4  -  La fin du XV° et XVI° siècle:les prémisses de la modernité

La naissance du mythe démoniaque et ces "secondes" vagues de chasses aux sorcières doivent être remises dans le contexte religieux très troublé des XV° et XVI° siècles. La chrétienté occidentale était déchirée par les hérésies et survint la rupture définitive des Réformes protestantes. La sorcellerie fut, à sa manière, une réponse aux angoisses religieuses.

Ce fut un réel fléau social qui marqua l'Occident. Aussi difficile à comprendre que cela puisse paraître, la chasse aux sorcières qui s'étala du XV° siècle au début du XVII°, fut plus le fait du pouvoir d'état que de l'église. L'état civil reprit le modèle opératoire (l'inquisition) que l'église avait créé et organisé pour lutter contre les hérésies. Ainsi, l'inquisition allait servir de charpente. Les sorcier(e)s, guérisseur(se)s allaient être traité(e)s comme des hérétiques. Les femmes payèrent le plus lourd tribut à ces massacres.

Les guérisseuses par leur maîtrise des plantes étaient traitées de sorcières. Nombreuses d'entre elles périrent sur les bûchers: 30.000 à 50.000 "sorcières" durant ces 3 siècles en Europe. Pour certains chercheurs, dont Elsa Dorlin, les médecins se turent, puis furent par la suite, recrutés comme experts pour confirmer les stigmates des " sorcières " ;il s'agissait d'asseoir le pouvoir médical. Il avait besoin de neutraliser ce savoir empirique des femmes pour construire, le sien, rationnel et s'approprier définitivement le corps des femmes.

Il est certain que la croyance au maléfice a pu se développer en grande partie à cause des insuffisances de la médecine, alors que l'ébranlement de la religion ne permettait plus les réponses à tout. La maladie et ses mystères étaient la brèche toute trouvée. Bien sûr, les médecins partageaient, à cette époque, les croyances et visions du corps " poreux , fragile, et vulnérable de la femme " ouvert aux maléfices sataniques. Il fallut attendre la fin du XVII° siècle pour que des progrès fussent enregistrés, essentiellement dans le domaine de l'hygiène et de la prophylaxie. Et ce fut dans le milieu des médecins parisiens que les premières voix s'élevèrent au début du XVII°siècle pour mettre en doute l'existence du crime de sorcellerie.

Le XVI° siècle représenta néanmoins une rupture avec la désacralisation du corps humain à l’image de Dieu . L’Homme allait s’émanciper des lois divines et vouloir maîtriser son destin.

L’exploration du corps grâce aux dissections qui se multiplièrent (grand rôle de Vésale en Italie…mais avant lui, dès 1270-1323 à Bologne,l'anatomiste Mondini de Luzzi et son aide, une femme Alexandra Gilliani qui durent cesser leurs explorations sous les menaces de l'église) déboucha sur une nouvelle conceptualisation du corps et de la vie puis de l’enfantement. Jusque là, la dissection représentait un tabou général depuis l'antiquité. La dissection des animaux était pratiquée depuis longtemps mais celle de l'homme très rarement. Là encore, en Alexandrie, Hérophile de Chalcédoine les pratiquait avt J.C.

 Le regard de l'anatomiste Mandraissi Rafael. édition du Seuil.Paris-2003.  
 Des sorcières aux mandarines de Josette Dall'Ava-Santucci. édition Calmann-Levy-2004.p 26

Mais, hélas, "le Progrès" et toutes ces nouvelles connaissances ne furent pas accessibles aux femmes.

  • l’université et la médecine leur furent interdites.
  • les barbiers-chirurgiens puis chirurgiens dans les nombreuses guerres, proches des dirigeants, militaires, rois et nobles, acquirent expérience et pouvoir. Ces chirurgiens allaient contester les compétences des matrones.
  • Dès 1348, à Paris, le registre de l'Hôtel-Dieu fait état d'une " ventrière " des accouchées et un département réservé aux femmes en couches.
  • En 1478, les lettres patentes ont fait de l'Office des accouchées un asile secret :
    • les femmes pauvres
    • les femmes publiques, minoritaires
    • les filles mères, grossesses illégitimes, formant la majorité.


Jusqu’au XVI° siècle, aucun texte, ne permet de parler d’une organisation spécifique de la profession des sages-femmes. A cette période, la plupart du temps, les Sages-femmes étaient traitées à l'égal des chirurgiens et considérées comme tels; elles savaient lire et écrire.
En 1563, naissait Mme Louise Bourgeois dite Boursier en se mariant à Martin Boursier chirurgien élève d'Ambroise Paré. Sage-femme de la Reine Marie de Médicis, en 1609, elle rédigea le 1° livre de" Bons conseils aux sages-femmes". Ce traité détaille un grand savoir clinique, découlant d'une longue expérience, armée d'une réflexion. Elle y décrivit de façon claire et précise les présentations du fœtus, avec, à chaque fois, la conduite à tenir pertinente. Elle semble être la première à indiquer la présentation de la face. Elle répondit à l'urgence, et détailla la première, la prise en charge de la procidence du cordon; elle connaissait les circulaires du cordon, la dystocie des épaules. Elle a étudié l'ouvrage d'Ambroise Paré, et pratiqua la version podalique par manœuvre interne pour extraire le fœtus dans les présentations vicieuses (avant l'invention du forceps, hormis les pieds, le fœtus ne présente pas de moyens de préhension). Elle exhorta les sages-femmes à faire appel aux chirurgiens dès que la difficulté s'annonçait. Première d'une lignée de sages-femmes instruites, elle bénéficiait d'une expérience et d'une dextérité acquise que les chirurgiens et médecins de son époque n'avaient pas. Le 29 mai 1627 marqua sa fin de carrière lorsqu'elle accouche Marie de Bourbon-Montpensier, femme de Gaston d'Orléans, frère du roi, qui mourut en couches. L'affaire de sa fin de carrière ne fut pas une remise en question de ses compétences mais une blessure "d'amour propre". En effet le médecin du Roi, présent lors de l'accouchement, ne l'accusa nullement de faute professionnelle car lui-même parvint difficilement à extraire le morceau de placenta lors de l'autopsie (d'après  G. J. Witkowski, Les accouchements à la Cour éditeur Steinheil Paris 1890)

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