L'érythème noueux est une hypodermite nodulaire, caractérisée par l'apparition brutale de nouures douloureuses principalement localisées sur les jambes. Les nouures sont des élevures fermes à la palpation, pleines, non fluctuantes, profondes, de surface érythémateuse ou de couleur normale. Elles sont caractérisées histologiquement par une inflammation aiguë de la jonction dermo-hypodermique et des septums interlobulaires de la graisse hypodermique, évoluant sans nécrose ni séquelles. L'aspect histologique est le même quelle que soit la cause de l'érythème noueux.

C'est la forme clinique la plus fréquente des hypodermites nodulaires aiguës. Elle survient plus souvent chez la femme entre 25 et 40 ans. Le ratio F/H est de 5/1.

1  -  Diagnostic

1 . 1  -  Diagnostic positif

1 . 1 . 1  -  Diagnostic positif clinique

L'érythème noueux est caractérisé de façon assez stéréotypée, quelle que soit sa cause, par les aspects évolutifs suivants :

  • Une phase prodromique non spécifique de 3 à 6 jours marquée par de la fièvre, des douleurs articulaires et quelquefois abdominales, souvent un tableau d'infection rhinopharyngée, une altération légère de l'état général.
  • Une phase d'état qui s'installe rapidement en 1 à 2 jours : les nouures apparaissent aux faces d'extension des jambes et des genoux, parfois des cuisses et des avant-bras ; elles sont en petit nombre, 3 à 6, parfois davantage, bilatérales, grossièrement symétriques, spontanément douloureuses ; le syndrome général avec la fièvre et les arthralgies de la phase prodromique persiste ou s'accentue. L'examen clinique permet de préciser les caractères des nouures : elles ont 10 à 40 mm de diamètre ; elles sont chaudes et fermes à la palpation, qui accentue leur caractère douloureux ; elles sont mobiles par rapport aux plans profonds. La douleur des lésions est exacerbée par l'orthostatisme, ce qui amène le malade à rechercher spontanément la position allongée avec les jambes surélevées. Un Å“dème déclive des chevilles est souvent présent.
Figure 1 : Nouures inflammatoires diffuses
  • Une évolution régressive, spontanée, accélérée par le repos ou le traitement symptomatique ; chaque nouure évolue en une dizaine de jours, en prenant des aspects contusiformes bleus et jaunâtres, vers la disparition intégrale sans séquelles. Un érythème noueux ne comporte jamais de nécrose, d'ulcérations ou de cicatrices. Il évolue souvent en plusieurs poussées, favorisées par l'orthostatisme, pouvant s'échelonner au pire sur 4 à 8 semaines ; la succession des poussées confère à l'éruption un aspect polymorphe avec des nouures d'âges différents, comportant les diverses teintes de la biligénie locale.
Figure 2 : Lésions contusiformes

1 . 1 . 2  -  Diagnostic positif biologique

Il existe constamment un syndrome inflammatoire non spécifique et sans valeur d'orientation étiologique : vitesse de sédimentation accélérée, hyperleucocytose avec neutrophilie, hyperfibrinémie. En cas de doute sur la nature de l'hypodermite, on peut exceptionnellement faire une biopsie, celle-ci montrerait en phase aiguë une inflammation neutrophilique avec d'importants dépôts de fibrine le long de la jonction dermo-hypodermique et dans les septums interlobulaires de la graisse, puis à son décours une réaction granulomateuse. C'est une hypodermite septale neutrophilique et granulomateuse sans lésions vasculaires et lobulaires.

1 . 2  -  Diagnostic différentiel

L'érythème noueux est parfois confondu avec :

  • Érysipèle en cas de lésion unique très inflammatoire ;
  • Arthrite si les nouures sont en regard de la cheville ou du genou ;
Lésions inflammatoires malléolaires simulant une arthrite
  • Hypodermites subaiguës ou chroniques.


Les nouures des membres inférieurs peuvent se rencontrer dans plusieurs situations. Toutefois l'évolution aiguë caractéristique de l'érythème noueux lui est propre et la plupart des autres éruptions noueuses sont subaiguës ou mêmes chroniques.

1 . 2 . 1  -  Les hypodermites lobulaires ou panniculites

L'atteinte est ici primitivement graisseuse ; le diagnostic est avant tout histologique, d'où la nécessité absolue du contrôle biopsique. Quelques tableaux principaux sont à connaître :

  • Présence de nodules inflammatoires dans toutes les zones riches en tissu graisseux, avec fièvre et douleurs articulaires : la panniculite nodulaire aiguë fébrile récidivante non suppurative de Weber-Christian. Plus fréquente chez la femme d'âge mûr, cette affection évolue en poussées successives ; les nodules peuvent se liquéfier, se fistuliser et laisser une atrophie cupuliforme. L'atteinte histologique est une inflammation neutrophilique des lobules graisseux, quelquefois en rapport avec un déficit en alpha-1-antitrypsine.
  • Chez un homme d'âge moyen, dans le contexte classique des altérations pancréatiques (intoxication éthylique chronique, antécédent de lithiase biliaire), on évoque la cytostéatonécrose cutanée nodulaire dite « d'origine pancréatique ». Le plus souvent on découvre une pancréatite chronique, mais on peut trouver aussi un cancer exocrine ou un pseudo-kyste.

1 . 2 . 2  -  Les hypodermites nodulaires avec atteinte vasculaire

Sont associés à l'atteinte hypodermique septale ou lobulaire des dégâts des vaisseaux profonds de moyen ou parfois gros diamètre. Le diagnostic est avant tout histologique.

  • La périartérite noueuse, qu'elle soit systémique ou cutanée pure. L'évolution est moins aiguë. Les lésions nodulaires des membres inférieurs sont souvent alignées en chapelet ; elles s'associent à des troubles neurologiques et, dans les cas typiques, à un livedo inflammatoire. La nécrose des nodules est fréquente.
  • Les thrombophlébites superficielles, qui sont souvent de forme plus cylindrique, situées sur les trajets des veines superficielles.

1 . 3  -  Diagnostic étiologique

Le caractère douloureux des lésions et son exacerbation en orthostatisme doivent quelquefois faire différer le bilan étiologique ou le faire limiter à quelques examens peu agressifs, pour que le patient puisse se reposer couché. Il est rare que la séméiologie même de l'érythème noueux oriente vers une étiologie précise. Il est également raisonnable de rechercher surtout les causes courantes et de faire un bilan orienté et non pas systématiquement le « clavier » complet des sérodiagnostics microbiens, viraux, parasitaires et fongiques. Le bilan étiologique minimum en phase aiguë doit comporter les transaminases, le sérodiagnostic streptococcique, l'examen bactériologique d'un frottis de gorge, une radiographie du thorax, des tests tuberculiniques, éventuellement une coproculture pour les Yersinia. On complétera ultérieurement en fonction des premiers résultats. La rentabilité du bilan étiologique est faible ; selon les séries publiées il y a jusqu'à 55 % d'érythèmes noueux sans cause décelable, dits idiopathiques.

Les causes les plus fréquentes en France sont les suivantes :

1 . 3 . 1  -  Infection à streptocoques béta-hémolytiques

Elle intervient dans 10 à 60 % des cas selon les séries publiées, mais elle est souvent difficile à démontrer et à affirmer ; il y a généralement une précession d'une angine 3 semaines auparavant ; classiquement dans cette situation, les érythèmes noueux seraient très inflammatoires, récidiveraient plus souvent et pourraient comporter une phase desquamative ; leur traitement par les antibiotiques (pénicilline, macrolides) est impératif pour raccourcir l'évolution et pallier le risque des complications viscérales de toute infection streptococcique.

1 . 3 . 2  -  Sarcoïdose

Elle intervient dans 10 à 20 % des cas et elle touche surtout la femme jeune. L'association avec des arthralgies et des adénopathies médiastinales réalise le syndrome de Löfgren. Le diagnostic nécessite une radiographie ou un scanner thoracique à la recherche des adénopathies hilaires bilatérales caractéristiques. Celles-ci peuvent toutefois apparaître de façon retardée. L'intradermo-réaction à la tuberculine est le plus souvent négative et elle prend une valeur d'autant plus grande qu'on a une preuve de sa positivité antérieure. On recherche une élévation de l'enzyme de conversion de l'angiotensine et la classique mais rare hypercalcémie. Le tableau clinique du syndrome de Löfgren est suffisamment spécifique de sarcoïdose pour ne pas imposer de biopsie ganglionnaire, d'un éperon bronchique ou une ponction biopsie hépatique (le diagnostic de certitude de la sarcoïdose ne pouvant être posé qu'histologiquement). Rappelons que l'aspect histologique d'une nouure de syndrome de Löfgren ne permet pas de faire le diagnostic de sarcoïdose.

1 . 3 . 3  -  Yersiniose

Cause prédominante chez l'enfant, elle peut être suspectée en cas de prodromes digestifs (douleurs abdominales, syndrome pseudo-appendiculaire) ou de signes contemporains tels qu'une diarrhée. Deux bacilles en sont responsables Yersinia enterocolitica chez l'adulte et Y. pseudotuberculosis chez l'enfant et l'adolescent. Le diagnostic peut être confirmé par les coprocultures et les sérodiagnostics. L'évolution est habituellement courte, 3 semaines environ.

1 . 3 . 4  -  Causes plus rares

Parmi les causes actuellement plus rares, on trouve :

  • primo-infection tuberculeuse, classique principalement chez les enfants immigrés non vaccinés. Rare en France elle reste une cause fréquente dans les pays du Sud. Le diagnostic est radiologique mais surtout bactériologique après culture des bacilles de Koch à partir des tubages gastriques et des expectorations La primo-infection révélée par un érythème noueux peut aussi s'observer chez l'adulte immunodéprimé non vacciné.
  • entéropathie inflammatoire chronique (maladie de Crohn ou surtout rectocolite ulcéro-hémorragique). L'érythème noueux ne révèle qu'exceptionnellement la maladie, ou peut précéder les signes digestifs de plusieurs mois.
  • certaines maladies infectieuses bactériennes : chlamydiases, toxoplasmose, maladie des griffes du chat, tularémie, leptospirose...
  • infections virales : mononucléose infectieuse, hépatite B, hépatite C, infection à parvovirus B19.
  • infections fongiques à Trichophyton verrucosum, T. mentagrophytes
  • maladies hématologiques malignes : maladie de Hodgkin, lymphomes non hodgkiniens, leucémies aiguës.
  • origine médicamenteuse : elle est souvent citée, mais elle est très difficile à prouver ; l'aspirine, les sulfamides, les contraceptifs Å“stroprogestatifs ont été incriminés. Les cas bien documentés sont extrêmement rares. Le caractère récurrent peut être un élément d'orientation.
  • grossesse : cause rare avec récidive à chaque grossesse (l'érythème noueux lépreux est ainsi dénommé à tort : il s'agit d'une vasculite accompagnant les états réactionnels de la maladie de Hansen).
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