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L’architecture normale du foie est faite de travées régulières d’hépatocytes, d’espaces portes et de veines centrolobulaires. La cirrhose est définie par une désorganisation diffuse de l’architecture hépatique, avec une fibrose annulaire délimitant des nodules d’hépatocytes en amas, appelés nodules de régénération (fig. 19.1 et 19.2). La taille des nodules est en moyenne de l’ordre de 3 mm. Dans certains cas, les nodules sont plus volumineux (il s’agit alors de macronodules).
Toutes les maladies chroniques du foie, quelles qu’en soient les causes, peuvent aboutir à la constitution d’une cirrhose lorsque leur évolution est prolongée. Habituellement, la cirrhose ne se constitue qu’après au moins 10 à 20 ans d’évolution d’une maladie chronique. Au cours des maladies chroniques du foie, la fibrose s’étend progressivement, devient arciforme et finit par délimiter les nodules d’hépatocytes caractéristiques de la cirrhose. Il se constitue des shunts vasculaires entre les branches de la veine porte et de l’artère hépatique d’une part et, d’autre part, les veines centrolobulaires. De plus, il existe une altération des capillaires sinusoïdes qui, à l’état normal, bordent les travées hépatocytaires. L’endothélium perd ses fenestrations et du tissu collagène s’accumule dans l’espace de Disse, normalement délimité par les travées d’hépatocytes et l’endothélium. Au total, lorsque la cirrhose est constituée, les hépatocytes perdent leurs connections normales avec les structures biliaires et vasculaires. Ces modifications sont en grande partie responsables des perturbations des fonctions hépatiques.
En fonction du stade évolutif et de la cause de la maladie, la taille du foie peut être augmentée, normale ou diminuée (atrophie). Les contours du foie sont irréguliers. Des zones hypertrophiées peuvent coexister avec des zones atrophiées. Il en résulte une dysmorphie, mise en évidence par les examens d’imagerie. La consistance du foie devient ferme ou dure, avec un bord antérieur « tranchant ».
En fonction de la cause, il peut exister des lésions associées telles qu’une stéatose ou des infiltrats inflammatoires abondants.
À un stade précoce, les lésions correspondant à la cirrhose existent mais les fonctions hépatiques sont relativement préservées et il n’y a pas de complications graves. Il s’agit d’une cirrhose compensée. À un stade plus avancé, il existe une altération franche des fonctions hépatiques et des complications graves apparaissent. Il s’agit alors d’une cirrhose décompensée.
Les complications graves de la cirrhose peuvent être :
– des hémorragies digestives en rapport avec l’hypertension portale (rupture de varices oesophagiennes et/ou gastriques) ;
– une ascite (généralement associée à des oedèmes) ;
– des infections bactériennes (incluant les infections du liquide d’ascite) ;
– une encéphalopathie ;
– un syndrome hépato-rénal.
En cas d’insuffisance hépatique avancée, une dénutrition et une amyotrophie sont fréquemment associées. Enfin, la cirrhose expose au risque de survenue d’un carcinome hépatocellulaire. Ce risque est de l’ordre de 1 à 5 % par an.
La définition de la cirrhose correspond à des lésions tissulaires. En principe, le diagnostic de cirrhose repose sur un examen histologique. En pratique, la cirrhose s’accompagne d’anomalies caractéristiques pouvant être mises en évidence par l’examen clinique, par des examens biologiques simples et par des examens d’imagerie. Le plus souvent, le diagnostic de cirrhose peut être raisonnablement établi sans examen histologique du foie sur l’association de signes d’hypertension portale et d’insuffisance hépatique.
1. Examen clinique
L’examen clinique peut être normal. Cependant, on observe fréquemment :
– des signes d’insuffisance hépatocellulaire :
• angiomes stellaires prédominant à la partie supérieure du thorax,
• érythrose palmaire,
• ongles blancs,
• ictère conjonctival ou cutané,
• foetor hépatique,
• chez l’homme, hypogonadisme ;
– et des signes d’hypertension portale :
• ascite,
• dilatation des veines sous-cutanées abdominales (circulation veineuse collatérale),
• splénomégalie.
Lorsque le foie est palpable, il est de consistance ferme ou dure avec un bord inférieur irrégulier. En cas d’encéphalopathie, on peut observer un asterixis, une confusion ou, à un stade plus avancé, des troubles de la vigilance.
2. Anomalies biologiques
Les tests hépatiques peuvent être normaux. Toutefois, il existe fréquemment une élévation des transaminases (ASAT et ALAT) reflétant l’activité de la maladie causale. Il peut exister une élévation de l’activité des phosphatases alcalines et de la GGT.
L’élévation des enzymes de cholestase est plus importante lorsque la maladie causale intéresse les voies biliaires (cirrhose biliaire primitive ou cholangite sclérosante primitive, par exemple). La bilirubinémie peut être normale ou élevée. Dans la plupart des cas, l’élévation de la bilirubine prédomine sur la bilirubine conjuguée.
L’insuffisance hépatique se traduit par une diminution des facteurs de coagulation (taux de prothrombine et facteur V). L’INR est élevé. À un stade avancé, l’insuffisance hépatique s’accompagne également d’une diminution de l’albuminémie.
L’hypertension portale s’accompagne d’un hypersplénisme avec une diminution fluctuante et modérée des plaquettes et des leucocytes. Même en l’absence d’hémorragie, une anémie modérée est fréquente. En cas d’ascite volumineuse, il existe fréquemment une hyponatrémie.
Chez les malades qui ont une cirrhose secondaire à une consommation excessive d’alcool, on observe une macrocytose (dont la spécificité est limitée au stade de cirrhose) ainsi qu’un bloc β-γ sur l’électrophorèse des protides (fusion entre les pics correspondant normalement aux β et γ-globulines). Une importante élévation de la ferritinémie peut être observée qui ne traduit pas la présence d’une hémochromatose génétique associée. La saturation de la transferrine est inférieure à 60 %.
3. Examens d’imagerie et endoscopie
L’échographie est l’examen d’imagerie de première intention. Elle est beaucoup plus performante que l’examen clinique pour mettre en évidence la dysmorphie hépatique. Elle doit être systématique. Les anomalies échographiques associées à la cirrhose sont une irrégularité des contours du foie, une dysmorphie avec une atrophie de certains secteurs (souvent le lobe droit) et une hypertrophie d’autres secteurs (souvent le lobe gauche), une ascite, une augmentation de la taille de la rate, la présence de voies de dérivation veineuses collatérales (fig. 19.3).
En cas de stéatose associée, le parenchyme hépatique a un aspect hyperéchogène. Cet aspect peut être inhomogène.
Des macronodules de régénération peuvent être visibles au sein du parenchyme hépatique.
En cas d’hypertension portale sévère, le flux sanguin peut être inversé dans la
veine porte (flux hépatofuge).
La tomodensitométrie et l’IRM sont des examens de seconde intention. Ils n’ont pas d’intérêt majeur pour le simple diagnostic de la cirrhose.
En dehors des examens d’imagerie, la mise en évidence de signes d’hypertension portale par la gastroscopie (varices oesophagiennes) est un argument fort en faveur d’une cirrhose s’il existe une maladie chronique du foie.
4. Examen histologique
L’examen histologique permet d’affirmer l’existence d’une cirrhose (fig. 19.2). Il peut être obtenu à partir d’une biopsie percutanée si le taux de prothrombine est supérieur à 50 %, si les plaquettes sont supérieures à 50 × 109/L et s’il n’existe pas d’ascite volumineuse. Dans les autres cas, la biopsie doit de préférence être réalisée par voie transjugulaire afin de limiter le risque d’hémorragie.
La biopsie hépatique est utile pour identifier certaines lésions surajoutées telles que l’hépatite alcoolique ou pour évaluer l’activité (réaction inflammatoire) en cas d’hépatite virale. En revanche, la biopsie hépatique n’est pas indispensable pour le diagnostic si un faisceau d’arguments convergents obtenus par l’examen clinique, les tests biologiques et l’échographie suggèrent fortement une cirrhose.
5. Alternatives non invasives à la biopsie
Le degré de fibrose hépatique peut être estimé par une combinaison de tests biologiques sanguins (Fibrotest®) ou l’élastométrie (Fibroscan®). Le Fibrotest® donne une estimation semi quantitative du degré de fibrose. L’élastométrie repose sur l’analyse d’une onde d’ultrasons propagée au foie par une sonde comparable à une sonde d’échographie. Ces deux tests n’ont pas été validés pour toutes les causes de cirrhose.
(1) Méthodes non invasives d’évaluation de la fibrose/cirrhose hépatique.
(2) Critères diagnostiques et bilan initial de la cirrhose non compliquée.
(3) Méthodes d'évaluation de la fibrose hépatique au cours des hépatopathies chroniques.
Les causes les plus habituelles de cirrhose sont énumérées dans le tableau 19.I.
Il est important de noter que la cirrhose résulte plus fréquemment de l’association de plusieurs causes que d’une cause unique. Par exemple, la cirrhose peut résulter d’une consommation excessive d’alcool associée à un syndrome dysmétabolique (obésité, diabète, dyslipidémie). Une cirrhose peut également résulter d’une hépatite chronique C et d’une consommation modérée mais prolongée d’alcool.
Chez certains malades, aucune cause n’est trouvée malgré un bilan étiologique détaillé. Dans ce cas, il peut s’agir d’une hépatite auto-immune ancienne (sans marqueur d’auto-immunité) ou de lésions vasculaires diffuses du foie.