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Conduite à tenir devant une vs élevée inexpliquée
Examen biologique de routine de première recours dans bon nombre de démarches diagnostiques, la VS a pourtant bien des limites. Des facteurs physiologiques ou des situations non inflammatoires peuvent l'augmenter. sa normalité peut rassurer à tord. Lorsque devant une situation fruste la VS est le seul paramètre perturbé, après un bilan simple de première intention, il faut établir une stratégie diagnostique que doit tenir en compte de la rentabilité des examens complémentaires et des coûts entraînés par leur prescription (cf arbre décisionnel).
Quelles sont les valeurs normales de la VS et ses variations physiologiques ?
La VS normale est plus élevée chez la femme que chez l'homme, essentiellement en raison d'un taux d'hémoglobine plus bas chez la femme. D'autre part, la VS tend à augmenter avec l'âge ; des valeurs limites de normalité ont été proposées :
- Pour les hommes : VS = âge en années/2
- Pour les femmes : VS = âge en années (+10)/2
Sur de grands échantillons d'une population normale de plus de 60 ans, l'intervalle de normalité de la VS oscille entre 1 et 40 mm à la première heure. Il faut donc avant de considérer comme pathologique une élévation de la VS l'interpréter en fonction de l'âge et du sexe (Tableau 1).
Ces faits sont controversés par quelques auteurs qui considèrent que chez le sujet âgé une VS supérieure à 20 mn/h est pathologique. Dans les critères de l'American College of Rheumatology de maladie de Horton, on considère la VS comme pathologique chez le sujet âgé lorsqu'elle est supérieure à 30 mm à la 1ère heure. Cette élévation tient surtout du fait de l'augmentation avec l'âge du taux de fibrinogène.
En dehors de l'âge et du sexe, d'autres facteurs physiologiques modifient la VS :
- La grossesse : au cours du troisième trimestre de grossesse, la VS peut atteindre 40 à 50 mm à la 1ère heure et se normalise à la fin du 1er mois suivant l'accouchement. cette augmentation est expliquée par une élévation du taux plasmatique du fibrinogène. Au cours de la grossesse, l'élévation de la VS n'est pas un marqueur d'inflammation.
- La prise d'oestroprogestatifs : la VS peut augmenter lors de la prise orale de contraceptifs par suite de l'augmentation de la synthèse hépatique du fibrinogène.
Si la VS est entre 20 et 40 mm/h, le dosage du couple CRP-fibrinogène permet de confirmer ou d'infirmer l'existence d'un authentique syndrome inflammatoire.
Quelles sont les causes pathologiques mais non inflammatoires d'augmentation de la VS ?
- L'anémie : la baisse du taux d'hémoglobine et donc de l'hématocrite provoque une sédimentation plus rapide des globules rouges. La VS peut atteindre 40 à 50 mm à la 1ère heure dans les anémies sévères. La VS se normalise parallèlement à la normalisation du taux d'hémoglobine ;
- Les hypergammaglobulinémie mono et polyclonales : les immunoglobulines monoclonales bénignes ou du myélome favorisent la constitution des rouleaux globulaires et accélèrent la sédimentation. Le VIH, l'hépatite chronique virale C s'accompagnent de façon presque constante d'une hyper-g-globulinémie polyclonale avec élévation de la VS sans syndrome inflammatoire (les protéines de l'inflammation sont alors normales comme la CRP et le fibrinogène sauf complication intercurrente) ;
- Au cours des syndromes néphrotiques, la fuite urinaire des protéines de bas poids moléculaire comme l'albumine, l'orosomucoïde et la transferrine provoquent une activation de la synthèse des protéines hépatiques et entraîne une augmentation de la VS ;
- L'insuffisance rénale chronique est une cause classique d'élévation de la VS ; au stade terminal, la VS est ³ 25 mm à la 1ère heure dans plus de 90% des cas, ³ 100 mm à la 1ère heure dans 20% des cas. Plusieurs facteurs semblent intervenir comme l'anémie, l'hypocalcémie, l'augmentation du fibrinogène.
- Une forte hyperlipidémie peut être une source d'élévation importante de la VS qu'il s'agisse des triglycérides ou du cholestérol.
- Le tableau 2 rassemble le différents facteurs et causes pouvant modifier la VS.
Il n'y a pas d'élément clinique d'orientation, l'élévation de la VS apparaît inexpliquée, quelle démarche diagnostique adopter ?
Une telle situation clinique, fréquente en médecine, justifie une démarche rationnelle dans la prescription des examens complémentaires. Si l'examen clinique et l'interrogatoire attentif n'apportent pas de fil conducteur, il faut :
- Contrôler la VS car une erreur technique a pu survenir,
- Confirmer l'origine inflammatoire de l'élévation de la VS en demandant le dosage de certaines protéines inflammatoires comme la CRP ou le fibrinogène,
- Réaliser une électrophorèse des protéines (figure 8).
Cinq fractions sont ainsi individualisées (de l'anode vers la cathode) :
- L'albumine : 33 à 50 g/L ;
- Les a1-globulines : 1.5 à 4 g/L, elles comprennent l'a1-protéase inhibiteur (ou a1-antitrypsine), l'a1-glycoprotéine acide (ou orosomucoïde), l'a1-antichymotrypsine ;
- Les a2-globulines : 6 à 10 g/L (a2-macroglobuline haptoglobine, céruléoplasmine) ;
- Les b-globulines : 6 à 13 g/L (transferrine, composant C3 du complément, b-lipoprotéines) ;
- Les g-globulines : 7.5 à 16 g/L (immunoglobulines).
L'électrophorèse des protéines peut confirmer le syndrome inflammatoire en cas d'augmentation des fractions a1 et a2 mais elle peut être en défaut et être tout à fait normale alors que le syndrome inflammatoire est important. Par contre, tout son intérêt tient à la recherche d'une hypergammaglobulinémie poly ou monoclonale (Figure 9).
• Place du profil protéique ciblé
Le couple CRP-fibrinogène permet à faible coût de confirmer l'origine inflammatoire d'une VS élevée. Leur différence cinétique (Figure 9) permet une surveillance évolutive et apporte des arguments prédictifs de guérison.
Un profil protéique ciblé comportant le couple CRP-fibrinogène associé à la VS permet dans les 3 à 4 semaines du début du traitement d'une maladie infectieuse sévère (endocardite, pneumonie, méningite, par exemple) de s'assurer de l'évolution vers la guérison complète. Le premier marqueur à se normaliser est la CRP. Si la CRP ne se normalise pas à 3 ou 4 semaines, c'est que le problème infectieux reste entier. L'antibiothérapie doit être revue, d'autres prélèvements doivent être effectués. Dans le cas d'une maladie de Horton, suivre le couple CRP-fibrinogène permet de s'assurer qu'au 8ème jour la maladie est bien corticosensible, la CRP doit s'être normalisée. Le fibrinogène puis la VS reviendront à la normale dans un délai de 3 à 4 semaines après le début de la corticothérapie. Dès que la CRP est normalisée, on peut envisager la diminution régulière et progressive de la corticothérapie. En période post-opératoire, après retour à domicile, s'il y a un état fébrile et si la CRP reste augmentée après le 10ème jour post-opératoire, c'est qu'une complication est survenue (problème infectieux, thrombose veineuse profonde ?).
• Le syndrome inflammatoire est confirmé, il évolue depuis plus de 3 semaines, il n'y a pas d'orientation clinique, quels examens complémen-taires prescrire ? Si le syndrome inflammatoire a une évolution de plus de trois semaines et qu'il reste sans cause déterminée après un examen clinique complet, il est alors licite de réaliser un profil protéique (Figure 10) qui peut parfois guider la démarche diagnostique :
- Si la CRP est supérieure à 200 mg/L, une infection bactérienne est très probable : il peut aussi s'agir d'une affection néoplasique, d'une vascularite systématique, d'une maladie de Still ;
- La CRP peut être normale en cas de poussée lupique ;
- Si l'haptoglobinémie est diminuée, il y a hémolyse intravasculaire ou plus rarement déficit génétique en haptoglobine. Un test de Coombs doit être demandé et une hémolyse recherchée (NFS et réticulocytes, bilirubine, LDH) ;
- En cas d'hypocomplémentémie, il peut s'agir d'un lupus érythémateux systémique, d'une cryoglobulinémie, d'une endocardite bactérienne, plus rarement d'une glomérulonéphrite post-streptococcique parfois un déficit génétique.
Ensuite, de première intention, nous réalisons alors les examens rapportés dans le tableau 4.
Au terme de ce bilan, on retrouve habituellement une cause dans 90% des cas (Tableau 6).
Bien entendu, la hiérarchie et la chronologie de ces différents examens doit dépendre de l'existence ou non d'une fièvre, d'une altération de l'état général (ces examens étant réalisés avec d'autant plus de rapidité qu'il y a une perte de poids importante), et selon les données de la numération formule (hyperleucocytose à neutrophiles ou lymphopénie ou éosinophilie, etc.)
On distingue à ce stade deux situations :
- L'état général est floride, un peu de recul peut être pris, l'examen clinique est renouvelé à 15 jours et à 1 mois, avec une surveillance évolutive de la VS et du couple CRP-fibrinogène. Certaines VS élevées restent inexpliquées avec parfois plusieurs années de recul ;
- L'état général est altéré ; alors certains examens complémentaires doivent être renouvelés comme la radiographie de thorax, l'échographie abdominale, l'échocardiographie voire le scanner avec un intervalle de 15 jours à 2 mois selon le type d'examen.
• Faut-il parfois proposer un traitement d'épreuve ?
De telles situations sont rares et imposent une grande prudence :
- Un traitement antibiotique d'épreuve probabiliste s'il y a une fièvre d'accompagnement doit dans la mesure du possible être évité car, outre les résistances que l'antibiothérapie peut induire, le risque est important de masquer un site infectieux dont la stérilisation est rarement obtenue par une antibiothérapie brève. On risque par une telle attitude de provoquer un retard au diagnostic préjudiciable pour le malade. Une endocardite décapitée peut se compliquer d'abcès cérébral ou splénique.
- Un traitement antituberculeux d'épreuve peut être décidé en l'absence de preuve bactériologique devant un tableau clinique compatible surtout PIDR est phlycténulaire, si les aspects scanographiques thoraciques sont évocateurs ou s'il existe une granulomatose viscérale en l'absence d'argument pour une sarcoïdose ;
- Un traitement corticoïde d'épreuve est parfois discuté devant une altération fébrile ou non de l'état général chez le sujet âgé en l'absence d'autre cause car il peu s'agir d'une forme fruste de maladie de Horton. Quel que soit l'âge, une altération isolée de l'état général peut révéler une périartérite noueuse, l'artériographie coeliomésentérique et rénale, les anticorps anticytoplasme des neutrophiles, la biopsie musculaire n'apportent pas toujours le diagnostic. Une corticothérapie d'épreuve peut être initiée si les examens du tableau 6 sont normaux. C'est dans ces situations qu'une surveillance rapprochée de la CRP est utile, si elle se normalise au 8ème jour, le syndrome inflammatoire apparaît corticosensible.
La décision d'un traitement d'épreuve fait en l'absence de diagnostic ne peut se concevoir qu'après un bilan complet négatif à condition qu'il soit initié dans le service hospitalier sous surveillance clinique ou biologique.
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