3  -  Prescription et surveillance des anticoagulants

Il existe deux grandes classes d’anticoagulants : les héparines et les antivitamines K.

3 . 1  -  Héparines

1. Héparine non fractionnée (HNF)

a. Mode d’action et pharmacodynamie

- L’HNF est une chaîne polysaccharidique de haut poids moléculaire. Elle se lie à l’antithrombine III (AT) et augmente son effet inhibiteur sur les facteurs de la coagulation, essentiellement les facteurs Xa et IIa. L’héparine n’a donc aucune action directe sur les facteurs de la coagulation.
- L’HNF s’administre uniquement par voie intraveineuse ou sous-cutanée.
- Après injection intraveineuse, l’HNF est efficace dès l’injection et a une demi-vie de 1 h nécessitant donc une perfusion continue. La demi-vie dépend toutefois de la dose d’héparine utilisée.
- Après injection sous-cutanée (HNF calcique : Calciparine®), le pic d’activité est atteint en 4 h environ et la demi-vie est de 4 h. Cette voie d’administration nécessite donc deux ou trois injections par jour.
- L’effet anticoagulant d’une même dose varie d’un patient à l’autre rendant donc nécessaire une surveillance biologique de son efficacité.

b. Indications et posologies

L’HNF est d’un usage de plus en plus limité en raison de l’apparition des HBPM et du pentasaccharide plus simples à utiliser. Toutefois, certaines indications restent l’apanage de l’HNF, notamment :
- chez l’insuffisant rénal ;
- chez les patients porteurs d’une valve cardiaque mécanique ;
- lors de fibrillation atriale ;
- dans des situations engageant le pronostic vital (EP avec choc, SCA avec choc).

L’indication à faible dose reconnue est la prévention de la maladie thrombo-embolique veineuse. La posologie est alors de 5 000 UI/j et la voie sous-cutanée est la plus utilisée en deux injections par jour. La surveillance du TCA n’est pas nécessaire à ces faibles doses.

Les indications à fortes doses sont :
- traitement curatif des phlébites ;
- valve mécanique après implantation ou en relais des AVK ;
- embolie pulmonaire ;
- ischémie aiguë de membre ;
- syndrome coronaire aigu ;
- fibrillation atriale.

La posologie indicative est alors de 500 UI/kg/j mais adaptée au TCA avec un TCA cible entre deux et trois fois le témoin. La voie SC n’est plus guère utilisée car dangereuse. Dans les urgences, comme l’embolie pulmonaire et les SCA, un bolus de 60 UI/kg est administré avant la perfusion continue ; dans les SCA, la posologie de la perfusion est horaire et entre 12 et 15 UI/kg/h. Dans l’embolie pulmonaire, elle est plus élevée autour de 18 UI/kg/h.

c. Principales contre-indications

- Allergie connue à l’héparine.
- Antécédent de thrombopénie immuno-allergique à l’héparine connu (cf. item 182).
- Patients ayant un risque hémorragique accru : trouble de la coagulation congénitale ou acquis, thrombopathie sévère, thrombopénie sévère…
- Situation à risque hémorragique accru : chirurgie avec risque hémorragique, traumatisme grave, traumatisme crânien, ulcère gastroduodénal non contrôlé, accident vasculaire cérébral étendu récent (< 72 h) même si d’origine embolique.
- Endocardite infectieuse sauf en cas de valve cardiaque mécanique.

d. Effets indésirables et complications

- Réaction d’hypersensibilité.
- Urticaire, réactions cutanées, réactions anaphylactiques, asthme, œdème de Quincke.
- Thrombopénie immuno-allergique à l’héparine de type II (cf. item 182).
- Effets hématologiques (cf. item 182).
- Syndromes hémorragiques pouvant engager le pronostic vital (épistaxis, gingivorragie, purpura, hémorragie digestive, hémorragie intracrânienne…).
- thrombopénie de type I.

e. Surveillance

Le TCA reflète l’activité anti-IIa de l’HNF mais pas l’activité anti-Xa. Le TCA doit être mesuré 6 h après initiation du traitement ou après changement de dose, puis de façon quotidienne quand l’HNF est administrée par voie intraveineuse. Le TCA doit être mesuré 4 h après la deuxième injection quand l’HNF est administrée par voie sous-cutanée. La mesure de l’activité anti-Xa ou héparinémie peut également être réalisée, mais elle est beaucoup plus coûteuse et moins bien validée en pratique clinique.
Du fait du risque de thrombopénie, une numération plaquettaire doit être réalisée deux fois par semaine quelle que soit la dose utilisée.

2. Héparines de bas poids moléculaires (HBPM)

a. Mode d’action et pharmacodynamie

Le mode d’action est identique à celui de l’HNF. Seules les différences suivantes sont à noter :
- le poids moléculaire est par définition plus faible que celui de l’HNF en rapport avec une chaîne polysaccharidique plus courte ;
- la demi-vie des HBPM est plus longue permettant de réaliser uniquement deux (énoxaparine : Lovenox®) voire une seule (tinzaparine : Innohep®) injections par jour.

b. Indications et posologies

Les indications reconnues sont les mêmes que celles de l’HNF sauf la fibrillation atriale et les valves mécaniques.
Il est à noter que toutes les HBPM n’ont pas d’AMM pour toutes les indications. Pour simplifier ici seules l’énoxaparine (Lovenox®) et la tinzaparine (Innohep®) sont rapportées.
Les posologies dépendent de l’indication :
- prévention des accidents thrombo-emboliques veineux :

  • en situation de risque élevé, Lovenox® 4 000 UI/j en une seule injection par jour,
  • en situation de risque faible, Lovenox® 2 000 UI/j en une seule injection par jour ;

- phlébite ou embolie pulmonaire : Lovenox® 100 UI/kg/12 h (2 injections/j) ou Innohep® 175 UI/kg/24 h (1 injection/j) ;
- syndrome coronaire aigu avec ou sans sus-décalage du segment ST non compliqué de choc : la posologie de Lovenox® est un bolus intraveineux de 3 000 UI suivi de 100 UI/kg/12 h sous-cutané.
- Attention, le bolus intraveineux est reservé au SCA avec sus-décalage du segment ST.

c. Principales contre-indications

Les contre-indications sont les mêmes que celles de l’HNF.
La demi-vie plus longue et le risque d’accumulation en cas d’insuffisance rénale contre-indiquent néanmoins l’utilisation des HBPM dans certaines situations :
- insuffisance rénale sévère avec clairance < 30 mL/min (utilisation prudente possible en cas d’insuffisance rénale modérée avec clairance entre 30 et 60 mL/min) ;
- certaines situations engageant le pronostic vital (EP avec choc, SCA avec choc).

d. Effets indésirables et complications

Les complications sont les mêmes que celles de l’HNF.
Le risque de thrombopénie est moindre.

e. Surveillance

En général, aucune surveillance de l’efficacité n’est nécessaire en raison de l’absence de variabilité interindividuelle. L’activité anti-Xa doit en revanche être surveillée en cas d’insuffisance rénale afin de s’assurer de l’absence de surdosage (activité anti-Xa > 1,3 UI/mL = surdosage).
Comme pour toutes les héparines, une surveillance de la numération plaquettaire deux fois par semaine est nécessaire et obligatoire en raison du risque de thrombopénie sévère.

3. Pentasaccharides (fondaparinux : Arixtra®)


a. Mode d’action et pharmacodynamie

- Le mode d’action est identique à celui d’une HBPM.
- Le pentasaccharide n’a aucune activité anti-Iia, c’est donc un anti-Xa pur.
- Cette molécule n’est administrée que par voie sous-cutanée.
- Sa demi-vie est très longue permettant une seule injection par jour.

b. Indications et posologies

Les indications reconnues sont les mêmes que celles d’une HBPM en dehors de l’indication du SCA avec ST traité par angioplastie primaire (ICP-I).
Les posologies dépendent de l’indication :
- prévention des accidents thrombo-emboliques veineux. La posologie est de 2,5 mg/j en une seule injection SC par jour quelle que soit la situation (haut risque ou pas) ;
- phlébite ou embolie pulmonaire non compliquée de choc. La posologie dépend du poids du patient : 5 mg/j en dessous de 50 kg, 7,5 mg/j entre 50 et 100 kg et 10 mg/j au-delà de 100 kg ;
- syndrome coronaire aigu sans sus-décalage du segment ST non compliqué de choc et à condition de ne pas se trouver dans la situation d’une stratégie invasive (coronarographie précoce). La posologie est de 2,5 mg/j en SC.

c. Principales contre-indications

Les contre-indications sont les mêmes que celles d’une HBPM au détail près des chiffres de clairance de créatinine :
- < 30 mL/min en cas de prescription à forte dose curative ;
- < 20 mL/min en cas de prescription à dose faible ;
- en pratique retenir 30 mL/min.
Certaines situations engagent le pronostic vital (EP avec choc, SCA avec choc).

d. Effets indésirables et complications

Les complications sont les mêmes que celles d’une HBPM et l’on note l’absence de thrombopénie immuno-allergique avec le pentasaccharide.

e. Surveillance

Aucune surveillance plaquettaire n’est nécessaire.

3 . 2  -  Antivitamines K (AVK)

1. Mode d’action et pharmacodynamie

Les AVK inhibent la formation par le foie des facteurs de coagulation vitamine K dépendants : II, VII, IX et X.
Les AVK agissent per os et leur efficacité maximale n’est observée qu’après 1 à 3 jours en raison de la demi-vie des facteurs de coagulation déjà formés au moment de l’initiation du traitement.
Le TP explore les facteurs de coagulation vitamine K dépendants et le facteur V.
La demi-vie des différents AVK est variable : < 24 h pour l’acénocoumarol (Sintrom®), 24 h pour la fluindione (Préviscan®) et 5 jours pour la warfarine (Coumadine®).
Il existe une large variabilité interindividuelle et dans le temps chez un même individu dans la réponse anticoagulante à une même dose d’AVK.

2. Indications et posologies

Pour simplifier, le Préviscan® est l’AVK le plus largement utilisé en France. Le traitement doit être débuté à 20 mg/j. Les doses doivent ensuite être adaptées à l’INR réalisé 48 h après l’initiation du traitement. En pratique, on augmente ou on diminue le traitement de 1/4 cp/j soit 5 mg si l’INR est en dessous ou au-dessus de l’INR cible. Les doses sont ensuite adaptées toutes les 48 h en fonction de l’INR et de la cible thérapeutique en fonction de l’indication.
Les indications reconnues et les INR cibles sont :
- phlébite ou embolie pulmonaire : INR cible 2,5 (entre 2 et 3). La durée peut osciller entre 3 mois et un traitement à vie en fonction du contexte. Traitement initié dès le premier jour sauf si l’EP est compliquée par un choc ;
- fibrillation atriale et flutter atrial : INR cible 2,5 (entre 2 et 3) à vie, si la FA survient sur une valvulopathie rhumatismale ou si le score CHADS2 est > 1. On discute au cas par cas si le score et de 1 ;
- valve mécanique cardiaque : l’INR cible dépend du type de valve mécanique et de sa position. L’INR cible est de :

  • 2,5 (entre 2 et 3) pour une valve à double ailette aortique,
  • 3 (entre 2,5 et 3,5) pour une valve à double ailette aortique avec FA ou dysfonction contractile ventriculaire gauche,
  • 3 (entre 2,5 et 3,5) pour les valves à double ailette en position mitrale,
  • 3,5 (entre 3 et 4) pour les valves à disque ;

-patients porteurs d’une valve biologique cardiaque : INR cible de 2,5 (entre 2 et 3) pendant 3 mois seulement.

3. Principales contre-indications

Ce sont les mêmes que celles de l’HNF avec en plus :
- allergie au produit ;
- allaitement (sauf pour la Coumadine®) ;
- grossesse (premier et dernier trimestres) ;
- mauvaise observance attendue du patient ;
- absence de contraception chez une femme en âge de procréer (effets tératogènes).

4. Effets indésirables et complications

- Réaction d’hypersensibilité.
- Réactions cutanées, réactions anaphylactiques, asthme, œdème de Quincke.
- Alopécie, nécrose cutanée en cas de déficit associé en protéine C et/ou S.
- Effets hématologiques (cf. chapitre 25 item 182).
- Syndromes hémorragiques pouvant engager le pronostic vital (épistaxis, gingivorragie, purpura, hémorragie digestive, hémorragie intracrânienne…).

Attention : Une conduite à tenir spécifique est à mener en cas de surdosage (cf. item 182).

5. Surveillance


L’éducation du patient est un point essentiel du traitement par AVK et chaque patient doit recevoir les consignes et un carnet explicatif du traitement.

Points d’éducation :

- prévenir le chirurgien dentiste ou le pédicure en cas de soins ;
- pas d’injection intramusculaire ;
- faire attention aux aliments riches en vitamine K (choux, crudités, abats…) ;
- faire attention à l’alcool ;
- pas d’automédication (ibuprofène, AINS, miconazole, aspirine…) ;
- prise du traitement le soir ;
- nécessité de contraception chez la femme ;
- consultation en cas de saignement.

En raison du risque hémorragique et de la variabilité interindividuelle de la réponse au traitement, une surveillance par l’INR est nécessaire. L’INR doit être dosé tous les jours les 3-4 premiers jours du traitement et en cas de surdosage. Il doit également être dosé 48 h après chaque modification de dose ou en cas de prescription pouvant interagir avec les AVK (certains antibiotiques…). Par la suite, l’INR doit être dosé 2 fois par semaine pendant 3 semaines, puis régulièrement espacés. Un dosage de l’INR doit être réalisé au minimum une fois par mois en cas de stabilité.

3 . 3  -  Nouveaux anticoagulants

Danaparoïde (Orgaran®)

Le danaparoïde a un mode d’action similaire à l’HNF et est utilisé en cas de TIH de type II, seule réelle indication de ce traitement.

Sa voie d’administration est sous-cutanée.

Hirudines recombinantes et analogues

L’hirudine est un polypeptide dérivé de la salive de sangsue. Les hirudines recombinantes et analogues sont des antithrombines directes (anti-IIa direct).
Il existe deux hirudines recombinantes sur le marché : le Refludan® et le Revasc®. Leurs indications sont encore mal définies.
Il existe un analogue de l’hirudine : la bivalirudine (Angiox®). Ses indications sont limitées à la prise en charge du syndrome coronaire aigu. Sa voie d’administration est uniquement intraveineuse.

Autres inhibiteurs de la thrombine

Le dabigatran (Pradaxa®) est également un inhibiteur direct de la thrombine, mais il n’est pas peptidique.
Il est actif par voie orale, ce qui en fait son originalité.
Ses indications sont la prévention du risque d’accident thrombo-embolique veineux après chirurgie orthopédique du membre inférieur et, très prochainement, la prévention du risque thrombo-embolique dans la fibrillation atriale.

Anti-Xa directs

Plusieurs anti-Xa directs sont à l’étude actuellement.
Les résultats les plus probants ont été observés pour le rivaroxaban (Xarelto®) dans la prévention du risque d’accident thrombo-embolique veineux après chirurgie orthopédique du membre inférieur. Ce traitement est délivré par voie orale.

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