6  -  Les modifications hématologiques

6 . 1  -  Volémie et érythropoïèse

Dès le début de la grossesse, le volume plasmatique augmente jusqu’à 28 SA puis il se stabilise. Cette augmentation est corrélée au nombre et au poids du ou des fœtus. Elle est en moyenne de 30 à 40 % soit plus 1 000 ml (600 à 1 900 ml) au 3ème trimestre.

L’expansion de la masse érythrocytaire débute plus tardivement, après la 12ème SA. Le volume globulaire augmente de 20 % par stimulation de la synthèse d’érythropoïétine par différentes hormones. En cas de supplémentation martiale, elle passe de 250 ml à 450 ml.

De ces phénomènes découlent les conséquences suivantes :

  • un taux bas d’hémoglobine n’est pas forcément un signe d’anémie ;
  • un taux élevé d’hémoglobine peut être le témoin d’une expansion plasmatique insuffisante ce qui est pathologique.


Le volume plasmatique augmentant plus que le volume érythrocytaire, il existe une hémodilution relative qui se traduit par une diminution de la concentration en hémoglobine réalisant « l’anémie physiologique de la grossesse ».

Figure 7 :
Source : UVMaF

Ces modifications ont des bénéfices :

  • l’hypervolémie est nécessaire à l’augmentation du débit cardiaque ;
  • l’hypervolémie limite les conséquences d’une hémorragie du post-partum immédiat ;
  • l’hypervolémie protège la mère d’une hypotension au dernier trimestre s’il y a une séquestration importante de sang dans la partie inférieure du corps ;
  • l’augmentation de la masse érythrocytaire couvre les besoins supplémentaires en O2 ;
  • l’hémodilution diminue la viscosité sanguine, ce qui diminue les résistances circulatoires et diminue le travail cardiaque.


Les limites inférieures acceptées au cours de la grossesse sont de :

  • 11 g/dl d’hémoglobine ou 32 % pour l’hématocrite aux 1er et 3ème trimestres,
  • 10,5 g/dl au 2ème trimestre.
Tableau 3 : l’érythropoïèse

Le fer est indispensable pour la synthèse de l’hème. Les besoins quotidiens au cours de la grossesse sont en moyenne de 4 mg, passant de 1 mg au début à 6 mg à la fin, lors de la croissance rapide du fœtus. Au total, 1 000 mg sont nécessaires pour couvrir les besoins de la grossesse. Les réserves maternelles (en moyenne 300 à 400 mg dans les pays développés) sont le plus souvent épuisées à la fin du 2ème trimestre. Mais, l’absorption du fer croît avec la diminution des réserves. L’épuisement des réserves est donc une étape physiologique normale de la grossesse qui conduit à une absorption élevée permettant de couvrir les besoins importants du dernier trimestre. La supplémentation en fer ne devient efficace que lorsque le taux de ferritine est bas, c'est-à-dire à partir de la 28ème SA. L’OMS conseille l’administration prophylactique de fer 30 à 60 mg/j, à partir de la 2ème moitié de la grossesse 30 à 60 mg/j.

Le diagnostic de carence martiale repose sur une ferritine plasmatique inférieure à 12 μg/l.

Les besoins en folates sont augmentés car l’acide folique, essentiel à la synthèse des acides nucléiques et plus particulièrement de l’ADN, est nécessaire à toute division cellulaire. Un tiers des femmes enceintes ont une diminution des taux de folates érythrocytaires dès le début de la grossesse.
Cette carence peut être responsable dès les premières semaines après la conception d’anomalies de fermeture du tube neural.
La supplémentation maternelle en acide folique en péri-conceptionnel diminue leur risque de récurrence. Elle doit être systématique dans le cas de grossesses rapprochées ou gémellaires, de malnutrition et de dénutrition, de bas niveau socioéconomique, d’anémie hémolytique ou de maladie du tube digestif.
En cas d’utilisation de phénylhydantoïne (traitement de l’épilepsie), il est indispensable de prescrire des folates, car l’action tératogène de ces produits est liée à une compétition d’absorption avec les folates.
La vitamine B12 permet l’entrée de l’acide folique dans les globules rouges immatures. Les besoins évalués à 3 μg/jour sont couverts par une alimentation normale.

6 . 2  -  La numération formule sanguine

Le taux de globules blancs augmente, créant une hyperleucocytose physiologique à partir du 2ème trimestre. Elle est due à l’augmentation des polynucléaires neutrophiles dont les maximums surviennent entre la 30ème et la 34ème SA. Par contre, les basophiles diminuent et les monocytes restent stables.

Les plaquettes diminuent légèrement en fin de grossesse. Il existe un risque hémorragique en-dessous de 100 000 plaquettes.

Tableau 4

6 . 3  -  Les électrolytes

Na+, K+ et Cl+ restent à peu près stables.
Ca++ et Mg++ diminuent à cause du transfert de ces électrolytes de la mère au fœtus et de l’augmentation de leur filtration glomérulaire. La diminution du Ca++ entraîne la stimulation de la parathormone.
Les bicarbonates diminuent car l’organisme maternel s’adapte à l’alcalose respiratoire (conséquence de l’hyperventilation). Cette adaptation s’accompagne également d’une diminution de la réabsorption rénale des bicarbonates pour garder un pH normal.

tableau 5 : Les électrolytes

6 . 4  -  L’hémostase

Elle est modifiée dès le début de la grossesse.
La plupart des facteurs de coagulation augmentent alors que les inhibiteurs physiologiques et la capacité fibrinolytique diminuent. Il existe donc un état d’hypercoagulabilité au fur et à mesure que la grossesse progresse (en vu de l’accouchement et de la délivrance).

6 . 4 . 1  -  Les facteurs de coagulation

Tableau 6 : Les facteurs de coagulation

Les taux de fibrinogène et des facteurs VII, VIII, X et VWF (facteur Von Willebrand) augmentent progressivement au cours de la grossesse :

  • x 2 pour le fibrinogène (5 à 6 g/l) et le facteur VIII ;
  • x 3 pour le VWF, ce qui permet une amélioration de la maladie de Willebrand ;
  • augmentation pouvant atteindre 120 à 180 % pour les facteurs VII et X, responsable du raccourcissement du temps de Quick observé à mi-grossesse et jusqu’au terme.


Les facteurs II et V restent stables.
Le taux du facteur XI diminue modérément, de 20 à 30 %.
Le facteur XIII, facteur stabilisant la fibrine, stable ou augmenté en début de grossesse, diminue ensuite.

6 . 4 . 2  -  Les inhibiteurs physiologiques de la coagulation

L’antithrombine n’est pas modifiée par les hormones ; on observe cependant une baisse modérée de 15 % dans les dernières semaines de grossesse.
La protéine C augmente au 2ème trimestre puis diminue au 3ème pour à nouveau augmenter dans le post-partum.
Il y a une diminution progressive et importante de la protéine S, voisine de 50 % à terme et persistant 2 mois dans le post-partum.

6 . 4 . 3  -  La fibrinolyse

C’est un phénomène physiologique qui permet la redissolution des caillots de fibrine, maintenant la balance hémostatique nécessaire à la fluidité du sang.
La capacité fibrinolytique diminue progressivement au cours de la grossesse pour être minimale au 3ème trimestre.
Paradoxalement, il y a une augmentation des D-dimères allant jusqu’à 1000-1200 ng/ml à terme (normal < 500 ng/ml) qui est le témoin de la formation excessive de caillots de fibrine, par excès de thrombine, entraînant une fibrinolyse réactionnelle physiologique.
La production accrue de thrombine est maximale en fin de grossesse et favorisant l’hémostase dans le post-partum immédiat.

Le risque thrombotique est maximum dans le post-partum immédiat et dure pendant au moins 6 semaines. Ceci est dû à la correction rapide de la thrombopénie, conjointement à l’accentuation du déficit en protéine S et à la persistance d’un taux élevé de VWF. Dans le même temps, les taux des facteurs de coagulation se normalisent (en 3 à 6 semaines en moyenne), ainsi que l’hypofibrinolyse de fin de grossesse (30 minutes après la délivrance).
Ainsi, le pic d’activité procoagulante, proplaquettaire et hypofibrinolytique survient immédiatement après la séparation du placenta et persiste pendant les 3 heures qui suivent, objectivée par une importante augmentation du taux des D-dimères.

En conclusion, en per- ou post-partum immédiat, on retrouve les processus proches de ceux de la coagulation intravasculaire disséminée (CIVD).

6 . 5  -  Les marqueurs biologiques de l’inflammation

La VS est très augmentée, elle n’a donc aucune valeur pendant la grossesse.
Par contre, la CRP n’étant pas modifiée par la grossesse, garde tout son intérêt pour rechercher un phénomène inflammatoire.

Tableau 7 : les marqueurs de l’inflammation
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