2 . 2  -  Démarche étiologique en présence d’une HE « réactionnelle »

Ici, l’HE s’inscrit dans un contexte clinicobiologique très évocateur. Le traitement de l’événement causal de l’HE entraîne le plus souvent sa disparition plus ou moins rapide. Cette situation fréquente ne permet néanmoins pas d’établir constamment une relation de cause à effet entre la symptomatologie et l’HE. On s’interroge parfois sur le rôle de la maladie dans le développement de l’HE et, inversement, sur l’incidence de l’HE sur l’évolution de la maladie.

Dans certains cas, le mécanisme d’induction de l’HE est bien argumenté : il est lié à la production de facteurs, notamment l’IL5, qui agiront sur la production, l’activation, le recrutement tissulaire des PNE. C’est ce que l’on observe dans l’allergie (hypersensibilité dépendante d’IgE), dans les parasitoses (réaction inflammatoire qui accompagne la phase de migration larvaire), dans les cancers (production d’IL5 par la cellule transformée par un événement oncogène).

  • HE et allergie : l’HE sanguine est ici souvent modérée (< 1 G/L), parfois associée à une élévation du taux sérique des IgE totales. Différents tableaux cliniques peuvent être rencontrés : asthme, rhinite spasmodique, dermatite atopique, urticaire. Devant un asthme avec HE élevée, on évoquera plus volontiers d’autres étiologies que l’asthme allergique extrinsèque. On recherchera une angéite de Churg et Strauss (ANCA) ou une aspergillose bronchopulmonaire allergique (ABPA avec taux sérique souvent très élevé d’IgE totales). Devant un prurit avec HE élevée, on évoquera les hypothèses de lymphome cutané épidermotrope, de pemphigoïde bulleuse ou de parasitose.
  • HE et parasitose : il s’agit le plus souvent d’helminthiases qui nécessitent des examens complémentaires adaptés (tableau 1). Si l’enquête parasitologique demeure infructueuse, un traitement antihelminthique d’épreuve, réalisé sous surveillance (suivi de l’HE), peut être proposé. En revanche, toute corticothérapie aveugle est à proscrite formellement (risque de syndrome d’hyperinfestation parasitaire).
  • HE et cancer : ce contexte est rapidement évoqué devant une altération de l’état général, un syndrome inflammatoire et des signes d’appel (douleurs, troubles fonctionnels, adénopathies…). Ces signes ne sont pas toujours présents et devant une HE isolée persistante, il faudra rechercher un cancer sous-jacent. L’HE réactionnelle est souvent liée à la production de facteurs de croissance ou de cytokines, notamment l’IL5. Le traitement chirurgical avec ablation de la tumeur entraîne souvent la disparition de l’HE.


Un événement oncogène peut aussi entraîner une surproduction d’IL5, et explique l’HE observée au cours d’exceptionnelles leucémies aiguës lymphoblastiques. Au cours de certains lymphomes, comme la maladie de Hodgkin ou certains lymphomes T, une sécrétion inappropriée d’IL5 est responsable de l’HE.

Dans d’autres circonstances d’HE réactionnelles, le mécanisme d’induction de l’HE est mal défini ou très hypothétique. C’est le cas dans les situations suivantes :

  • HE iatrogènes : de nombreux médicaments ont été incriminés (b-lactamines, sulfamides, antiépileptiques, allopurinol, anti-inflammatoires non stéroïdiens [AINS], ranélate de strontium) et la liste ne cesse d’être réactualisée. Des signes cliniques variés, sans spécificité, ont été décrits. Ils peuvent être discrets ou fugaces (prurit, rash, maculopapules…) ou parfois très sévères (« drug reaction with eosinophilia and systemic symptoms » [DRESS]) ;
  • HE et maladies du système immunitaire : toute dérégulation de l’homéostasie lymphocytaire induite par des traitements ou liée à un processus pathogène peut avoir un retentissement sur la lignée éosinophile.
    •  l’HE peut être associée à des signes cliniques ou biologiques d’autoréactivité : dans la pemphigoïde bulleuse, dans l’angéite de Churg et Strauss, dans la périartérite noueuse ;
    • l’HE peut être associée à des signes d’alloréactivité : dans le cadre des réactions du greffon versus hôte (GVH chronique) ;
    • dans le cadre d’un déficit immunitaire, on décrit la survenue possible d’une HE (Syndrome de Wiskott-Aldrich, syndrome hyper-IgE, par exemple).
  • HE et maladies spécifiques d’organe : l’HE sanguine est ici associée à des pathologies ciblées sur certains tissus ou organes et peuvent concerner :
    • la sphère ORL ou bronchopulmonaire (asthme allergique, rhinite allergique ou non allergique : « non allergic rhinitis with eosinophilia » [NARES], syndrome de Fernand Widal associant une polypose nasosinusienne avec un asthme et en relation avec la prise d’aspirine ou d’AINS, syndrome de Löffler avec des signes cliniques et radiologiques modestes et fugaces liés à une parasitose, à la prise d’un médicament ou idiopathique, pneumonie chronique à éosinophiles ou maladie de Carrington…) ;
    • la sphère cutanée (maladie de Kimura ou granulome éosinophile des tissus mous, hyperplasie angiolymphoïde avec HE, autres…) ;
    • la sphère digestive : de nombreuses affections du tube digestif, outre les parasitoses, s’accompagnent d’une HE sanguine : rectocolite hémorragique, maladie de Crohn, maladie cœliaque. D’autres affections (hémopathies à localisation digestive, vasculaires), doivent être recherchées. En revanche, aucune cause évidente (atopie ?) n’est retrouvée dans la gastroentérite à éosinophiles ou dans l’œsophagite à éosinophiles. Souvent, le diagnostic sera confirmé par biopsie ;
    •  le tissu musculaire peut aussi être concerné : en dehors des parasitoses (trichinellose notamment), un tableau de myalgie avec HE se rencontre dans la fasciite de Shulman.

2 . 3  -  Démarche étiologique en présence d’une HE « primitive »

Dans l’HE « primitive » ou « essentielle », une anomalie clonale affecte directement la lignée éosinophile.

On y retrouve :

  • les exceptionnelles HE « familiales », maladies à transmission autosomique dominante qui ne s’accompagnent que rarement de complications viscérales ;
  • diverses HE secondaires à des remaniements chromosomiques acquis, identifiables avec les techniques cytogénétiques conventionnelles ou après recours à la biologie moléculaire. Par exemple :
    • l’HE peut entrer dans le cadre d’une leucémie myéloïde, et il s’agit le plus souvent de la leucémie myéloïde chronique avec chromosome Philadelphie, où l’HE peut représenter jusqu’à la moitié des leucocytes de l’hémogramme. Dans quelques cas de leucémie myélomonocytaire chronique une petite HE est présente, marqueur important car évoquant l’existence d’une anomalie moléculaire particulière et une grande sensibilité aux médicaments inhibiteurs d’activité tyrosine kinase ;
    • l’HE peut aussi correspondre à la « leucémie chronique à éosinophiles », appelée variant myéloïde du SHE. Le SHE se caractérise par une HE (> 1,5 G/L) évoluant depuis au moins 6 mois, associée à diverses lésions viscérales où domine la fibrose endomyocardique.


Si l’on évoque la possibilité d’un SHE, il faut l’envisager en premier lieu comme un diagnostic d’exclusion, qui ne sera retenu qu’après une enquête étiologique exhaustive. Il existe plusieurs variants du SHE, classés en fonction de l’existence (ou non) d’anomalies moléculaires (variants « myéloïdes ») ou d’anomalies fonctionnelles des lymphocytes T (souvent secondaires à une hyperproduction d’IL5). Le pronostic autrefois très péjoratif a été bouleversé avec la découverte de l’efficacité des inhibiteurs d’activité tyrosine kinase sur plusieurs de ces variants de SHE.
(Pour en savoir plus, consultez le tableau 2.)

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