Nous aborderons la place de l’enfant dans la société à travers les âges sur un plan sociologique, avant de présenter l’histoire de la puériculture et de la pédiatrie.
Enfin ce chapitre sera complété par quelques notions d’épidémiologie et de démographie en périnatalité.
Les peuples d’Egypte ancienne considèrent le mariage comme un lien sacré et accordent une grande importance à la vie de famille. Les Egyptiens se marient souvent avec des membres de leur famille afin de s’assurer que les épouses aient un niveau social proche du leur et de promouvoir les liens de parenté. Les filles se marient généralement aux environs de l’âge de 12 ans.
Dans la famille chacun a un rôle à jouer. Le père travaille toute la journée. Dans les foyers de petite taille, la mère est en charge de tout ce qui concerne la maison. Elle doit s’occuper de la cuisine, du ménage et des enfants. Dans certaines maisons, plus grandes, des domestiques aident la mère de famille.
Après la naissance, les parents se dépêchent de donner un nom au nouveau-né car il n'y a pas d'existence sans nom. Si le désir d'avoir un garçon prédomine, les filles sont cependant bien accueillies. En fait, toute naissance est une joie. La préférence pour les enfants de sexe masculin est liée au fait que le fils fait vivre le nom de son père, qu'il est chargé de l'enterrer et d'entretenir sa tombe.
Vers l'âge de 4 à 5 ans, les enfants commencent à aider leurs parents. Les garçons participent aux travaux des champs, apprennent les rudiments du métier exercé par leur père. Les filles s'initient aux tâches ménagères.
Les Egyptiens adorent les enfants et les considèrent comme une immense bénédiction. Dans le cas où un couple ne parvient pas à concevoir un enfant, il peut recourir à l’adoption.
La société romaine, comme la plupart des civilisations anciennes, est organisée en classes d’âge conduisant le jeune Romain à parcourir un certain nombre d’étapes avant de pouvoir exercer son métier de citoyen. Cette répartition en classes d’âge, au lieu de faire de la vie humaine un flux continu, la fait apparaître comme une succession d’états bien distincts, dont les rites assurent les transitions.
La « faiblesse » constitutive de l’enfance (son incapacité à parler un langage articulé) est probablement l’un des traits les plus caractéristiques de la civilisation romaine. L’enfant est vu comme un être imparfait, pas « terminé » donc malade et fragile d’où le fort taux de mortalité. La progressive intégration dans la culture se fait dès la naissance, par un geste rituel qui signifie l’acceptation de l’enfant par son père. Le bébé doit être soulevé de terre puis pris dans les bras par son père. Ce geste signifie que le père reconnaît son fils, s’engage à le nourrir et en même temps établit ses droits sur lui. Si l’enfant est une fille, le père ordonne seulement de l’alimenter. Si l’intégration n’est pas acceptée le bébé est exposé sur la voie publique (abandonné), étouffé ou simplement privé d’aliments.
Un second rite marque l’entrée de l’enfant dans la vie sociale. Neuf jours après sa naissance s’il est un garçon, huit jours après si c’est une fille l’enfant reçoit son nom.
Jusqu’à ce qu’il soit sevré, à environ 3 ans, le nourrisson est indifféremment allaité par sa mère ou par une nourrice. Le nouveau-né et le nourrisson subissent un modelage du corps par l’emmaillotement et massages. La nourrice et le personnel servile vont contribuer à former la parole de l’enfant jusqu’à sa septième année, veiller sur ses premiers pas, le guider dans ses premières découvertes.
L’âge de 7 ans, « âge de raison » selon Cicéron, est considéré par les Romains comme un « cap ». L’enfant, sevré et disposant du langage, commence à participer à la vie familiale en assistant son père. En l’absence du père, d’autres membres de la maisonnée, en particulier la mère, les grands-parents ou les oncles paternels, contribuent à parfaire l’éducation des enfants. L’éducation romaine est donc une éducation familiale. Dans les couches aisées de la population, l’enfant est d’abord élevé à la campagne, au grand air et loin des tentations urbaines ; puis il est ramené en ville pour pouvoir suivre les pas de son père. L’apprentissage essentiel dans la vie du jeune Romain, c’est son initiation à la vie civique. La fonction du père de famille est principalement, par le mariage et l’adoption, de transmettre l’héritage et de reproduire la famille, et donc la cité. A la maison, l’enfant assiste son père dans tous les gestes du culte privé. Il apprend en regardant, puis en imitant. Moins de renseignements sur l’éducation des filles sont connus. Généralement, la fillette commence à apprendre auprès de sa mère les travaux domestiques qui lui vaudront une réputation de bonne épouse. Elle peut aller à l’école apprendre les rudiments d’écriture, de lecture et de calcul, mais ne poursuit pas ses études au-delà de 11 ans. En accompagnant son père, le garçon apprend aussi les comportements à adopter, les règles de vie en société, en particulier celles qui prévalent dans les milieux sénatoriaux. L’autre enseignement fondamental qui est dispensé au petit Romain est la maîtrise de l’écriture et la lecture. De 7 à 11 ans, l’enfant reçoit l’enseignement « élémentaire » du maître d’école, dont l’action est présentée comme le prolongement du travail de la nourrice. Vers 11 ou 12 ans, le destin des filles et des garçons, celui des riches et des pauvres se séparent. Seuls les garçons de famille aisée continuent alors à étudier.
La fin de l’enfance à Rome est marquée pour les garçons par une importante cérémonie publique et privée : la prise de la toge virile. A 16 ou 17 ans, même s’il reste sous l’autorité juridique de son père, le jeune homme est socialement décrété adulte. Une grande valeur est accordée par les Romains à ce rite de passage, qui, symboliquement, affranchit l’enfant de toutes les protections qui l’entouraient et le fait accéder au rang de citoyen. Il n’existe pour les filles aucun rite de passage proprement dit. D’ailleurs, contrairement au garçon, la fille ne se définit pas à Rome à travers des classes d’âge, mais en fonction de son état physique et social : elle est puella (diminutif forgé à partir de puer) jusqu’au mariage, puis épouse et mère. La seule étape importante qui marque les deux périodes de la vie d’une femme est le mariage (à partir de 12 ans). Ainsi, après la puberté, les filles sont destinées à devenir tout de suite épouses et mères. Le rite qui les introduit dans la jeunesse correspond à leur fonction sociale : reproduire le corps des citoyens.
Après la chute de l’Empire Romain en 476 débute le Moyen-âge qui est souvent vu comme une période de négation totale de l’enfance. Peu d’enfants passent le cap des premiers mois, la mortalité infantile est très élevée, donc les familles procréent beaucoup. L’âge adulte démarre entre 11 et 14 ans. Cela semble laisser peu de place à l’enfance telle que nous la connaissons actuellement.
L’enfant est vu comme l’aboutissement logique du mariage chrétien qui établit la famille comme une cellule fixe qui repose sur le couple. Ainsi, Thomas d’Aquin écrit : « Tout foyer n’est pas parfait, s’il n’y a pullulement d’enfants ». Le nombre d’enfants par famille médiévale est élevé pour en assurer la survie. La mortalité infantile est d’un enfant sur trois. Il s’agit d’assurer autant que possible la pérennité de la famille. L’enfant a une valeur sacrée à partir du moment où il entre dans la cellule familiale.
Le vocabulaire de la prime enfance est peu développé. Le mot enfant s’applique généralement à celui qui a moins de 15 ans, qui n’a donc pas atteint la majorité selon le droit germanique. Cela suffit-il à dire que le Moyen-âge est une période froide envers l’enfance ? Certains historiens avancent que cette distance face à l’enfance est causée par la mortalité qui impliquait peu d’attachement à l’enfant qui pouvait être amené à disparaître. D’autres affirment que si peu de trace de cette relation existe, c’est parce que l’expression de l’amour pour l’enfant subit les mêmes contraintes au silence que l’expression de l’amour marital. Bons nombres de textes attestent que les enfants étaient perçus pour la famille comme des êtres importants. Le Livre des Manières d’Etienne de Fougères montre ainsi jusqu’où les parents sont prêts à aller pour leurs enfants : emprunts, vol, non-paiement des taxes…L’enfant est protégé dans la société chrétienne : l’avortement, les infanticides, les pratiques contraceptives chez les époux, l’abandon de l’enfant sont un péché mortel réprimé.
Son éducation se fait par le jeu avec ses pairs et l’imitation du modèle parental. Néanmoins, l’adulte doit le corriger dès son plus jeune âge. Les enfants peuvent être battus.
Il existe donc bien un amour filial au Moyen-âge. Néanmoins celui-ci est largement mis à l’écart face à la dureté de la vie et les conditions matérielles. Les enfants sont inhumés avec un soin particulier. Les cimetières des villes sont peuplés de leurs dépouilles. Les plus jeunes sont enterrés aux places les plus saintes de l'église (sous le baptistère, dans les fondations…), les plus âgés sont inhumés "sous la gouttière", c'est-à-dire à l'aplomb de la toiture de l'église paroissiale, pour que leur corps soit perpétuellement baigné de l'eau sanctifiée qui ruisselle du toit. Les autres sont regroupés sous le parvis. Quant aux fœtus, de minuscules tombes étaient parfois creusées dans les fondations mêmes des églises ou dans les conduites d'eau des baptistères afin que leur dépouille baigne dans l'eau bénite jusqu'à la fin des temps. L’enfant à cette époque était vu comme un adulte en miniature.
Durant le XIIème siècle, l’image de l’enfance reste globalement stable. Elle montre l’enfance faite de faiblesse et de fragilité. L’enfance n’est plus seulement ressentie comme une période méprisable ou indifférente parce qu’essentiellement malade. Au-delà de la tendresse même que les parents lui témoignent, il faut désormais considérer l’enfant comme un petit homme mal assuré, dont les rouages et les mécanismes sont encore faibles et qui, de ce fait, demande la plus grande attention et les plus grands soins de la part de son entourage. A sa fragilité interne répond l’importance du milieu dont l’influence est reconnue. L’hygiène apparait comme l’ensemble des mesures propres à conserver ou à améliorer la santé, c’est-à-dire les pratiques permettant de prévenir les maladies (nourriture, milieu, influences diverses de l’air, de l’eau, du lait, influences morales des personnes, etc.), et la thérapeutique entendue comme pratique intervenant lorsque la maladie est là et qui vise à guérir le malade. C’est peut-être à partir de cette distinction essentielle à propos de l’enfance que va naître un siècle plus tard l’idée que, puisque la nature ne semble pas finalisée, l’espèce humaine est perfectible. Hygiène et thérapeutique doivent à la fois se penser séparément et se combiner à l’éducation des enfants en particulier et à celle de la population en général pour améliorer une humanité. La thérapeutique et l’hygiène deviennent alors les éléments importants de l’approche de l’enfance qui témoignent du même souci : relier médecine et éducation en vue de parvenir à une amélioration de l’espèce.
Fin 17e siècle en Angleterre, John Locke est le premier à proposer un discours systématique sur l'enfant, en particulier sur l'éducation à lui donner. Il insiste sur l'importance des renforcements (sanctions positives) pour augmenter la probabilité de voir apparaître un comportement. Une sanction négative fait diminuer cette probabilité. Locke est le précurseur des courants théoriques de la psychologie du développement qui mettent en avant l'importance des apprentissages et conditionnements.
Rousseau, en France, a permis un véritable changement de regard sur l'enfant. Il propose une nouvelle représentation de l'enfance, qui sera adoptée par les pédagogues et la bourgeoisie. La haute société se met à élever ses enfants selon les principes recommandés par Rousseau : pas d'emmaillotement du bébé, allaitement maternel, attachement maternel. Ces différents principes ont modifié les comportements des classes de la haute société, mais les classes les moins favorisées continuent à mettre principalement leurs enfants en nourrice ou à les abandonner si leurs conditions de vie sont trop misérables, ne permettant pas de nourrir une bouche supplémentaire.
« L'Émile ou de l’éducation » (1762) est un traité sur l’éducation. Les principes suivants y sont énoncés :
Rousseau est le premier à proposer que l'enfant soit différent de l'adulte quantitativement et qualitativement. Il contribue à la naissance de la psychologie du développement :
L'intérêt national pour les enfants s'est fortifié après la Révolution de 1789 avec la notion de liberté, égalité et fraternité tenu par les partisans de la démocratie pour tous.
L’industrialisation du 19ème siècle entraîna un exode rural avec l’agrandissement important de certaines villes industrielles (Mulhouse, Lille, Le Creusot…). La demande de main d’œuvre fut forte (guerres Napoléoniennes, introduction de nouvelles machines), c’est pourquoi les femmes et les enfants ont été embauchés en masse. Les enfants étaient exploités (15 heures de travail par jour), même parfois à partir de 5 ans. Les principaux avantages étaient leur petite taille, leur docilité et leurs salaires (1/3 des adultes). La discipline des enfants était un trait très marquant pendant le 19ème siècle. Le Code de Napoléon en mars 1804 augmente l'autorité patriarcale au point de permettre aux pères d'emprisonner leurs enfants désobéissants. Les employeurs possèdent la même prérogative pour les enfants qui tentent de fuir. Durant ce siècle des lois successives sont promulguées sur le travail des enfants et l’instauration de la scolarité. La loi de 1892 sur le travail des enfants a fortifié la situation en élevant l'âge minimum à 13 ans, et à la fin du 19ème siècle la plupart des jeunes jouissent d'une plus longue enfance dans la famille et à l'école, loin du monde adulte du travail. Avec la loi Jules Ferry en 1882 les éléments changent massivement : l'éducation de l'Etat gratuite, laïque et obligatoire pour tous les enfants entre 6 et 13 ans.
Au cours des 18ème et 19ème siècles, la place et la perception des enfants changent dans les sociétés occidentales : l’enfant est l’objet d’un investissement social et affectif sans précédent. La mortalité infantile diminue (médecine, hygiène), tout comme la taille des familles, et un nouvel art de vivre se développe autour du cercle familial, souvent réduit à la famille nucléaire (exode rural). Tous ces facteurs favorisent l’intensification des liens parents-enfants et l’avènement de diverses institutions vouées au développement et au bien-être de l’enfance : instruction publique, médecine infantile, loisirs familiaux…L’enfant est perçu avant tout comme un être vulnérable qu’il s’agit de protéger par des lois, des mesures et des attitudes appropriées.
Dans la période d’après-guerre, l’importance de la vie psychique précoce ne pourra plus être méconnue avec la reconnaissance de l’affectif précoce (in utéro et dès la naissance) et la prévalence maternelle. Le modèle familial universel est toujours asymétrique dans le mariage, base de la famille dans la société : la mère prodigue les soins aux enfants, s’occupe de l’intérieur de sa maison et le père représente l’autorité et travaille pour subvenir aux besoins de la famille. Mais au milieu des années 60 une contestation se lève dans la nouvelle génération. Le modèle traditionnel n’est plus en phase avec la montée de l’individualisme, de la liberté, et la volonté féminine d’égalité entre les hommes et les femmes, donc d’égalité dans le couple au sein des familles. Ce souci d’égalité oblige le législateur à intervenir pour donner les mêmes droits sociaux et parentaux aux deux sexes : l’ l’article 371-2 du Code civil du 4 juin 1970 : “ l’autorité appartient au père et à la mère pour protéger l’enfant dans sa santé, sa sécurité et sa moralité. Ils ont à son égard droit de garde, de surveillance et d’éducation. ”. Ce qui bouleverse le rapport à l’enfant, avec une modification de l’autorité parentale au sein de la famille favorisant le dialogue, l’autonomie et les droits de l’enfant (déclaration des droits de l’enfant ONU 1959). A travers ces évolutions, le mariage perd sa stabilité. L’augmentation du nombre des divorces (11 juillet 1975, article 229 du code civil : libéralisation du divorce) dissocie la relation entre conjoint et la relation aux enfants. La filiation est immuable, mais le lien conjugal est devenu réversible entraînant l’explosion en nombre des familles monoparentales. La parentalité perdure par rapport à la conjugalité. Les progrès de la médecine ont permis de dissocier la sexualité et la procréation dans un premier temps, et dans un deuxième la procréation et la filiation. Grâce à la contraception, un enfant n’est plus « la grâce de dieu », mais s’inscrit dans un projet individuel de vie. Et la procréation médicale assistée a remise en question la certitude de la maternité biologique, la constance d’un couple hétérosexuel pour donner la vie.
Dans la société actuelle l’enfant occupe désormais une place centrale, ce qui rend la tâche éducative des parents plus complexe et plus exigeante. L’évolution de la famille contemporaine avec, outre les divorces et séparations, la femme qui travaille, la quasi disparition des familles « très » nombreuses, l’augmentation des familles recomposées, la multiplication des « éducateurs » autour de l’enfant tout cela a contribué a donné un autre statut à l’enfant : l’enfant-roi, victime des médias et de la société de consommation.
Le développement d’enfants rois est symptomatique d’une crise de l’autorité liée à l’émergence de la société de l’individualisation axée sur l’épanouissement personnel, à la place prépondérante qu’a acquise l’enfant dans notre société et à la complexification de la tâche éducative. L’enfant est une personne, mais pas pour autant un adulte. Etre parent, c’est aussi exercer une autorité qui s’est modifiée depuis les années 60 mais qui est essentielle au développement d’un enfant dans une société.