Introduction

Pourquoi la gériatrie s’intéresse-t-elle aux notions de démographie, d’épidémiologie, de sociologie et d’économie qui semblent éloignées des soins ?

Ces notions permettent de rectifier certaines idées fausses qui circulent  à propos des personnes âgées : «Le vieillissement explique l’essentiel de l’augmentation des dépenses  de  santé»,  «Les  vieux  vivent pour la plupart en maison de retraite», «Je décide de l’utilité d’une intervention chirurgicale chez un patient de soixante dix ans en fonction de son espérance de vie  à la naissance» (et non pas de l’espérance de vie à soixante dix ans, à supposer que même l’âge soit pertinent), «Les vieux sont tous les mêmes» (alors que les différences entre individus augmentent avec l’âge).

L’épidémiologie  est  indispensable  à  la bonne organisation des filières de soins aux  personnes  âgées,  notamment  à  la bonne utilisation des moyens humains et financiers. L’exercice gériatrique ne peut se  passer  d’une  réflexion  sur  la  santé publique, la norme ou la normalité, la pertinence et la hiéarchisation des actions et l’analyse économique du système sanitaire et social. Ne pas prendre en compte ces grandes dimensions de la santé publique pourrait conduire le praticien ou le décideur de santé à des prises de décision en contradiction avec l’éthique.

1  -  Démographie


La démographie a pour objet l'étude des populations dans une approche principalement quantitative. En France, des recensements sont effectués à moins de dix ans d'intervalle. Les résultats du recensement de  1999  sont  attendus.  Les  données concernant le XXIe siècle sont issues de projections  démographiques  établies selon diverses hypothèses.

1 . 1  -  Les chiffres clés de la population française (tableau 1)

Entre 1950 et 2000, la population française s'accroît  de  18  millions  de  personnes (tableau 1). Cette forte augmentation de la population totale est due à l'accroissement
naturel, mais aussi pour plus de 30 % à l'accroissement de la population âgée de 60 ans ou plus. Cette dernière a doublé (tableau 1). Cette forte augmentation de la population va de pair avec un vieillissement de la population. Ce vieillissement résulte de l'effet conjugué de la baisse de la natalité (indice de fécondité passant de 2,67 en 1958 et 1,75 en 1998) et la baisse de la mortalité chez les sujets âgés de 60 ans ou plus. Au début du XXe siècle, les sujets âgés de 60 ans ou plus représentaient un peu plus de 12 % de la population totale et ceux de moins de 20 ans plus d'un tiers de la population. Au milieu des années cinquante, ces proportions étaient respectivement de 16 et de 31 %. En 2000, elles devraient être de plus de 20 % et de 26 % seulement. Ainsi, la proportion des 60 ans ou plus a-t-elle presque doublé au cours de ce siècle. Mais il devrait y avoir aussi pratiquement doublement entre 1920 et 2020. La population des 85 ans ou plus pose d'importants problèmes d'accueil. De 200  000  personnes  en  1950,  l'effectif devrait approcher de 1 250 000 en 2000 et dépasser  les  2  millions  en  2020...  Le nombre  de  centenaires,  de  l'ordre  de quelques  centaines  dans  les  années
soixante, et d'un peu plus de 5 000 au milieu des années quatre vingt dix, devrait dépasser les 8 000 en l'an 2000 et les 21 000 en 2020...

Tableau 1 : Chiffres clés de la population française entre 1950 et 2020 (exprimés en milliers)
Année Pop. totale Naissances Décès (1) 60 ans ou plus 75 ans ou plus 85 ans ou plus
 1950
1980
1990
2000
2010
2020
 41 647
53 731
56 577
59 412
61 721
63 453
 858,1
 858,1
800,4
742,5
710,1
703,0
 530,3
547,1
526,0
533,2
562,3
602,1
 4 727
7 541
7 872
9 444
14 102
16 989
 1 565
3 079
3 838
4 225
5 506
6 009
 201
567
874
1 236
1 514
2 099
(Source INSEE) (1) Projections : indice de fécondité de 1,8, mortalité tendancielle

1 . 2  -  Comparaisons internationales

Dans l'Union Européenne, la France n'a pas la population la plus "vieillie" alors que c'était  le  cas  juste  après  la  deuxième guerre mondiale. Pour la proportion de personnes âgées de 65 ans ou plus, groupe d'âge retenu pour les comparaisons internationales, la France arrive en huitième position à égalité avec la Grèce, derrière la Suède, le Royaume Uni, le Danemark, l'Allemagne, la Belgique, l'Italie et l'Autriche.
Hors  Union  Européenne,  elle  est  aussi devancée par la Suisse et le Japon. Pour les sujets âgés de 75 ans ou plus, la France arrive en cinquième position derrière la Suède, l'Allemagne, le Royaume Uni et le Danemark. Pour les 85 ans ou plus, la France  est  au  premier  rang.  Des  problèmes importants concernant le vieillissement  vont  intéresser  des  régions  du monde  qui  subissent  actuellement  une mutation démographique rapide comme la Chine ou l'Amérique Latine. L'Afrique reste le continent qui, du fait de sa forte fécondité et de problèmes affectant l'ensemble de sa population, ne connaît pas encore de vieillissement significatif. Dans tous les pays, l'urbanisation, les modifications des structures familiales et dans la plupart d'entre eux le développement de l'activité professionnelle féminine entraînent des changements de la place et du rôle des personnes âgées.

1 . 3  -  Pyramide des âges

La forme de la pyramide des âgesDéfinitionLa pyramide des âges est un mode de représentation graphique de la structure (sexe, âge) d'une population qui constitue une image synthétique puissante du passé, du présent et du futur de celle-ci. [1La pyramide des âges représente la répartition par sexe et âge de la population à un instant donné. Elle est constituée de deux histogrammes juxtaposés, un pour chaque sexe (par convention, les hommes à gauche et les femmes à droite), où les effectifs sont portés horizontalement et les âges verticalement. Les effectifs par sexe et âge dépendent des interactions passées de la fécondité, de la mortalité et des migrations. Mais la forme de la pyramide et les variations de celles-ci avec les années sont avant tout tributaires des variations de la fécondité. est riche de significations. En fonction de l'inertie des  phénomènes  démographiques,  elle nous renseigne sur les équivalences et les déséquilibres  actuels  mais  aussi  largement, s'agissant des personnes âgées en devenir, des perspectives d'avenir. Il s'agit d'une représentation usuelle à prendre en considération avec soin (figure 1).

Figure 1 : Population de la France Evaluation provisoire au 1er janvier 1999

1 . 4  -  Longévité et durée de vie

Elle correspond au maximum de survie des individus dans des conditions idéales de vie. Cette longévité pourrait atteindre 120  ans  et  la  vieillesse  ne  commencer qu'à... 100 ans (près de 150 000 centenaires prévus en 2050). "Une telle perspective qui suppose que l'homme ait réussi à maîtriser les mécanismes fondamentaux du vieillissement cellulaire n'est cependant pas envisageable dans les horizons temporels de nos projections" (INSEE, Economie et Statistique n° 274, 1994-4).

 Persee : Portail des revues en sciences humaines et sociales. Economie et statistique [en ligne]. 1994, N°274.

1 . 5  -  Espérance de vie

L'espérance de vie est un indicateur fondamental de santé publique, très souvent mis en avant mais qui ne rend pas compte de l'état de santé d'une population.

  • Le plus souvent, l'espérance de vie est présentée à la naissance mais les espérances  de  vie  à  60  ans  (âge  de  la retraite), à 75 ans et à 85 ans (âge d'entrée en établissement d'hébergement collectif) sont utiles à étudier.
  • L'espérance de vie à la naissance ( E . V. ) connaît  des  progrès  considérables. Il n'y a pas grand chose de commun  entre  les  espérances  de  vie actuelles par sexe (près de 75 ans pour les hommes, plus de 82 ans pour les femmes) et celles du début du siècle (environ 45 ans pour les hommes et environ  50  ans  pour  les  femmes). L'augmentation de l'espérance de vie à la  naissance  a  été  provoquée  tout d'abord par la réduction de la mortalité infantile et de la mortalité des jeunes adultes ; elle a été ensuite due à la dimi nution de la mortalité aux âges élevés, surtout depuis les années cinquante. Depuis 1900, l'E.V. des populations des pays industrialisés a gagné environ 30 ans. L'accroissement de l'E.V. est sensible s'agissant des dernières décennies, même s'il y a eu un certain ralentissement (tableau 2).

    Environ quatre ans ont été gagnés entre 1980 et 1998. La différence entre les espérances de vie féminine et masculine  de  l’ord re  de  huit  ans,  re n d compte  d’un  très  important  phénomène  de  surmortalité  masculine  de l'ordre de huit ans qui n'est pas prêt de s'estomper. La surmortalité masculine en France est l'une des plus élevée des pays  industrialisés.  Elle  devrait  se réduire à partir du deuxième quart du XXIe siècle. L'E.V. varie selon les catégories  socio-professionnelles  et  les régions. Elle rend bien compte des différences en matière de niveau d'éducation et de mode de vie (notamment s'agissant  des  comportements  à risque : tabagisme, alcoolisme).
Tableau 2 : Evolution de l'espérance de vie à la naissance en France par sexe de 1789 à 2020
Sexe 1789 1900
 1955 1980
 1990 1998
 2020
 Masculin 28 45 65 70,2 72,7 74,6 77,9
 Féminin 28 4972
 78,4 80,982,2 86,4
(Source INSEE)
  • L'espérance de vie aux âges élevés a fortement  pro g ressé.  A  60  ans,  elle n'était, au début du siècle, que de 13 ans pour les hommes et d'un peu moins de 15 ans pour les femmes. Elle est aujourd'hui de plus de 20 ans et de près de 26 ans et en 2020 elle devrait être respectivement de l'ordre de 23 ans et de 28 ans, soit pour le sexe féminin de près du double de ce qui était constaté 120 ans plus tôt. A 85 ans, alors même que la situation des françaises peut être qualifiée  d'exceptionnelle  (avec  celle des japonaises), les progrès attendus continuent à être importants : environ six  ans  et  demi  d'espérance  de  vie actuellement, un an de plus en 2020, le progrès étant un peu moins net pour le sexe masculin (un peu plus de cinq ans et moins de six ans) (tableau 3).
    L'écart  entre  les  espérances  de  vie féminine et masculine aux âges élevés restera important et ne diminuera pas avant le deuxième quart du XXIe siècle. A 60 ans, l'écart entre les espérances de vie  masculines  selon  les  catégories socio - professionnelles  en  positions extrêmes (professeurs d'une part et ouvriers non qualifiés d'autre part) est d'environ cinq ans et n'a pas tendance à  diminuer.  Les  différences  entre régions sont également sensibles, de l'ordre de trois ans pour le sexe masculin : Poitou Charentes et Midi-Pyrénées d'une  part  et  Nord -Pas-de-Calais d'autre part.


  • L'espérance de vie sans incapacité (EVSI) est un indicateur synthétique de l'état de santé de la population. Il distingue les années vécues en incapacité du fait d'affections génératrices de handicap. Sa mesure reste difficile car elle se heurte à divers écueils dont la notion d'incapacité  elle-même  (incapacité sévère, incapacité modérée). Il ne fait cependant pas de doute que les années de  vie  gagnées  lors  des  dernières années, à 60 ans, l'ont été, très largement si ce n'est totalement, sans incapacité sévère. Cependant, même si le nombre moyen d'années à vivre sans incapacité tend à augmenter, l'accroissement des effectifs de la population âgée s’accompagnera très vraisemblablement d’un accroissement de la population âgée dépendante d'ici 2010 et plus encore en 2020, même dans le scénario dit optimiste. Il y a lieu de prévoir un accroissement du nombre de lits de structures d'hébergement collectif et un appel plus large à l'aide à domicile. Il en résulte que la démarche de prévention que  l'on  annonce  comme  l'une  des grandes priorités du XXIe siècle sera de plus en plus une ardente obligation de l'action gérontologique en vue de la réduction des causes d'incapacité et de handicap.
Tableau 3 : Evolution de l'espérance de vie à 60, 75 et 85 ans par sexe de 1950 à 2020
Sexe Age 1950 1980 1990 2000 2010 2020
 Masculin 60
75
85
 15,4
7,0
3,7
 17,3
8,3
4,5
 19,0
9,4
4,9
 0,3
10,1
5,2
 21,6
10,8
5,6
 22,8
11,6
5,9
 Féminin 60
75
85
 18,4
8,4
4,4
 22,4
10,7
5,4
 24,2
12,0
6,0
 25,7
13,0
6,5
 27,1
14,0
71
 28,4
14,9
7,6
1/5