2  -  Démarche étiologique

2 . 1  -  Les éléments de cette démarche

Devant toute HE, un interrogatoire méthodique et minutieux s’attachera à préciser :

  • les antécédents personnels et familiaux (atopie, cancers…) ;
  • le mode et l’hygiène de vie (exposition éventuelle à des toxiques, à des allergènes en milieu professionnel, habitudes alimentaires, contact avec des animaux…) ;
  • le contexte ethnogéographique et la notion de séjour en zone d’endémie parasitaire (même ancienne) [tableau 1] ;
  • la notion de prises médicamenteuses et leur antériorité par rapport à l’apparition de l’HE.


L’anamnèse, puis l’examen clinique permettront ainsi de guider la prescription d’examens complémentaires. Trois situations peuvent être rencontrées :

  • soit l’origine de l’HE est fortement suspectée et nous disposons de moyens d’analyse pour objectiver le mécanisme en cause : c’est le cas pour l’allergie (réalisation de tests cutanés suivis, si nécessaire, de la recherche d’IgE [immunoglobulines E] sériques spécifiques d’allergènes. Le dosage de l’IgE sérique « totale » est souvent d’un intérêt limité en raison de l’existence de fréquents faux positifs ou faux négatifs), pour les parasitoses où les tests seront à adapter en fonction du parasite qui paraît être impliqué (tableau 1), ou pour les cancers. Dans ce dernier cas, il peut s’agir d’une hémopathie maligne (hémogramme, myélogramme voire ponction biopsie médullaire, caryotype, biologie moléculaire…) ou d’une tumeur solide (imagerie : radiologie, échographie, scanner, imagerie par résonance magnétique [IRM] ou examen anatomopathologique sur pièce biopsique ou chirurgicale) ;
  • soit l’origine de l’HE est fortement suspectée mais nous ne disposons pas de moyens d’analyse pour objectiver le mécanisme en cause :
    • c’est le problème que pose, par exemple, l’imputabilité d’un médicament dans le développement d’une HE ou le rôle incident d’un environnement professionnel (enquête avec les services de pharmacovigilance, de médecine du travail). La preuve d’une relation de cause à effet n’est parfois apportée que par la disparition progressive et parfois lente de l’HE après éviction du produit ou du milieu incriminé ;
    • c’est le problème que pose aussi l’HE associée à des maladies de système (recherche d’un syndrome inflammatoire, de marqueurs biologiques d’auto-immunité : autoanticorps antinucléaires, ANCA…) ou à des maladies spécifiques d’organe (radiographie de thorax pour les poumons éosinophiles, biopsies et examens anatomopathologiques pour les dermatoses à éosinophiles…).
  • soit l’origine de l’HE reste indéterminée et les enquêtes diagnostiques demeurent infructueuses : ces HE persistantes inexpliquées sont rassemblées sous le vocable de syndrome hyperéosinophilique (SHE). Celui-ci recouvre en fait des situations très variées. Des données nouvelles permettent aujourd’hui de mieux classer ce cadre hétérogène des SHE (tableau 2).


Le plus souvent, l’origine de l’HE est identifiée : il s’agit fréquemment d’une HE réactionnelle et beaucoup plus rarement d’une HE primitive (anomalie clonale affectant la lignée éosinophile).

Cependant, malgré des explorations longues et difficiles et le recours à des enquêtes sophistiquées, l’origine de l’HE peut demeurer incomprise. Il est alors indispensable de renouveler les investigations, au moins tous les 6 mois, pour dépister une cause ¬sous-jacente jusqu’alors non identifiée et pour évaluer l’éventuel risque d’une atteinte viscérale associée à toute HE chronique (échocardiographie, par exemple, à la recherche d’une fibrose endomyocardique).

Tableau 1. Principales parasitoses associées à une HE et modalités d’investigation
Contexte ethnogéographique   Méthodes d’analyse  
   Parasitoses en France métropolitaine   
   Distomatose*
   Toxocarose*
   Trichinellose*
   Oxyurose**
   Hydatidose**
   Teaniasis**
   Hypodermose**
   Anisakiase**  
   Scotch Test (oxyurose)
   Sérologies parasitaires (toxocarose, distomatose, hydatidose, hypodermose, trichinellose, bilharzioses,
   filarioses…)
   Examen des selles (teaniasis, ascaridiose, trichocéphalose, ankylostomose, bilharzioses…) avec méthodes
   de concentration spécifique, Baerman (anguillulose)
   Examen des urines (bilharziose urinaire)
   Imagerie (toxocarose, distomatose, hydatidose)
   Fibroscopie (anisakiase)
   Biopsie musculaire (trichinellose), bioposie rectale (bilharzioses), biopsie cutanée exsangue (onchocerca volvulus)
   Recherche de microfilaires sanguicoles à midi (loase), à minuit (filariose lymphatique)
   Présence de larves au niveau cutané (hypodermose : myiase rampante ou furonculeuse)  

   Parasitoses tropicales
   Bilharzioses digestives ou urinaires*
   Filarioses (loase, filariose lymphatique, 
   onchocercose)*
   Ankylostomose*
   Ascaridiose**
   Anguillulose***  

*HE élevée ou chronique : la toxocarose ou Larva migrans viscérale peut être asymptomatique, alors que la distomatose et la trichinellose s’accompagnent souvent de symptômes évocateurs.
**HE modérée ou transitoire : dans l’hypodermose ou lors de la rupture d’un kyste hydatique, l’HE peut être élevée (> 1,5 G/L) avec dans ce dernier cas le risque de choc anaphylactique.
***HE oscillante cyclique.

Tableau 2. Pour en savoir plus sur les hyperéosinophilies « primitives » ou « essentielles »
 Sans événement oncogène : HE « familiale »  
 Événement oncogène avec anomalie clonale affectant la lignée éosinophile  
 Cellule souche hématopoïétique pluripotente  
 Leucémie aiguë myéloïde avec HE  
 Leucémie chronique à éosinophiles ou variant myéloïde du SHE  
 Cellule souche myéloïde et progéniteurs de lignées  
 Leucémie aiguë myéloïde avec HE  
 Leucémie myéloïde chronique : Ph1+ ; BCR-ABL+ ; t(9;22) (q34;q11)  
 Syndromes myélodysplasiques ou syndromes myéloprolifératifs  
 t(5;12) (q33;p13) : transcrit de fusion PDGFRb-TEL (leucémie myélomonocytaire chronique)  
 t(8;13) (p11;q12) : transcrit de fusion FGFR1-ZNF 198  
 t(6;8) (q27;p12) : transcrit de fusion FGFR1-FOP  
 t(8;9) (p11;q34)) : transcrit de fusion FGFR1-FAN  
 SHE sans anomalie moléculaire détectable mais sensible au traitement par antityrosine kinase  
 Leucémie chronique à éosinophiles ou variant myéloïde du SHE  
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