4  -  Dépistage et prédiction en génétique


La médecine prédictive désigne toute démarche qui cherche à déterminer, parfois longtemps à l'avance, quelles maladies frapperont un sujet. Cette tentation de prédire l’avenir, pour tenter de le modifier, semble faire partie des plus anciens rêves de l’humanité.
En médecine, l’avènement de la génétique a donné une nouvelle forme à ces pratiques, les rendant plus scientifiques et parfois efficaces. Contrairement à la démarche curative où le médecin est sollicité par un sujet souffrant qui requiert des soins, les situations de dépistage et de prédiction s’adressent à des personnes a priori saines, qui ne formulent pas de plainte et qui, parfois, ne demandent rien. Alors qu’elles se sentaient « en bonne santé », elles pourront se découvrir « malades » ou « futures malades ».

Aujourd’hui, les possibilités prédictives ne concernent véritablement qu’un petit nombre de maladies dont le déterminisme génétique est fort et peu influencé par l’environnement (l’exemple le plus souvent cité est celui de la chorée de Huntington, affection neurologique grave qui débute à l’âge adulte). Cependant, avec l’acquisition de nouvelles connaissances et de nouvelles techniques d’exploration du génome humain, les perspectives d’extension de la médecine prédictive à de nombreuses affections plus communes telles que le diabète, l’obésité ou les cancers, par la recherche de facteurs de susceptibilité génétique, semblent probables. Le but serait de mieux protéger les sujets reconnus comme vulnérables en leur proposant une prise en charge adaptée.

Déclinaison des conflits de valeur sous forme de questions :
Sommes-nous bien sûrs que le patient tirera plus de bénéfices que d’inconvénients d’une telle connaissance ? Peut-on, sans risque d’erreur, appliquer des données probabilistes à des prises en charge individuelles ? S’agit-il de prédire quelque chose de prédéterminé et d’irrémédiablement fixé ou plus simplement de prévoir ce qui peut arriver, en reconnaissant une marge d’incertitude ? Comment prendre en compte la tension existentielle révélée par ces pratiques, mélange de plusieurs sentiments contradictoires : la tentation de savoir, l’espoir d’échapper au mal, la volonté de le combattre par tous les moyens, la peur de se sentir prisonnier de son destin, le désespoir face à la finitude… ? Comment préserver l’autonomie et la liberté de choix des patients face, notamment, aux pressions de la médecine, de la société ou des fabricants de tests génétiques ? Comment éviter les risques de discriminations pour l’accès à des assurances-vie, des crédits ou l’emploi ?

Le diagnostic présymptomatique : pour un encadrement des pratiques.
L’expérience des équipes pluridisciplinaires de diagnostic présymptomatique montre l’absolue nécessité :

  • de délivrer une information précise sur le but, les limites et les perspectives du test et de laisser un temps de réflexion suffisant entre la demande de test génétique et sa réalisation
  • que ce temps ne soit pas qu’un temps d’attente mais encore un temps d’élaboration de la volonté de la personne, aidée par le généticien, le clinicien spécialiste de la maladie et le psychologue selon un protocole type
  • que, vigilants par rapport au droit de savoir, les praticiens n’en négligent pas pour autant la liberté de ne pas savoir
  • de préserver la confidentialité des données obtenues.


Médecine personnalisée : médecine de demain ?

Le meilleur argument de promotion des tests de susceptibilité est l’annonce de l’avènement d’une médecine personnalisée. Selon ce modèle, chacun, informé de ses fragilités constitutionnelles, pourrait en sujet conscient et responsable, organiser sa vie. Cependant, ce modèle oublie de prendre en compte le fait que les comportements humains ne se laissent jamais enfermer dans une logique mathématique. Il n’est que d’observer les résistances et les phénomènes d’évitement que rencontre toute campagne de prévention –prévention routière, lutte contre le tabagisme ou information sur les maladies sexuellement transmissibles – pour imaginer que, face à des risques prévisibles, les comportements dits « rationnels » ne seront pas forcement la règle.
Nous ne pouvons donc qu’interroger ce modèle construit sur deux incertitudes. Sera-t-on un jour capable de calculer avec précision des risques individuels pour les maladies communes ? Les personnes à risque changeront-elles leurs comportements en conséquence, de façon raisonnée et sur le long terme ?

Dans un avenir proche, ces questions vont sans doute se complexifier :

  • du fait du développement, devenu techniquement possible et à moindre frais, de tests génétiques explorant tout ou partie des génomes individuels
  • du fait d’une industrialisation et d’une privatisation des laboratoires ainsi que de la mise à disposition, via les nouveaux outils d’information et de communication, de ces tests prédictifs
  • en cas d’extension de l’usage des tests prédictifs, en particulier en période néonatale, prénatale voire préimplantatoire, ou en dehors du champ strictement médical.
4/4