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La prise en charge de la personne âgée relève d’une évaluation globale, médicale, psychologique et sociale. Plus que la recherche d’une pathologie d’organe, le diagnostic repose sur la notion d’une décompensation fonctionnelle comportant :
Le syndrome de fragilité se caractérise par un risque permanent de décompensation fonctionnelle conduisant à une aggravation de l’état de santé et à la dépendance.
La prise en charge relationnelle est un prolongement indispensable de la technique médicale. Elle contribue à prévenir chez le malade les conduites de fuite que sont la régression, la recherche de maternage et le refuge dans la maladie, tous pourvoyeurs de dépendance. L’étape thérapeutique doit dépasser le concept de guérison pour conduire à une médecine adaptative. Elle comporte outre le diagnostic et le traitement, la prévention à tout moment de la perte d’autonomie et en cas de dépendance installée la proposition des aides sociales nécessaires.
La spécificité de la pratique gériatrique réside dans le caractère global de la prise en charge de la personne en tenant compte de son environnement.
L'état de crise du sujet âgé se présente habituellement comme une décompensation fonctionnelle : confusion ou "décompensation cérébrale aiguë", dépression ou "décompensation thymique", chute ou "décompensation posturale aiguë", "décompensation nutritionnelle", etc...
Face à la décompensation fonctionnelle, la démarche classique visant à regrouper un faisceau de symptômes sous le chapeau d'une maladie unique n'est plus adaptée.
La décompensation fonctionnelle est provoquée par la survenue de maladies chroniques et/ou aiguës sur un terrain plus ou moins fragilisé par le vieillissement.
Les concepts de décompensation et de fragilité du sujet âgé peuvent être expliqués par un schéma (figure) prenant en considération 3 éléments qui se cumulent pour aboutir à la décompensation d'une fonction (1 + 2 + 3 de J.P. Bouchon) :
1- Les effets du vieillissement qui réduisent progressivement les réserves fonctionnelles, sans jamais à eux seuls entraîner la décompensation.
2- Les affections chroniques surajoutées qui altèrent les fonctions.
3- Les facteurs de décompensation qui sont souvent multiples et associés chez un même patient : affections médicales aiguës, pathologie iatrogène et stress psychologique.
Pour exemple, le syndrome confusionnel, décompensation cérébrale aiguë, est favorisé par les effets du vieillissement sur le cerveau. Les affections neuropsychiatriques
chroniques, notamment les démences, constituent le terrain de prédilection. Les facteurs déclenchants sont nombreux : troubles cardiovasculaires, métaboliques ou infectieux, iatrogénie, stress environnemental.
Malgré la décompensation d'un organe, l'équilibre de l'individu est souvent sauvegardé grâce aux capacités de compensation d’autres organes. A titre d’exemple, l'insuffisance vestibulaire est fréquente chez le vieillard sans s'accompagner obligatoirement d'une perte des capacités d'équilibre. Le relais est assuré par les autres organes neurosensoriels (proprioception articulaire et musculaire, informations visuelles). Ce n’est qu’à l'occasion d'une déficience de ces compensations que survient la perte d'équilibre.
Le vieillissement est un processus hétérogène variable d’un individu à l’autre et d’un organe à l’autre. Chez la plupart des personnes, le vieillissement se traduit par une diminution des capacités maximales liée à la réduction des réserves fonctionnelles, responsable d’un état de fragilité (frail elderly). D’autres personnes conservent, même dans le grand âge, des capacités fonctionnelles optimales (fit elderly).
Lorsqu’il existe, le déclin des capacités débute dès l'âge adulte et suit une involution progressive. La notion de réserve fonctionnelle est capitale en physiologie. Elle désigne pour certains organes une capacité de réserve de fonctionnement mesurable dans des circonstances bien déterminées : réserve fonctionnelle rénale, coronaire, myocardique. Dans le cas du cerveau, la notion de réserve fonctionnelle est plus discutable.
La diminution des capacités, en l'absence de maladie surajoutée, ne provoque pas "d'insuffisance", l’âge n'étant jamais à lui seul responsable de la décompensation d'une fonction.
Le déclin de chaque fonction est sans doute programmé génétiquement. Il est accéléré par des maladies (l'hypertension accélère le vieillissement cardio - vasculaire), et influencé par divers facteurs : endocriniens, nutritionnels, exercice physique ... Une fonction non utilisée peut décliner rapidement.
Ainsi, la vieillesse n'est en aucun cas une maladie, mais représente un terrain propice pour le développement des maladies. La répercussion de ces maladies est plus importante chez le sujet âgé car leurs effets se surajoutent aux altérations dues au vieillissement.
Dans l'évaluation d'un sujet âgé, la frontière entre le "normal" et le "pathologique" est beaucoup plus difficile à situer que chez le sujet jeune. Ceci peut entraîner trois écueils dangereux :
La "surmédicalisation"
Elle est consécutive au refus d'envisager le vieillissement et ses conséquences. Si la "norme" de référence est l'adulte plus jeune, il y a un risque de considérer comme anormal et pathologique ce qui est simplement dû au vieillissement (troubles bénins de mémoire) ou à ses conséquences (mal être, isolement). Cette tendance a conduit dans les années 50 à médicaliser la vieillesse et à la faire considérer comme une "maladie incurable" plus que comme une étape de l'existence.
La "sous-médicalisation"
Elle survient, à l'inverse, lorsque le fatalisme amène à banaliser les symptômes observés en les mettant sur le compte de la seule vieillesse ou d'un problème social alors qu'ils sont dus à une affection curable. Cette attitude est génératrice d'une perte de temps préjudiciable pour le patient. La plupart des patients hospitalisés pour problème social ou "placement" ont en fait d'authentiques problèmes médicaux mal pris en charge qui rendent impossible le maintien à domicile.
Les mauvaises pratiques
Elles peuvent contribuer à aggraver ces deux phénomènes en ignorant dans le raisonnement médical ou dans la prescription médicamenteuse la spécificité de la personne âgée.
Leur fréquence augmente avec l'âge. La polypathologie est une des caractéristiques du sujet âgé qui présente en moyenne quatre à six maladies.
Ces maladies chroniques (insuffisance cardiaque, polyarthrose ...) sont source d'incapacités et de dépendance.
Elles peuvent entrainer la décompensation d'une ou de plusieurs fonctions.
L'un des risques est celui de la survenue du phénomène dit "de la cascade" dans lequel une affection aiguë entraine des décompensations organiques en série. C'est, par exemple, le cas d'une infection bronchopulmonaire favorisant une décompensation cardiaque, qui elle-même entraîne une insuffisance rénale, elle-même favorisant un syndrome confusionnel ...
Certaines fonctions décompensent avec prédilection et sont particulièrement impliquées dans la "cascade": la fonction cérébrale corticale (confusion, dépression) et sous-corticale (régression psychomotrice), la fonction cardiaque, la fonction rénale et la fonction d'alimentation (déshydratation, dénutrition).
Le phénomène de la cascade, très particulier à la gériatrie, est d'autant plus dangereux qu'il constitue un véritable cercle vicieux où les éléments pathologiques retentissent les uns sur les autres et s'aggravent réciproquement : la dénutrition protéino-énergétique augmente, par son effet immunosuppresseur, le risque d'infection bronchopulmonaire qui aggrave encore la dénutrition par l'anorexie qu'elle entraîne. Parallèlement, la dénutrition réduit la force des muscles respiratoires, l'efficacité de la toux, l'un et l'autre de ces éléments augmentant le risque infectieux ainsi que celui de décompensation respiratoire.
Le pronostic de la cascade est grave. Certaines situations à risque peuvent être identifiées : grand âge, polypathologie, polymédication, dépendance psychique et physique. De même, l’intensité du stress initial (hospitalisation en milieu chirurgical notamment) et la non-qualité de l'environnement (insuffisance de formation des soignants, iatrogénie) sont des facteurs prépondérants.
La perte des réserves adaptatives due au vieillissement et aux maladies chroniques peut être telle qu’elle soit responsable chez certains vieillards d'un état de fragilité permanent qui se caractérise par une instabilité physiologique. Ces patients, qui sont dans l’incapacité de s’adapter à un stress même minime, sont particulièrement exposés au risque de pathologies en cascade.
Parmi les marqueurs cliniques les plus pertinents d’un état de fragilité, on retrouve la chute, l’incontinence et le syndrome confusionnel. Quatre paramètres de l’évaluation gérontologique permettent de dépister l’état de fragilité, à savoir :
1- la fonction musculaire,
2- la capacité aérobie,
3- l’état nutritionnel,
4- les fonctions cognitives et les aptitudes psychomotrices, notamment posturales, de l’individu.
L’augmentation du nombre de "sujets âgés fragiles" dans les prochaines décennies représente l'un des enjeux essentiels de la prise en charge gérontologique.