservée aux médecins . Mlle Mossé sage-femme en chef de la Maternité de Paris constate que « le plus grave danger est la concurrence légitime du Médecin qui partage avec elle le monopole des accouchements. »(cf. note : 15)Ceux-ci, dont le nombre croît régulièrement assurent à Paris avant 1928, 29% des accouchements pour atteindre dans les années trente 40%.

De plus le décret du 12 janvier 1932 réglemente la profession d'assistante sociale. Or dès 1936 les assistantes sociales sont accusées par les sages-femmes d'envoyer les futures mères vers les maternités participant ainsi à la « propagande anti-accouchement à domicile ».

Au 8ème congrès international des accoucheuses de 1938, à Paris, les sages-femmes françaises restent attachées au rôle de  «  praticiennes indépendantes » . La concurrence des infirmières-visiteuses est dénoncée car « préférée(s) aux sages-femmes par les pouvoirs publics et les médecins »(cf. note : 16)

L'inégalité de traitement des accouchées sur le territoire est flagrante puisque sur 2200 cantons 500 ne disposaient pas de sages-femmes diplômées ! On en était toujours aux matrones.

8 . 2  -  Une efflorescence d'associations, syndicats et autres regroupements

Les historiens et sociologues qui se sont penchés sur les archives du 20ème sont impressionnés par le nombre de formations aux statuts différents. En 1911 s'est constitué le premier groupement français de syndicats de sages-femmes : la Fédération des sages-femmes de France. En 1928 une scission survient regroupant Lille,le Rhône,les Bouches du Rhône,pour former la Confédération nationale des syndicats de sages-femmes. Cette scission est le résultat d' une protestation contre la domination de Paris . Malgré des tentatives de réunification pour s'organiser face à l'application des lois sociales rien n' aboutira. La guerre gèlera les démarches.

En 1934 l'association des sages-femmes catholiques lance une enquête sur « les avantages, inconvénients,améliorations souhaitables »(cf. note : 17) des diverses modalités de la profession.
L'association des accoucheuses et puéricultrices de France très active publie sur plusieurs années le « journal des accoucheuses ».Ces différentes instances organisent des congrès ou bien participent aux premiers congrès internationaux comme à celui de Berlin en 1936...

Juste après la période de la guerre, par l'ordonnance du 24 septembre 1945, fut créé l'ordre des sages-femmes présidé jusqu'en 1995 par un médecin. Il a pour but de défendre les intérêts, de garantir les qualités professionnelles et la moralité de ses membres. Les sages-femmes catholiques en avait émis l'idée dès 1937.

Les années 80 verront se multiplier les associations de tout genre ; selon les fonctions exercées : hospitalières, libérales, Protection maternelle et infantile, enseignantes ; selon les spécialisations de la profession ; selon les types de formation... cependant on dénombre toujours deux syndicats professionnels...(cf. note : 18)

Comment interpréter cette réalité ? Est-ce là un signe de la vitalité de la profession, de sa dispersion, de sa résistance ?

8 . 3  -  Des conditions d'admission dans les écoles et des programmes revus.

La loi d'août 1916 stipule qu'un seul diplôme de sage-femme sera délivré. Le niveau scolaire exigé correspond à celui des aspirantes sages-femmes de 1ère classe. Durant toute la période d'après-guerre des projets de réforme sont âprement discutés. Les propositions de 1922 puis de 1926, émanant de professeurs parisiens, sont repoussés par les représentantes sages-femmes car elles refusent « le spectre de la fonctionnarisation »(cf. note : 19). En 1930 Couvelaire accoucheur à Baudelocque préconise une formation en trois ans. Il propose que l'élève obtienne trois certificats : un d'infirmière, un de sage-femme, un de puéricultrice. Mlle Mossé estime que deux années suffisent pour obtenir « le double titre d'accoucheuse et d'assistante sociale de protection maternelle et infantile. »

Il faudra (une fois de plus ?...) attendre une période de guerre :1943, pour une réforme des études portées à trois ans. Elles consistent en une année d'études générales d'infirmière, trois semestres d'obstétrique et un semestre de puériculture. La création de la Sécurité sociale eut pour conséquence la migration massive des parturientes vers les cliniques et hôpitaux à partir des années cinquante. Ce fut fatal à la pratique de l'accouchement à domicile par les sages-femmes libérales, le salariat triomphait. Pendant ce temps on assiste à une baisse continue des effectifs : autour de 7000 dans les années 1980.

En 1973 les études de sages- femmes sont pour la première année, indépendantes des études d'infirmière. Après avoir intégré les hommes dans les écoles en 1982, les études passent à quatre ans en 1985. La rédaction d'un mémoire en est la principale nouveauté.

Le siècle se termine par la préparation de grandes réformes. En effet un nouveau programme est adopté en 2001. Après l'essai pilote de l'école de Grenoble ; tous les étudiants sages-femmes sont recrutés parmi les étudiants de première année de médecine en 2003 . Les études ont donc une durée minimale de cinq ans. De nouveaux programmes sont appliqués en 2011 dans le cadre du processus de Bologne (LMD). Les écoles s'engagent dans un processus de rattachement à l'université.

8 . 4  -  L'exercice de la profession dans un contexte obstétrical en continuelle mutation

La seconde moitié du siècle sera marquée par la diffusion de méthodes contraceptives sûres qui permettent la maîtrise de la fécondité. La loi sur l'interruption volontaire de grossesse de 1974 modifiée en 2001 lèvera la pénalisation du début du siècle. La relation à l'enfant s'en est trouvée profondément modifiée.


L'arrivée dans les services d'obstétrique d'une technologie toujours plus sophistiquée a conduit à une surveillance fÅ“tale avancée, à une indolorisation du travail, à une chirurgicalisation de l'accouchement. La procréation médicalement assistée, le diagnostic anténatal ont pris un essor considérable. Il en est de même pour les soins aux prématurés et la réanimation néonatale.

Une nouvelle géographie obstétricale s'est de ce fait dessinée sur le territoire national. Les plans de périnatalité de1972, 1995, 2005 ont organisé la concentration des naissances selon des impératifs de sécurité définis par la proximité des blocs opératoires puis des services de réanimation.

Les résultats des enquêtes nationales et les rapports de la Cour des Comptes font le constat que malgré les équipements techniques importants le pays conserve des chiffres de mortalité et morbidité maternelle et infantile plus élevés que ceux de pays voisins ayant opté pour une autre politique.

C'est dans ce contexte que le travail des sages-femmes évolue ; non sans difficulté. La grève de mars 2001 l'atteste(cf. note : 20).. On assiste cependant à une nette progression du nombre des sages-femmes(19200 en 2011)(cf. note : 21), de nouvelles écoles sont ouvertes. La proportion des sages-femmes libérales augmente. Ayant fait pour beaucoup d'entre elles de la préparation à l'accouchement et de la rééducation périnéale leur activité principale ; un mouvement se précise dans la prise en charge des consultations de grossesse et de suivi gynécologique de prévention et de contraception.

Notes
  1. 14 : Scarlett Beauvalet- Boutouyrie, Naître à l'hôpital au XIXe siècle, Belin, 1999, p.354.
  2. 15 : Françoise Thébaud, Quand nos grand-mères donnaient la vie, P.U.L. 1986 p. 169.
  3. 16 : Françoise Thébaud, Quand nos grand-mères donnaient la vie, P.U.L. 1986 p. 176.
  4. 17 : Françoise Thébaud, Quand nos grand-mères donnaient la vie, P.U.L. 1986, p.166
  5. 18 : Philippe Charrier-Les sages-femmes en France 2009/2010-Centre Max Weber, p.68
  6. 19 : Françoise Thébaud, Quand nos grand-mères donnaient la vie, P.U.L. 1986, p.175
  7. 20 : Philippe Charrier-Les sages-femmes en France 2009/2010-Centre Max Weber, p. 69
  8. 21 : Cour des comptes Sécurité sociale 2011- septembre 2011, p.175
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