Introduction

Dans ce cours, nous n'aborderons que les manœuvres les plus courantes pouvant être réalisées par la sage-femme dans un contexte d'urgence que ce soit lors d'une dystocie des épaules ou une présentation du siège.

L'objectif principal est de connaître les manœuvres à utiliser et les gestes à proscrire dans un contexte d’urgence, que ce soit une dystocie ou une présentation du siège

L'objectif pédagogique est de savoir :
     Dépister les situations à risques
     Évaluer la gravité d’une situation
     Acquérir les gestes nécessaires pour maîtriser une situation inopinée
     Prévenir le risque médico-légal

1  -  La dystocie des épaules

1 . 1  -  Généralités :

La dystocie des épaules est un accident redoutable souvent imprévisible. Il s'agit d'une urgence à régler en 1 à 2 minutes au maximum.

La vraie dystocie des épaules avec les deux épaules au-dessus du DS étant rare, peu ou pas de spécialistes ont l’expérience des manœuvres, et pourtant l'obstétricien ou la sage-femme doit pouvoir y faire face !!

Pour diminuer les conséquences périnatales et prévenir le risque médico-légal, les sages-femmes et les médecins doivent développer la prévention avec le dépistage systématique des situations à risque de dystocie des épaules. Ils doivent aussi connaitre parfaitement les manœuvres à effectuer ou les gestes à proscrire en cas de dystocie des épaules.

Par ailleurs, il a été démontré que l'entrainement régulier sur mannequin était fortement recommandé pour les obstétriciens et les sages-femmes [1]

1 . 2  -  Définitions :

Sur le plan épidémiologique, il est difficile d'établir une fréquence du risque d'avoir une dystocie des épaules car il n'existe pas de consensus sur la définition.

1 . 2 . 1  -  Définition anatomique (auteurs français)

Selon les auteurs français, dans la vraie dystocie ou dystocie sévère, le diamètre Bi-acromial est retenu au-dessus du détroit supérieur

La fréquence est alors estimée à 1/4500 naissances selon Y. Malinas. [2]

Figure 1 : Dystocie sévère
L'épaule postérieure retenues au-dessus du DS [2]

Figure 2 : Dystocie modérée
L'épaule postérieure est située dans l'excavation pelvienne et l'épaule antérieure est au-dessus du DS [2]

1 . 2 . 2  -  Définition fonctionnelle :

Sur le plan fonctionnel, on parle de dystocie modérée quand il existe une difficulté relative lors de l'expulsion des épaules. Sur le plan anatomique, le diamètre Bi-acromial se situe alors dans l’excavation.

Dans ce cas, la fréquence a été évaluée de 0.5 à 1,5% des  accouchements.

1 . 2 . 3  -  La fausse dystocie

Si lors de l'expulsion, l'accoucheur dirige la tête fœtale à l'horizontale et non vers le bas, dans l'axe ombilico-coccygien, il crée alors une "fausse dystocie des épaules". L'épaule antérieure butte derrière la symphyse pubienne alors que l'épaule postérieure descend dans l'excavation.

Figure 3 : La fausse dystocie

1 . 3  -  Epidémiologie-Prophylaxie

1 . 3 . 1  -  Complications néonatales

  • En cas de dystocie des épaules avérée, la mortalité périnatale est évaluée de 1 à 3%. La mortalité périnatale est multipliée par 9 en l'absence de diabète maternel, elle sera multipliée par 17 en cas de diabète maternel
  • Pour ce qui est de la morbidité néonatale, on retrouve :
    • 20% d'asphyxie périnatale donnant une IMC
    • Les lésions traumatiques sont multipliées par 8
      • Fractures humérus, clavicule :
        • 14‰ si poids fœtal > 4000grs,
        • 38‰ si poids fœtal > 4500grs
      • Plexus brachial : 1/2000 naissances,
        • x 2,5 si poids fœtal est de 4000-4500grs,
        • x 10 si poids fœtal > 4500grs
      • Dans 82% des lésions : il n’existe ni diabète, ni poids fœtal > 4500grs

1 . 3 . 2  -  Prophylaxie

Les éléments à retenir sont :

  • Une suspicion de macrosomie nécessitera la présence systématique de l'obstétricien, de l'anesthésiste et du pédiatre lors de l'accouchement.
  • Une décision de césarienne doit être envisagée en cas de dystocie dynamique rebelle au traitement .

1 . 4  -  Le Diagnostic :

Le diagnostic de la dystocie des épaules est primordial, il doit être fait à temps. Même si la moitié des dystocies des épaules ne sont pas prévisibles, un certain nombre d'éléments sont, cependant, prédictifs d'une dystocie des épaules. On retiendra :

1 . 4 . 1  -  Inspection

Une mesure de la hauteur utérine (HU) supérieure à 35-36cm devra faire évoquer une macrosomie fœtale et donc un risque de dystocie.

1 . 4 . 2  -  Signes cliniques et para cliniques évocateurs

Echographie : la mesure du diamètre abdominal largement augmentée par rapport à l'augmentation du diamètre Bipariétal est un facteur de risque

Partogramme : L'analyse du partogramme fera apparaître

  • Une dilatation cervicale laborieuse
  • Une descente lente de la tête

1 . 4 . 3  -  Expulsion de la tête fœtale

  • Qu'il soit naturel ou instrumental, le dégagement de la tête sera lent et difficile.
  •  Dès sa sortie la tête reste collée à la vulve comme aspirée tel un "bouchon de champagne".
  • Il n'y a pas de mouvement de rotation de restitution de la tête.
  • Les manœuvres habituelles de dégagement de l'épaule antérieure sont inefficaces.
  •  La cyanose de la tête fœtale apparaît très rapidement après l'expulsion.
Figure 4 :

1 . 4 . 4  -  Palper de l’épaule antérieure

Le moignon de l'épaule antérieure sera palpable au-dessus de la symphyse pubienne.

1 . 5  -  Conduite à tenir

Avant d'évoquer les gestes à effectuer selon la situation clinique, il est important de rappeler les gestes à ne pas faire. Ils sont résumés sous la règle dite des "trois P".

1 . 5 . 1  -  Ce qu'il ne faut pas faire :

1 . 5 . 1 . 1  -  Règle des trois « P »

  • Pulling: Il ne faut pas tirer sur le cou : toute traction excessive sur la tête fœtale risque de provoquer une élongation du plexus brachial.
  • Pivoting: ne pas faire pivoter la tête en tordant le cou : on risque de créer une lésion du plexus brachial par torsion.
  • Pushing: ne pas presser le fond utérin : cette manœuvre bloque davantage l'épaule supérieure à la partie antérieure du détroit supérieur.

Par ailleurs :

Il ne faut pas penser à casser volontairement la clavicule, car c'est impossible

1 . 5 . 1 . 2  -  Casser une clavicule

1 . 5 . 2  -  Ce qu'il faut faire :

Pour déterminer la conduite à tenir ultérieure, deux points sont essentiels à connaître :

  •        De quel côté se situe le dos : à droite ou à gauche ?
  •        A quelle hauteur se situe l'épaule postérieure par rapport au détroit supérieur ?
Figure 5
(1) Certaines équipes préfèrent utiliser la Manœuvre de LETELLIER plus rarement enseignée.

1 . 6  -  Manœuvre de MAC ROBERTS

C'est une manœuvre performante et simple à réaliser. Elle doit toujours être faite en 1ère intention lors de toute difficulté aux épaules.
Elle consiste en une hyper flexion des cuisses, le siège de la patiente débordant de la table

Figure 6 : Manœuvre de MAC ROBERTS
  •        Cette manœuvre permet d'effacer la lordose lombaire, elle diminue donc la saillie du promontoire.
  •        Elle met l'axe du détroit supérieur (Axe DS) en meilleure corrélation avec l'axe de poussée utérine (PU).
  •        Il s'agit d'un mouvement de nutation qui augmente la mesure des diamètres du détroit inférieur.
  •        Par ailleurs lors de l'exécution de la manœuvre de Mac Roberts, l'épaule antérieure glisse sous la symphyse pubienne qui ascensionne.
Figure 7 : Avant la manœuvre
Figure 8 : En position de MAC ROBERTS

La manœuvre de MAC ROBERTS peut être complétée par une expression sus-symphysaire, mais ATTENTION!, il ne s'agit pas de l'expression sur le fond utérin telle que définie par l'HAS [10a].

Figure 9 : Manœuvre de Mac Roberts + expression sus-pubienne

Quand l'épaule antérieure apparait sous la symphyse pubienne, l'accouchement se termine spontanément avec les manœuvres habituelles.

1 . 7  -  Manœuvre de WOOD INVERSE

En cas d'échec de la manœuvre de MAC ROBERTS, si l'épaule postérieure est située dans l'excavation :, il faut alors réaliser la manœuvre de WOOD INVERSE.

Cette manœuvre, qui permet d'éviter toute traction intempestive sur la tête fœtale, consiste en une rotation axiale de 180° du diamètre biacromial en prenant appui sur la face postérieure de l'épaule postérieure qui est dans l'excavation. L'épaule antérieure devient alors postérieure et s'engage.

La patiente étant maintenue en position de Mac Roberts, l'opérateur utilisera la main correspondant au dos du fœtus (main droite si le dos du fœtus est à gauche). Il introduira sa main en longeant la face postérieure de la tête fœtale, puis le cou pour atteindre le moignon de l'épaule postérieure.

Pour atteindre facilement l'arrière de l'épaule il faut introduire la main dite "de l'accoucheur" en regard du la courbure du sacrum.  


Figure 10 : incorrect
L'accès antérieur est incorrect car il n'y a pas suffisamment de place pour passer la main entre la symphyse pubienne et la tête fœtale
Figure 11 : incorrect
L'accès latéral est incorrect car la main n'est pas introduite en regard de l'épaule postérieure.
Figure 12 : incorrect
L'accès postérieur est possible mais la position des doigts à l'extérieur ne peut pas permettre l'introduction de la main.
Figure 13 : correct dos à gauche, rotation de l'épaule postérieure dans le sens des aiguilles d'une montre
La main en position dite de 'l'accoucheur" est introduite derrière la tête fœtale jusqu'au contact de la face postérieure de l'épaule postérieure.

La pression de la paume de la main sur la face postérieure de l’épaule postérieure est progressive.
La rotation se fait dans le sens des aiguilles si le dos est à gauche, dans le sens inverse si dos est à droite.
L’épaule postérieure devenue antérieure se dégage alors sous la symphyse.

Figure 14 :
Le dos du fœtus est orienté à gauche, l'épaule gauche postérieure dans l'excavation. La main droite de l'opérateur exécute la manœuvre de WOOD INVERSEE.
Figure 15 :
Le dos du fœtus est orienté à gauche, l'épaule gauche postérieure dans l'excavation. La main droite de l'opérateur exécute la manœuvre de WOOD INVERSEE.

1 . 8  -  Manœuvre de JACQUEMIER

Quand les deux épaules sont au-dessus du Detroit Supérieur, la manœuvre de WOOD INVERSE n'est pas possible, il faut alors réaliser une manœuvre de JACQUEMIER

1 . 8 . 1  -  Objectif

L'objectif principal de cette manœuvre est l'abaissement du bras postérieur afin de l'extraire à la vulve et permettre ainsi l'engagement de l'autre épaule
Il s'agit d'une manœuvre simple à réaliser si :

  •        Le principe est bien compris
  •        La méthode est rigoureuse
  •        La position de l'opérateur est bonne

Selon Y. MALINAS, il faut 20 secondes pour atteindre la main fœtale et 10 secondes pour retirer son propre bras en entrainant la main fœtale. Une manœuvre trop longue entrainerait une diminution des sensations tactiles et une augmentation du risque d'anoxie fœtale. [5]

1 . 8 . 2  -  Technique

Selon les anciens auteurs, la manœuvre s'effectuait à mains nues, actuellement la finesse des gants remet en cause cette pratique.

Pour être certain d'assurer la manœuvre dans l'axe ombilico-coccygien, l'opérateur doit se tenir à genoux devant la patiente installée en position de Mac Roberts sur une table gynécologique.

Il utilise  sa main gauche si le dos du fœtus est à gauche, sa main droite si le dos du fœtus est à droite.

Il est primordial de connaitre le côté du dos avant le début de l'expulsion car tout retard dans la manœuvre augmente le risque de morbidité pour l'enfant.

L'opérateur relève la tête fœtale et introduit plus ou moins facilement sa main dans les voies vaginales au niveau de la concavité sacrée.

Il monte la main en direction du promontoire et va repérer l’épaule postérieure retenue au-dessus du détroit supérieur. Sans perdre le contact de celle-ci, il suit le bras postérieur, puis l'avant-bras et arrive à la main fœtale qu'il saisit.

Dès qu'il tient fermement la main au niveau du poignet, il retire lentement son bras dans l'axe ombilico-coccygien (axe du DS).

En retirant son bras lentement et doucement, l'opérateur abaisse la main fœtale avec un mouvement d'écharpe à la face antérieure du thorax. Ceci entraine une rotation de 180° du corps du fœtus et un dégagement du bras jadis postérieur sous la symphyse pubienne.

Figure 17 :
Le fœtus se présente avec le dos orienté à gauche, le bras gauche étant postérieur. L'opérateur introduit sa main gauche pour réaliser la manœuvre de JACQUEMIER [5]

1 . 8 . 3  -  Particularités

Dans la situation très exceptionnelle où le tronc ne tourne pas lors de la manœuvre de JACQUEMIER, le bras postérieur se dégage alors à la vulve tandis que l'épaule antérieure est toujours au-dessus du Detroit Supérieur.

Dans ce cas il faut effectuer une rotation de 18O° pour amener l’épaule antérieure en postérieure et pratiquer une 2ème manœuvre de JACQUEMIER.

1 . 9  -  Les autres manoeuvres

1 . 9 . 1  -  Manœuvre de GASKIN

Pour résoudre une dystocie des épaules, la technique d'Ina May GASKIN (cf. note : 1) , apprise auprès de sages-femmes traditionnelles Mayas du Guatemala en 1976, consiste en un changement de position de la mère qui doit se mettre en "position genu-pectoral" sur ses mains et ses genoux. Ce changement de position permet le déblocage des épaules. De plus cette position permet d'éviter une compression du coccyx, amenant donc une ouverture du bassin de quelques millimètres additionnels.

Cette manœuvre reste cependant difficile à réaliser en cas d'urgence dans les conditions habituelles d'accouchement en occident.

Figure 18 : Position quatre pattes lors la manœuvre de GASKIN [12]

1 . 9 . 2  -  Manœuvre de COUDER

Cette manœuvre préconisée par certaines équipes ne nous semble pas adaptée en cas de dystocie des épaules qu'elle soit modérée ou sévère.
Elle consiste à dégager l'épaule antérieure en passant deux doigts sous la symphyse pubienne le long du bras du fœtus en remontant jusqu'au pli du coude.
Ensuite l'opérateur repousse le coude derrière le dos du fœtus en fléchissant l'avant-bras. La main fœtale se dégage alors sous la symphyse pubienne.

La manœuvre de Couder n'est possible que si l'épaule antérieure est sortie, c'est donc qu'il n'y a pas de dystocie des épaules. Pour rappel, la dystocie des épaules est caractérisée par l'impossibilité de sortie des épaules, la tête seule étant dehors.

Figure 19 : Manœuvre de Couder [16]

1 . 9 . 3  -  Manœuvre de WOOD ou RUBIN

Il faut ici effectuer une rotation du fœtus de 180° en exerçant une pression derrière l'épaule antérieure et non postérieure comme dans la manœuvre de WOOD INVERSEE. Il faut tourner les épaules et non la tête du fœtus sinon il existe des risques important de fracture ou d'élongation du plexus brachial.

Cette manœuvre est difficile à réaliser du fait du manque de place entre la symphyse pubienne et la tête fœtale.

Figure 20 :

1 . 9 . 4  -  Manœuvre de LETELLIER

Le but de la manœuvre est d'abaisser l'épaule postérieure située au niveau du Détroit supérieur (DS).

Glisser la main en arrière (main droite pour l'épaule gauche). Main nue, savonnée

Localiser l'épaule au détroit supérieur,

Passer l'index en crochet dans l'aisselle, d'arrière en avant, le pouce peut être amené en pince thénar. Les articulations de son doigt et de son poignet, l'avant-bras travaille car le bras de levier de l'opérateur est long.①

Quand l'épaule est mise en mouvement, chercher à engager, donc pousser vers l'avant et vers le bas en vrille. Le geste devient facile, naturel.②

Amener l'épaule à l'ogive pubienne où elle est dégagée de façon classique, doigts en attelle sur l'humérus ③

Le trajet de l'épaule est d'abord dans le plan du détroit supérieur, ensuite en spirale dans l'excavation jusqu'à l'ogive pubienne ④

La clavicule transmet l'effort en traction, au sternum. Le thorax accompagne la rotation. L'épaule est progressivement " haussée ". Le diamètre acromio-thoracique s'est réduit sans aucune traction sur le cou.

Animation

Figure 21 :
Figure 22 :
Figure 23 :
Figure 24 :

1 . 9 . 5  -  Les manœuvres « historiques » !!

1 . 9 . 5 . 1  -  Ribemont Dessaignes (1893)

Il s'agit du dégagement successif des deux bras en les fracturant pour pouvoir les abaisser. Cette manœuvre se faisait sur les fœtus morts.

1 . 9 . 5 . 2  -  Zaratte (1924)

Zaratte proposait d'effectuer une section partielle de la symphyse pubienne, la division de celle-ci étant complétée par une abduction des genoux. Cette variante de la symphysiotomie était peu recommandée car trop délétère pour la patiente dans la mesure où l'abduction n'était pas contrôlée.

1 . 9 . 5 . 3  -  Manœuvre de ZAVANELLI

Il s'agit d'une réintégration du fœtus dans l'utérus par voie basse et suivie d'une extraction par voie haute. Cette méthode reste très controversée dans le cadre d'une dystocie des épaules.

Notes
  1. 1 : Ina May GASKIN est sage-femme certifiée et présidente de la Midwife Alliance of North America (MANA)
1/3