2  -  Aspects séméiologiques

2 . 1  -  L'intrication du vieillissement et de la comorbidité

Chez le malade âgé, la sémiologie dépressive s'exprime avec retard, par des symptômes moins expressifs que chez l'adulte d'âge moyen. Les états dépressifs associent classiquement deux signes fondamentaux : douleur morale et ralentissement.

Chez le malade âgé, cette symptomatologie est banale, relevant du vieillissement ou de pathologies organiques fréquentes à cette période de la vie.

Concernant la douleur morale, rappelons que le sujet âgé doit s’adapter au remaniement de ses capacités et de ses aptitudes. Ceci entraîne l'expression de sentiments qui ne traduisent que les efforts consentis pour accepter le processus du vieillissement. Ces sentiments peuvent être alors pris, à tort, pour une véritable souffrance.

La douleur morale ne saurait donc seulement se définir par l'impression, perçue trop rapidement, d'une souffrance psychique. Elle doit être toujours envisagée dans le contexte plus global de son origine, de sa tonalité et de son retentissement.

La tristesse n'est pas forcément signe de dépression puisqu'elle fait partie des réactions normales à une perte (fréquente chez le vieillard). Ce trouble ne traduit une dépression  que  s’il  est  disproportionné par rapport aux difficultés existentielles et s’il envahit la totalité de sa vie psychique.

Le ralentissement, classiquement qualifié d'idéomoteur, puisqu'il affecte la pensée et l'activité physique, est difficile à apprécier. En  effet,  le  vieillissement  et  certaines maladies (par exemple : maladie de Parkinson,  hypothyroïdie,  insuffisance  cardiaque)  peuvent  donner  l'impression d'une  vivacité  atténuée.  De  même,  la réduction  de  la  fluidité  verbale,  de  la richesse du langage et des associations d'idées dans certaines démences débutantes,  peuvent  être  pris,  de  manière inconsidérée, comme des signes de ralentissement.

D’autres éléments orientent vers le diagnostic de dépression :

  • Le sentiment de vide intérieur  et de vacuité douloureuse

Il est généralement exprimé sous la forme d'un vécu de solitude intense. Ce sentiment de solitude est parfois purement subjectif et peut contraster avec l'existence d'un réel soutien de l'entourage. On en rapproche les plaintes portant sur la mémoire.

  • Les plaintes somatiques et les troubles du comportement

Fréquents, ils sont considérés comme un moyen d'exprimer le vécu douloureux de la dépression. Il faut rechercher plus particulièrement une asthénie, une anorexie,  un  amaigrissement,  des troubles du comportement alimentaire et des troubles du sommeil.  La dépression peut, aussi, s'exprimer par des troubles caractériels. Le sujet devient
irritable  ou  présente  des  réactions incompréhensibles  pour  son  entourage, ce qui le confine dans un certain isolement. Enfin, un alcoolisme compulsif récent peut traduire une dépression débutante.

  • L'angoisse

L'intrication des sémiologies anxieuses et dépressives est fréquente.  Lorsque les symptômes anxieux sont au premier plan, le malade s'agite, s'accroche à qui passe, à la recherche d'une réassurance possible. A l'inverse, le malade peut resté confiné au lit dans une attitude régressive, se reposant sur l’entourage ou l’institution pour tous les actes de la vie quotidienne.

2 . 2  -  Formes cliniques difficiles

Elles se présentent sous la forme d'un délire volontiers persécutif. Ce délire est dit "congruent à l’humeur" car il a une tonalité triste. On retrouve fréquemment des idées d'incurabilité ou de ruine. Le diagnostic de dépression est difficile car elle est masquée par le vécu délirant. Ces formes sont parfois difficiles à différencier d’autres pathologies délirantes tardives et imposent un recours au psychiatre.

  • Les dépressions hypocondriaques

Elles peuvent prendre le masque d’une pathologie organique et donnent lieu à des investigations diverses et répétées.
L’absence d'amélioration durable est la règle, même avec une prescription bien conduite.

2 . 3  -  Dépression et démences

Il existe alors un recouvrement séméiologique. Toutes les démences, qu'elles soient dégénératives corticales et surtout sous-corticales  et  plutôt  vasculaires  peuvent être associées à des épisodes dépressifs au cours de leur évolution. Les problèmes physiopathologiques  et  cliniques  sont complexes.  

  • Dépression précédant la démence

La dépression peut être la conséquence d'une prise de conscience douloureuse de  l'installation  des  déficits  intellectuels. Les mécanismes de défense habituels sont bouleversés et l’estime de soi diminuée. La survenue de la dépression traduit une tentative d’adaptation. Elle peut être aussi la conséquence directe des perturbations neuronales dues à la maladie. La prévalence de la dépression au cours d’un syndrome démentiel DéfinitionLe syndrome démentiel associe un syndrome amnésique à la fois antérograde (défaut d'enregistrement mnésique) et rétrograde (perte de souvenirs qui étaient présents jusque là), l'altération des capacités intellectuelles, de raisonnement et de jugement et des troubles du comportements (activité générale, état affectif, conduites sociales) suffisamment importants pour retentir sur la vie sociale ou professionnelle.est de 20 % à 50 %. Les facteurs de risque potentiels d'évolution vers une
démence d’un EDA sont de mieux en mieux connus même si certains sont controversés : les antécédents dépressifs personnels ou familiaux, le sexe féminin et la présence d'un allèleDéfinitionOn appelle allèles les différentes versions d'un même gène. Chaque allèle se différencie par une ou plusieurs différences de la séquence de nucléotides. Ces différences apparaissent par mutation au cours de l'histoire de l'espèce, ou par recombinaison génétique. Tous les allèles d'un gène occupent le même locus (emplacement) sur un même chromosome. E4 au génotypage de l’apolipoprotéine E.

Dans  la  pathologie  démentielle  au début, une attention particulière doit être apportée aux signes précurseurs de démence frontale. Les signes inauguraux  sont  souvent  psychiatriques, prenant le masque d’une dépression atypique, avec manque de motivation, apathie, apragmatismeDéfinitionL'apragmatisme est un symptôme psychiatrique qui se traduit par une incapacité à entreprendre des actions. Il en résulte une perte d'initiative motrice, une inaction prolongée. Ce symptôme est à distinguer de l'aboulie. En cas d'aboulie, il y a intention d'agir et planification des tâches, mais leur exécution est rendue impossible, tandis que dans l'apragmatisme, la capacité même de vouloir faire est atteinte. L'apragmatisme s'observe au cours de la schizophrénie, mais aussi lors des dépressions sévères et de certains troubles névrotiques comme la psychasthénie. Sa forme extrême réalise la catatonie telle qu'on peut l'observer au cours de la schizophrénie et qui consiste en une suspension totale de l'activité motrice., repli sur soi, etc.... L’examen  neuropsychologique doit aussi explorer les fonctions exécutives frontales.

  • Dépression au cours d’un état démentiel diagnostiqué


Plus  la  pathologie  démentielle  progresse, plus il devient compliqué de reconnaître une dépression. Les  signes directs de dépression (immobilité, atonie de la mimique, masque de la douleur, sémantique dépressive des mots perdus,  difficultés  alimentaires  et troubles du sommeil) s’expriment à travers  la  symptomatologie  de  la démence. Il est important d’être attentif à  des  signes  indirects  que  sont  les modifications  comportementales,  les cris, l’agitation, l'appel de membre de la famille (maman...).

  • Etat dépressif et maladie  d’Alzheimer traitée

Les  anticholinestérasiques  (médicaments  récemment  utilisés  comme traitements  symptomatiques  de  la démence d'Alzheimer) sont potentiellement à l’origine d'états dépressifs réactionnels. En cas d’efficacité, ils peuvent en  effet  entraîner  une  prise  de conscience  douloureuse  de  ces t roubles.  Bien  qu’encore  insuffisamment  documentés,  il  faut  connaître l’existence de ces syndromes renforçant la nécessité d’un suivi global et attentif de toutes les manifestations.

2 . 4  -  Dépression et maladie de Parkinson

La présence de symptômes dépressifs ou d’humeur triste au cours de l'évolution n’est pas seulement la conséquence affective d’une affection invalidante. Certains auteurs considèrent la dépression comme un signe de la maladie de ParkinsonDéfinitionLa maladie de Parkinson est une maladie neurologique chronique affectant le système nerveux central responsable de troubles essentiellement moteurs d'évolution progressive.Ses causes sont mal connues. Le tableau clinique est la conséquence de la perte de neurones du locus niger (ou substance noire) et d'une atteinte des faisceaux nigro-striés. La maladie débute habituellement entre 45 et 70 ans. C'est la deuxième maladie neuro-dégénérative, après la maladie d'Alzheimer. La maladie de Parkinson se distingue des syndromes parkinsoniens qui sont généralement d'origines diverses, plus sévères et répondent peu au traitement.. Dans 15 à 25 % elle précède ou est concomitante des  premiers  symptômes.  D'intensité variable (le plus souvent légère à modérée), le diagnostic en est difficile, basé sur la dévalorisation, le pessimisme, l’anhédonieDéfinitionL'anhédonie est un symptôme médical retrouvé dans certaines pathologies psychiatriques et parfois chez le sujet exempt de trouble. Il caractérise l'incapacité d'un sujet à ressentir des émotions positives lors de situations de vie pourtant considérées antérieurement comme plaisantes. Cette incapacité est fréquemment associée à un sentiment de désintérêt diffus. L'anhédonie, perte de la capacité à ressentir des émotions positives, est fréquemment observée au cours de la dépression et de la schizophrénie. et les idées suicidaires. Par contre la présence d'asthénie, de diminution de l'intérêt, de troubles du sommeil ou de l'appétit peuvent se rencontrer dans la symptomatologie de la maladie de Parkinson.

2 . 5  -  Les dépressions secondaires à des affections somatiques

Elles posent en fait le problème du défaut de leur diagnostic. S'inscrivant dans le cadre d'une maladie grave comme le diabète, le cancer ou l’insuffisance cardio-respiratoire, elles restent encore insuffisamment  évoquées  et  par  conséquent  non traitées. Elles peuvent aussi émailler l'évolution d’une hydrocéphalie à pression normale,  d’une  hypothyroïdie  et  de  toute affection douloureuse chronique. Toutes ces dépressions, même après traitement de la maladie causale, évoluent dans la majorité des cas pour leur propre compte.
On en rapproche les dépressions secondaires à certains traitements médicamenteux tels  les antihypertenseurs centraux ou les neuroleptiques.

2 . 6  -  Les formes mélancoliques imposent une hospitalisation en urgence

Une authentique mélancolie peut survenir chez le sujet âgé. Elle prend l'aspect d'une dépression  intense  avec  prostrationDéfinitionEn médecine, la prostration est un état de faiblesse et de fatigue extrêmes qui se manifeste par l'effondrement des fonctions musculaires du patient et par son immobilité. La prostration se rencontre à la phase terminale de certaines maladies, ainsi qu'au cours de diverses affections psychiatriques.  et mutisme,  ou  au  contraire  agitation  et agressivité. Une perte de poids importante, une insomnie prédominante en fin de nuit sont généralement associées et peuvent  entraîner  des  troubles  somatiques.  Un  épisode  mélancolique  peut représenter l'évolution d'un trouble bipolaire déjà connu ou inaugurer une maladie bipolaire alternant, par la suite, des accès maniaques  et  mélancoliques.  La  notion d'antécédents familiaux est plus rarement retrouvée que chez l'adulte jeune. Ces épisodes  mélancoliques  constituent  des urgences thérapeutiques du fait de leur retentissement  somatique  rapide  et  du risque important de conduite suicidaire.

2 . 7  -  Le risque de suicide

La dépression du sujet âgé est d'évolution lente, confinant le patient dans une souffrance parfois intense et durable, provoquant  ainsi  l'épuisement  de  la  famille comme du médecin traitant. Cette évolution est encore plus nette lorsque le patient présente  aussi  une  maladie  somatique associée.  Une  dépression  aggrave  le niveau de dépendance ou de recours aux soins. Cette évolution est aussi responsable d'un rejet prématuré du traitement, donnant lieu à des prescriptions nouvelles tout  aussi  inefficaces  car  poursuivies insuffisamment longtemps.

Le risque évolutif majeur reste le passage à l'acte suicidaire, qu'il s'inscrive dans le cadre d'un raptusDéfinitionImpulsion brusque entraînant un passage à l'acte immédiat en général violent : on parle de raptus agressif, de raptus suicidaire. anxieux ou qu'il constitue une évolution incontrôlable du trouble dépressif, notamment lorsqu'un vécu délirant est associé. Il doit ainsi être porté une attention particulière aux antécédents personnels et familiaux de conduite analogue, aux  idées  suicidaires  exprimées  par  le patient, qu'elles prennent l'aspect d'une rumination ou d'une menace adressée à l'entourage.  Il  convient  aussi  d'évaluer l'intensité  d'un  éventuel  vécu  délirant notamment lorsque la méfiance et le repli apparaissent au premier plan.

Enfin, rappelons la possibilité de survenue d'un  état  d'opposition  massive  avec mutisme, prostration et refus alimentaire absolu  pouvant  entraîner  le  décès  en quelques jours.

2 . 8  -  Evaluation de la sévérité de l'état dépressif

L'évaluation de la gravité est un guide dans la mise en place d'un plan de soins. Les instruments d'évaluation de la sévérité sont utiles pour apprécier l’efficacité d’un médicament antidépresseur, mais la plupart ont été établis pour une population adulte et leur usage dans la population âgée est réservé.

Les instruments les plus utilisables (voir annexe) sont :

  • la Geriatric Depression Scale de Brink et Yesavage, autoquestionnaire de 30 items
  • la Montgomery and Asberg Depression Rating Scale (MADRS)
  • l'échelle  de  dépression  d'Hamilton (Hamilton  Depression  Rating  Scale, HDRS)
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