2 . 4  -  La variabilité intra-individuelle

L'ensemble de l'organisme est soumis à des variations. Certaines sont dues à des horloges internes très peu sensibles à l'extérieur et d'autres sont soumises à des synchroniseurs externes. La concentration de vitamine D diminue l'hiver du fait d'un moindre ensoleillement (variation circanuelleDéfinitiondont la durée, la période, est d'environ un an.).  Pendant  le  sommeil,  les  ondes électro-encéphalographiques se modifient par rapport à l'état de veille (variabilité circadienneDéfinitionse dit d'un rythme biologique dont la période est d'environ 24 heures.). Après un repas, la glycémie s'élève et la pression artérielle baisse. Le coeur s'accélère à l'effort ou lors d'une émotion, etc…

L'évolution des variations des différents paramètres au  cours  du  vieillissement n'est  pas  standardisée.  Ainsi,  certaines variations sont moindres, comme l'accélération du rythme cardiaque à l'effort ou la modification  électro-encéphalographique entre état de veille et état de sommeil au cours d'enregistrements de longue durée.
D'autres variations  sont  plus  accusées comme la baisse tensionnelle et l'hyperglycémie postprandiale.

D'une façon plus générale, il y a une plus grande sensibilité de l'organisme  aux agressions extérieures, telles que la chaleur ou les infections avec des réactions plus intenses (déshydratation à la chaleur, syndrome inflammatoire lors d'une infection). Les réponses homéostasiques hormonales peuvent être retardées ou exagérées dépassant leur but et un retour à l'équilibre plus lent.

Toutefois, pour de nombreux paramètres biologiques, cet accroissement est d'importance assez modeste et on admet que la variabilité  de  l'individu  s'accroît  moins avec l'âge que la variabilité entre les individus.

Certains auteurs en déduisent la nécessité d'un abandon chez les personnes âgées de la notion de normalité définie comme le fait d'être à l'intérieur des valeurs de références. Ils soutiennent que la seule "vraie normalité" est celle de la stabilité de l'individu par rapport à son propre état antérieur.

2 . 5  -  La variabilité inter-individuelle

La variabilité entre les individus s'accroît avec l'avance en âge. Ce n'est pas spécifique de l'espèce humaine. Si on considère des semis de plantes, ils se ressemblent tous, et quelques années ou décennies plus tard les arbres auxquels ils donnent naissance ont une variété infinie de taille, de forme et de coloris. Traduit en terme statistique, cela signifie que la variance entre les individus (ou sa racine carrée, c'est-à-dire son écart typeDéfinitionEn mathématiques, plus précisément en statistiques et probabilités, l'écart type mesure la dispersion d'une série de valeurs autour de leur moyenne. Dans le domaine des probabilités, l'écart type est une quantité réelle positive, éventuellement infinie, utilisée pour caractériser la répartition d'une variable aléatoire réelle autour de sa moyenne. En particulier, la moyenne et l'écart type caractérisent entièrement les lois gaussiennes à un paramètre réel, de sorte qu'ils sont utilisés pour les paramétrer. Plus généralement, l'écart type, à travers son carré, appelé variance, permet de caractériser des lois gaussiennes en dimension supérieure. Ces considérations ne sont pas sans importance, notamment dans l'application du théorème de la limite centrale. En statistiques, plus particulièrement en théorie des sondages, ainsi qu'en métrologie, l'écart type (standard deviation en anglais) tente d'évaluer, à partir d'un échantillon soumis au hasard, la dispersion de la population tout entière. On distingue alors l'écart type empirique (biaisé) et l'écart type empirique corrigé dont la formule diffère de celle utilisée en probabilité. Les écarts types connaissent de nombreuses applications, tant dans les sondages, qu'en physique (où ils sont souvent nommés RMS par abus de langage), ou en biologie. Ils permettent en pratique de rendre compte des résultats numériques d'une expérience répétée. En finance l'écart type est une mesure de la volatilité d'un actif.) augmente avec l'âge et que retenir une valeur moyenne à 60 ans par exemple n'a pas grand sens si on n'y ajoute pas les valeurs d'un intervalle de confiance  à  un  seuil  statistique  donné, habituellement 95 %.

Les explications de cet accroissement avec l'âge de la variabilité entre les individus sont multiples. Une des grandes découvertes  de  ces  20  dernières  années  est l'existence de différences génétiques entre les individus qui ne s'expriment qu'à un âge avancé, notamment dans le domaine des maladies dégénératives.

Une autre cause de variabilité est la multiplicité des phénomènes acquis depuis la naissance : l'éducation, la pratique d'exercices  physiques,  les  traumatismes,  les antécédents  pathologiques,  les  événements sociaux, déterminent au cours de l'existence  des  évolutions  qui  font  que même de vrais jumeaux peuvent différer sensiblement.

La variabilité intra-individuelle, qui s'accroît avec l'âge, contribue à la variabilité inter-individuelle.

La manière de sélectionner la population d'une étude peut entraîner des artefacts. Ceux-ci  proviennent  habituellement  du fait que sans s'en rendre compte on est passé à la description d'un phénomène de vieillissement  optimal.  Supposons  par exemple que 95 % des individus de 20 ans puissent courir 100 mètres entre 13 et 25 secondes. Supposons qu'en considérant 95 % d'une population de gens de 70 ans, incluant ceux qui ont une canne ou un fauteuil roulant et ceux qui ont continué à faire du sport toute leur vie, la performance se situe entre 17 secondes et 10 minutes. La réalité biologique va bien dans le sens d'une augmentation de la variabilité entre individus. Supposons maintenant que l'on veuille étudier un sous-groupe réputé en bonne santé et qui, de fait, a en permanence continué une activité sportive, personne n'aura ni canne, ni fauteuil
roulant  et  les  performances  dans  ce groupe, risquent bien de se situer entre 17 et 28 secondes, c'est-à-dire avec une variabilité entre les individus égale, voire inférieure à celle qu'elle était à 20 ans.

Il y a, par ailleurs, des exceptions à la variabilité : la perte de l'accommodation vers 40-50 ans (la presbytie) ou la perte de la fonction de reproduction chez la femme au-delà de 50 ans. La variabilité entre les individus devient très faible voire nulle : aucune  femme  ne  peut  avoir  d'enfant après la cinquantaine  (sauf à se  faire implanter un embryon artificiellement !).

2 . 6  -  Les essais thérapeutiques chez les personnes âgées

Les essais thérapeutiques sont régis par la loi du 20 décembre 1988 dite Loi HURIET-SERUSCLAT. La première caractéristique des essais thérapeutiques chez les personnes âgées est leur insuffisance numérique.

 Legifrance.gouv.fr. Loi n°88-1138 du 20 décembre 1988 relative à la protection des personnes qui se prêtent à des recherches biomédicales [en ligne].

Tous les médicaments (en dehors des produits à visée obstétricale et pédiatrique) sont  susceptibles  potentiellement  d'être prescrits à des malades âgés. Or ils sont très peu étudiés dans ce groupe. Selon une analyse internationale récente des essais thérapeutiques publiés, l'échantillon des plus de 65 ans représente 5 % des patients inclus  dans  les  essais,  alors  que  cette même classe d'âge représente 15 % de la population générale et 40 % de la population des consommateurs de médicaments.
On est tenté de rapprocher cette insuffisance numérique des essais (et l'insuffisance de la connaissance des effets qui en découle) de la forte iatropathologie médicamenteuse chez les malades âgés. Celle-ci est responsable d'une hospitalisation sur dix après 65 ans.

Spontanément,  l'industrie  pharmaceutique tend à considérer les sujets âgés dans les essais de phase I et IV, mais pas assez dans les phases II et III.

En phase I, l'industrie a obligation de réaliser  une  expertise  pharmacocinétique chez les sujets âgés sains. Celle-ci est réalisée soit dans des officines de recrutement de volontaires sains de tous âges soit dans quelques services hospitaliers de gériatrie (moins de 10 en France) ayant un agrément pour effectuer des recherches "sans bénéfice individuel direct" (SBID) sur des volontaires âgés. Les critères de sélection sont stricts aboutissant à retenir quelques sujets très actifs voire sportifs, ne fumant pas, ne buvant pas, ne prenant aucun médicament, ne souffrant d'aucune pathologie, représentatifs en quelque sorte d'un vieillissement optimal. Au terme de cette expertise, l’information selon laquelle les paramètres  pharmacocinétiques  principaux (vitesse d'absorption, volume de distribution, clearance, demi-vie) sont ou non légèrement modifiés par rapport à l'adulte jeune est certes une information intéressante, mais peu prédictive des effets thérapeutiques ou délétères que l'on va observer chez les malades âgés.

La recherche des doses maximales tolérées est aussi parfois réalisée en phase I chez des malades âgés hospitalisés pré- sentant la maladie cible du médicament.
Même encadrés par la limitation aux services agréés pour la recherche SBID et par l'accord des Comités de protection des personnes se prêtant à des recherches biologiques (CCPPRB), ce type d'essai pose des  problèmes  éthiques  difficiles  et  ne devrait pas utiliser des gammes de dose aussi élevées que chez l'adulte jeune. En tout cas, ces études ne devraient pas être entreprises tant que les résultats complets d'essais  identiques  chez  l'adulte  jeune n'ont pas été recueillis et analysés.

En phase IV, c'est-à-dire après commercialisation,  les  gériatres  sont  sollicités assez  souvent  pour  réaliser  des  essais ouverts non comparatifs visant à préciser d'éventuels effets secondaires particuliers aux personnes âgées. Ces essais non comparatifs sont particulièrement inadaptés, car :
• ils placent la gériatrie à part dans les disciplines médicales, hors du champ des essais randomisés, les seuls aboutissant à des conclusions fiables.
• ils ne vérifient pas l'efficacité chez le malade âgé, ce qui supposerait une méthodologie comparative
• en envisageant d'apprécier la tolérance sans apprécier simultanément l'efficacité,  ils  peuvent  déboucher  sur  des appréciations erronées dans la mesure où, par exemple, un médicament administré à une dose inefficace peut être mieux toléré qu'à dose efficace.

Ce sont donc les essais thérapeutiques de phase II et III (choix de la dose efficace, vérification de l'efficacité et de la tolérance)  qui  doivent  être  développés  en gériatrie pour tout nouveau produit.

Cinq points sont à prendre en compte :

  • Les critères de sélection doivent être tels que les malades sont dans une situation stable avec une faible variabilité intra-individuelle permettant donc d'imputer les variations du paramètre mesuré à la prise du médicament. Pour autant, il ne faut pas sous prétexte de réduire la variabilité interindividuelle que les critères, aboutissent à sélectionner une minorité des malades présentant la maladie, en excluant notamment tous les cas de co-morbidité et de co-médication.
  • Les outils d'appréciation de l'efficacité et de la tolérance doivent être simples et interprétables même en cas de co-morbidité ou de co-médication ; ceci amène volontiers à adapter ou simplifier un certain nombre d'outils d'évaluation prévus pour apprécier la sévérité des maladies chez l'adulte.
  • Le consentement des malades âgés à participer à l'essai doit être donné par écrit ou en cas d'impossibilité (cécité par  exemple)  oralement  devant  un témoin totalement indépendant de l'industriel et de l'investigateur gériatre. Ce consentement vaut pour les malades présentant  une  démence  légère  à modérée (sans mesure de protection juridique) pour autant qu'ils comprennent les grandes lignes des contraintes de l'essai et que d'éventuelles modifications comportementales pendant l'essai puissent en permanence être interprétées par les investigateurs comme un possible refus non verbalisé de pour- suivre l'essai. Ce consentement ne vaut pas pour les démences sévères où toute recherche se trouve de fait interdite (alors qu'elle  serait  particulièrement nécessaire), ni pour les malades faisant l'objet d'une mesure de protection juridique pour lesquels le consentement du juge des tutelles est requis. Le consentement de la famille doit être recherché, car il est un gage de bonne observance du protocole mais il n'a pas de valeur juridique.
  • Le  protocole  doit  prévoir  dans  les essais au long cours (plusieurs mois), pour  des  affections  chroniques,  des possibilités d'arrêt temporaire lors de survenues  d'événements  indésirables intercurrents  compromettant  temporairement  la  prise  des  médicaments (par exemple pneumopathie infectieuse intercurrente avec difficulté à déglutir) et doit prévoir l'éventualité fréquente d'arrêts définitifs lors de la survenue d'événements  indésirables  intercurrents  sévères  ou  définitifs.  Ces contraintes obligent à augmenter d'autant le nombre de sujets nécessaires à inclure pour démontrer l'efficacité.
  • La variabilité interindividuelle de l'efficacité voire de la tolérance, doit faire l'objet d'une recherche explicative afin d'en trouver d'éventuels déterminants. La pratique systématique de quelques prélèvements pour réaliser une banque de données de "pharmacocinétique de population" doit être prévue dans le protocole en mesurant simultanément les paramètres habituellement reliés à cette variabilité : outre l'âge et le sexe, il faut considérer le poids, la clairance de la  créatinine,  le  degré  de  mobilité, l'existence d'une dénutrition et/ou d'un syndrome  inflammatoire,  la  prise conjointe d'autres médicaments.

2 . 7  -  Les causes de mortalité

En France, les principales causes de mortalité sont, dans l'ordre, les maladies de l'appareil circulatoire, les tumeurs et les maladies de l'appareil respiratoire. Dans la
population générale, l'ensemble traumatismes-intoxications-suicides,  qui  ne constitue pas une véritable entité pathologique, s'intercale en troisième position de ce classement. Dans les tranches d'âge les plus élevées, la pathologie de l'appareil respiratoire devance ce dernier groupe en raison,  essentiellement  de  la  mortalité consécutive aux pathologies infectieuses.
Entre 65 et 79 ans, la pathologie tumorale est au premier rang des causes de mortalité (tableau 4).

Parmi les personnes décédées d'une affection de l'appareil circulatoire ou de l'appareil respiratoire, environ 90 % sont âgés de plus de 90 ans ; pour les pathologies tumorales, les décès  des personnes de plus de 65 ans représentent environ 70 % de l'ensemble.  Les  comparaisons  entre  sexes m o n t rent  que  la  mortalité  suite  à  des tumeurs est plus fréquente chez l'homme, surtout entre 65 et 79 ans, et celle par une affection de l'appareil circulatoire plus fréquente chez la femme (dans la population générale et après 80 ans).

Tableau 4 : Principales causes de mortalité dans la population française - 1995
Causes principales Total 65-79 ans
% (1)
> 80 ans
% (1)
 Appareil
circulatoire
 171 652 45 467
(26,5)
 109 377
(63)
 Tumeur 146 641 58 756
(40)
 45 166
(31)
 Appareil respiratoire
 40 130 9 808
(17,5)
 26 877
(67)
 Traumatismes, intoxications, suicides
 44 838 7 891
(24,5)
 13 989
(31)
(1) % par rapport au total de décès dans le type de pathologie causale
3/5